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La femme Chocolat (Gib I. Mihaescu, Traduction Gabrielle Danoux, 95 pages)
Mes habitudes de lectures, mes apriori peut-être, m'ont rarement mené vers les rivages d'une littérature onirique, à la limite du fantastique, et c'est sans doute une lacune, c'est du moins ce que me donne à penser cette belle découverte.
Roumanie, dans l'entre-deux guerres, Negrisor, jeune homme dont on saura finalement assez peu de choses hors ses états d'âmes, est très attiré par la belle Eleonora, à la « peau chocolat », une originalité vu le contexte historique et géographique. Mais il a un concurrent de poids, Modreanu, certes moins bien tourné de sa personne, mais sans doute plus pragmatique. Qui va l'emporter ? La belle Sira, elle aussi à la peau chocolat, au décolleté de rêve, si spontanée dans ses élans, sera-t-elle assez forte pour attirer Negrisor à elle ?
C'est d'abord un roman sur le désir, exacerbé par la frustration, où flotte une douce sensualité, suggérée plus qu'explicite. Mais Negriso est le roi des rendez-vous manqués, il passe son temps dans un espace imaginaire où il entraîne le lecteur, entre rêve et réalité, entre fantastique et fantasme, souffrance et frustration. Son imagination débordante, foisonnante et quasi délirante lui brouille les pistes, le paralyse dans la concrétisation des possibles. Parfois on le voit face à son double imaginaire, entraîné dans des actions qu'il faut prendre le temps de recadrer dans leur irréalité. Mihaescu nous invite ici à une sorte de théâtre de l'absurde, ou en tous cas du malentendu.
C'est un court roman, où l'auteur nous mène parfois par des chemins détournés, pour rendre plus explicité les tourments et le fonctionnement psychique de son personnage ; ainsi de ce long passage assez drôle sur le mécanisme d'une horloge, le défilement des minutes, et du raisonnement qui en découle sur le temps relatif. Quant à la chute... mais chut.
C'est aussi un texte à l'écriture soignée, fine, souvent poétique, et dire cela d'un roman traduit d'une langue étrangère, c'est toujours souligner la qualité de la traduction, ici celle de Gabrielle Danoux.
Un livre à partager, donc.
Et merci à Tandarica, car parler littérature roumaine sur Babélio, c'est aussi en saluer la spécialiste.
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"Qu'il me baise des baisers de sa bouche !
Car ton amour vaut mieux que le vin,
tes parfums ont une odeur suave ;
ton nom est un parfum qui se répand ;
c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.

Entraîne-moi après toi !
Nous courrons !
le roi m'introduit dans ses appartements...
Nous nous égaierons, nous nous réjouirons à cause de toi ;
nous célébrerons ton amour plus que le vin.
C'est avec raison que l'on t'aime.

Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem,
comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon.
Ne prenez pas garde à mon teint noir :
C'est le soleil qui m'a brûlée."

Le Cantique des Cantiques, chanté par Gib I. Mihaescu dans un texte en prose, rend hommage à la couleur de cette femme, la Sulamite, femme érigée en idole, en statue changeante. La Femme chocolat, c'est la femme qu'aime Negrisor, Eleonora, sa déesse de l'amour, ou Sari, figure de la déesse-mère fertile. Le gourmand aime par dessus tout la couleur et la texture de la peau comme du chocolat, la saveur amère de la femme qu'il goûte lorsqu'il embrasse son corps. C'est l'initiation d'un homme qui prend la posture de l'amant incompris, qui crie l'amertume, sa douleur d'aimer ces femmes, ces poules en chocolat, ces cocottes, qui reçoivent chez elles en déshabillé d'autres hommes. La Vénus noire (Angela Carter), la Vénus à la fourrure (Léopold von Sacher-Masoch ) sont des femmes de joie, au rire sarcastique, diabolique, qui poussent les hommes vers le soleil de la mélancolie, vers l'abîme, vers une fenêtre noire, donnant sur une mer de bitume ou sur la scie mécanique, aux dents qui déchirent la chair, arme sacrificielle, pour que l'homme serve d'offrande à la déesse cruelle, cannibale. L'homme goûte le chocolat mais c'est le chocolat qui l'engloutit dans un appareil qui fond, qui dissout son être, après qu'il soit tombé d'une tour ou d'une maison dieu, comme au tarot, dans un puits sans fonds, la tête la première, pendu, suspendu à l'envers. Illusion, pavillon d'ombres, lumières fantastiques des prunelles noires, un rire dans la nuit, cette nouvelle me rappelle les contes initiatiques d'Hoffmann où l'élan amoureux confine au néant.
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Années trente en Roumanie. Negrisor, le narrateur, est un amoureux transi : incapable d'exprimer clairement ses sentiments, il cumule tellement les maladresses que son comportement en devient loufoque et cocasse, lui faisant rater toutes les occasions de bonne fortune qui se présentent à lui. Se réfugiant entre songes éveillés et velléités suicidaires, il n'en poursuit pas moins à sa façon le tendre objet de ses désirs : l'appétissante Eleonora à la peau couleur chocolat, amusée et incrédule, pas si indifférente en définitive, même si les incohérences de Negrisor semblent donner l'avantage à son détesté rival Modreanu.


Quel surprenant petit livre, à mi chemin entre la nouvelle et ce qu'on imaginerait facilement devenir une pièce de théâtre, et surtout, quel déconcertant personnage que Negrisor, que la lucidité fait constamment osciller entre désespoir et auto-dérision, et qui, au plus profond de son drame personnel, ne parvient jamais à être pris au sérieux. Pourtant, que d'imagination et de poésie dans la tête de ce clown malgré lui, véritables exutoires qui ne font que rendre encore plus illisibles les comportements de cet homme trop sensible et touchant.


Comment ne pas être tenté d'y voir certains traits de l'auteur, qui, comme l'explique la traductrice dans sa préface, rédigea « l'essentiel de l'oeuvre romanesque de son pays à son époque » , mais qui, jugé « discret, effacé », à la vie « sans relief », reste aujourd'hui méconnu ?


Incisif et moqueur, noir et sans illusion, imagé et poétique, novateur et flirtant parfois avec l'absurde, ce texte singulier révèle une plume qui méritait de sortir de l'oubli, ce à quoi contribue brillamment la traduction française de Gabrielle Danoux.


Merci à elle de m'avoir fait découvrir cette oeuvre, au cours de ce qui est pour moi presque une première rencontre avec la littérature roumaine, si l'on excepte Eugène Ionesco.


Vous pouvez lire sur mon blog mon interview de Gabrielle Danoux, romancière et traductrice de La femme chocolat, mais aussi de nombreux autres ouvrages de la littérature roumaine :
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/09/interview-de-gabrielle-danoux.html




Lien : https://leslecturesdecanneti..
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En lisant le titre, j'ai immédiatement pensé à Mathias Malzieu et à sa version de "La Femme Chocolat".

Celle de Gib I. Mihăescu est bien antérieure, elle est très différente et tout aussi jolie. En effet, nul besoin pour Eleonora de se gaver de chocolat car sa peau est déjà chocolatée. Il n'en faut pas plus pour allumer le désir des hommes. Mihăescu ne se revendique d'aucun style et pourtant depuis ma "perspective" naïve et intuitive, son roman m'a semblé empreint de romantisme et de réalisme fantasmagorique.

Par certains aspects, son héros Negrişor m'a rappelé "l'enfant du siècle" De Musset, mais dans son désir d'absolu, c'est Raphaël de Valentin dans "La Peau de Chagrin" De Balzac qu'il m'a évoqué.
Negrişor est un obsessionnel déchiré entre l'amour et la mort. Il semble prêt à tout pour sa déesse de chocolat, qui ne joue pas innocemment de ses charmes. Ses pérégrinations oscillent entre hallucinations morbides étrangement "réelles" et tentatives de conquérir la vie en goûtant le chocolat tant convoité. Lequel de ces Negrişor va l'emporter sur l'autre ? Ou bien est-ce "La Femme chocolat" qui finalement décidera de son sort ?

Extrêmement poétique et sombre le roman de Gib I. Mihăescu, tel un envoûtement, entraîne le lecteur dans les circonvolutions et autres tourbillons de l'esprit de Negrişor, plus fascinant pour moi que "La Femme chocolat". Pris au piège du grand talent de l'auteur, on finit par être happé par ce roman court mais intense.

C'est la première fois que j'ai l'occasion de lire et d'apprécier un auteur roumain, ceci grâce à l'excellente traduction de Gabrielle Danoux qui a permis à tous les amateurs de bonnes lectures de pouvoir enfin déguster cette "Femme chocolat" en France.

Merci de tout coeur à Tandarica pour m'avoir offert cette belle découverte.
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1924. L'histoire démarre dans le salon de mademoiselle Eleonora. Negriþor s'est réfugié comme il se plait à le faire à la fenêtre. Il aime particulièrement s'y suspendre pour observer ce qui se passe en bas, ou peut être, tel un gamin désobéissant, pour attirer inconsciemment l'attention de celle qui semble ne plus le voir dès que Modreanu est dans les parages. Lui, préfère cependant se voir comme "un acrobate de cirque sur un cheval lancé à vive allure". Mais ce jour là, le mugissement de la scie mécanique en train de débiter du bois en bas de l'immeuble, va emballer son imagination au point de l'effrayer...

J'ai été décontenancée au départ par les brusques passages entre l'imaginaire et le réel. C'est d'autant plus accentué que nous découvrons les pérégrinations de Negriþor à travers son unique perception. Mais on s'y fait assez vite finalement. Désir, temps, obsession, jalousie, fatalité s'y mêlent à tour de rôle. Negriþor est viscéralement subjugué par la femme couleur chocolat. Elle est comme une gourmandise au fondant doux-amer à laquelle il ne peut résister. Et sa maladresse pour exprimer ses sentiments et les extérioriser est vraiment touchante. Sa vie intérieure, riche et tumultueuse, ne lui facilite pas les choses. Car notre Negriþor vit sa vie comme un songe éveillé. Il s'enferme dans des obsessions qui nourrissent et enflamment son imagination foisonnante, et attend que la fatalité ou le destin décide de la route qu'il empruntera.

Il est dit dans la préface que l'auteur "admirait les romanciers Russes". Je ne suis pas surprise. Par certains aspects, on en ressent l'influence. Décédé prématurément en 1935 à l'âge de 41 ans, il n'a sans doute pas pu révéler toute l'étendue de son talent. Pourtant, ce court roman de 80 pages en offre déjà un aperçu significatif. A mi chemin entre le roman psychologique et le roman fantastique, les mésaventures de Negriþor auraient même pu faire une formidable pièce de théâtre. Et peut être y en t-il eu une. Assurément, un livre à découvrir. Étrange et fascinant.

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Étrange et captivant. D'un goût subtil et fondant, comme une friandise qui nous nargue et nous torture derrière une vitrine, inaccessible. C'est ainsi que cet homme vit sa passion dévorante, pour cette femme à la peau couleur chocolat. Entre fantastique et imaginaire, avec une pointe d'humour, on suit les mésaventures amoureuses de cet homme obsédé par cette femme chocolat. Cette femme qui ne comprend rien à l'envoûtement qu'elle suscite, et s'en amuse parfois. Cet homme maladroit qui ne sait pas dire les choses clairement, qui les vit plus dans sa tête que dans la réalité. Un homme dont les sentiments sont trop intenses pour exister.
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La couverture ne rend pas forcément justice à ce texte qu'on peut se procurer somme toute assez facilement. Encore aujourd'hui, il est lu par les Roumains et une version française existe sous le titre "La Femme chocolat".
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Sceptique au départ, j'ai demandé de l'aide pour découvrir ce format. Depuis qu'on m'a montré le texte sur Kindle et installé le fichier en quelques clics sur mon PC, il faut bien avouer, je suis doublement conquise ! Plus besoin d'attendre la commande, même en librairie, celles du coin ayant de moins en moins de stock, et que le chocolat fonde. J'utilise même la tablette un peu n'importe où, en cas d'attente, et je peux choisir mon livre entre les gratuits que j'ai téléchargés et je n'aurais jamais achetés, faute de place !
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Effectivement bref : quatre-vingts pages. Le narrateur autodiégétique, Negrișor est une sorte de mentaliste. Imaginez que dans cette étrange nouvelle série, il tournerait, au lieu de Teresa Lisbon, autour de Madeleine Hightower. Inconcevable, pensez-vous. Vous aurez alors saisi à quel point l'auteur était novateur dans la Roumanie des années vingt-trente. Quant au prix, si l'on parlait à Mihăescu de l'encre électronique, il arborerait sûrement un sourire inquiétant...


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La version électronique présente l'avantage, par rapport à la version papier déjà commentée, de son prix, à la limite de la gratuité, sans compter sans doute les promotions périodiques. La typographie est soignée, comme l'orthographe, ce qui est loin d'être toujours le cas, y compris dernièrement chez les éditeurs les plus réputés.
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