«Peindre un tableau est aussi difficile que de trouver un gros ou un petit diamant. Maintenant, cependant, alors que tout le monde reconnaît la valeur d'un louis d'or ou d'une perle rare, ceux qui apprécient les tableaux et croient en eux, sont malheureusement rares. Mais ils existent néanmoins.»
(
Van Gogh, Lettre à Émile Bernard, 6 octobre 1888)
Les relations qui ont toujours été complexes entre l'art et l'argent se sont récemment exacerbées. Les artistes semblent ne plus pouvoir fonctionner en dehors de cette toile d'araignée patiemment tissée et resserrée autour d'eux par les divers tenants de ce que l'on nomme le «marché de l'art» - vaste réseau où chacun (galeriste, marchand, commissaires priseurs et courtiers, d'un côté, musées, conservateurs et critiques, de l'autre) s'emploie à faire circuler ces valeurs esthétiques fluctuantes qui se retrouvent tout aussitôt traduites en valeurs économiques. - L'art est ainsi devenu [avec l'immobilier] une des dernières valeurs refuges pour des capitaux affolés par l'ampleur sans précédent de la crise bancaire.
L'oeuvre de van Gogh alimente fréquemment la rubrique du marché de l'art. La cote exorbitante - hors norme et hors proportions - régulièrement atteinte par ses tableaux est d'ailleurs devenue un des symboles de cet état de fait artistique (sinon «esthétique»). Qu'une banque japonaise ait acquis en 1987 une de ses toiles, à hauteur de 40 millions de dollars, pour tout aussitôt la mettre au coffre, bien à l'abri des regards et des convoitises, a marqué un tournant dans la longue histoire des rapports entre l'art et l'argent. L'oeuvre du peintre était désormais assimilable au statut d'un lingot d'or. Objet de capitalisation. Réserve et contrepartie «physique» ou «matérielle» du papier monnaie ou des ordres de bourse circulant sur les réseaux informatiques.
Lorsque l'on évoque donc les relations de van Gogh à l'argent, c'est pour insister sur cette opération singulière, cette surcote proprement démentielle accordée à l'oeuvre d'un peintre qui n'a rien (ou presque rien) vendu de son vivant. La surcote de l'oeuvre aurait ainsi pour contrepoint, contrepartie ou envers obligé cette situation - romantique - de peintre maudit, octroyée au peintre d'Auvers. Il y aurait une sorte d'effet de balancier ou de compensation entre une extrême pauvreté et l'extrême richesse des actuels possesseurs ou détenteurs de l'oeuvre. Comme si une miraculeuse loterie s'était quelque part mise en place, inversant le cours historique d'une oeuvre et par là même d'une vie, celle de Vincent van Gogh, toutes deux stigmatisées comme «non vendables». Invendables.