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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Années trente en Roumanie. Negrisor, le narrateur, est un amoureux transi : incapable d'exprimer clairement ses sentiments, il cumule tellement les maladresses que son comportement en devient loufoque et cocasse, lui faisant rater toutes les occasions de bonne fortune qui se présentent à lui. Se réfugiant entre songes éveillés et velléités suicidaires, il n'en poursuit pas moins à sa façon le tendre objet de ses désirs : l'appétissante Eleonora à la peau couleur chocolat, amusée et incrédule, pas si indifférente en définitive, même si les incohérences de Negrisor semblent donner l'avantage à son détesté rival Modreanu.


Quel surprenant petit livre, à mi chemin entre la nouvelle et ce qu'on imaginerait facilement devenir une pièce de théâtre, et surtout, quel déconcertant personnage que Negrisor, que la lucidité fait constamment osciller entre désespoir et auto-dérision, et qui, au plus profond de son drame personnel, ne parvient jamais à être pris au sérieux. Pourtant, que d'imagination et de poésie dans la tête de ce clown malgré lui, véritables exutoires qui ne font que rendre encore plus illisibles les comportements de cet homme trop sensible et touchant.


Comment ne pas être tenté d'y voir certains traits de l'auteur, qui, comme l'explique la traductrice dans sa préface, rédigea « l'essentiel de l'oeuvre romanesque de son pays à son époque » , mais qui, jugé « discret, effacé », à la vie « sans relief », reste aujourd'hui méconnu ?


Incisif et moqueur, noir et sans illusion, imagé et poétique, novateur et flirtant parfois avec l'absurde, ce texte singulier révèle une plume qui méritait de sortir de l'oubli, ce à quoi contribue brillamment la traduction française de Gabrielle Danoux.


Merci à elle de m'avoir fait découvrir cette oeuvre, au cours de ce qui est pour moi presque une première rencontre avec la littérature roumaine, si l'on excepte Eugène Ionesco.


Vous pouvez lire sur mon blog mon interview de Gabrielle Danoux, romancière et traductrice de La femme chocolat, mais aussi de nombreux autres ouvrages de la littérature roumaine :
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/09/interview-de-gabrielle-danoux.html




Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Parmi les livres de la littérature roumaine traduits par Gabrielle Danoux j'avais l'embarras du choix. Je dois avouer que j'ai choisi celui-là pour commencer cette découverte du fait de son titre. La femme chocolat. Il me suffit de lire ce titre ou de l'écrire pour avoir la chanson d'Olivia Ruiz en tête : « Taille moi les hanches à la hache / j'ai trop mangé de chocolat. Croque moi la peau s'il-teplait / Croque moi les os s'il le faut [….] Au bout de mes tout petits seins / s'insinuent, pointues et dodues / deux noisettes , crac ! Tu les manges ».

Bien m'en a pris. Un titre gourmand pour un livre qui ne l'est pas moins. Gourmand, bien écrit, sensuel, percutant, ironique, plein d'humour, poétique et pourtant relatant un drame, drame amoureux du point de vue de celui qui raconte l'histoire : Negrişor. Un livre qui ressemble à une nouvelle. Un livre qui se lit d'une traite.

Negrisor est amoureux d'Eleonora, qu'il nomme la femme chocolat du fait de la couleur de sa peau et de l'appétit qu'il éprouve pour elle. Or, celle-ci, pourtant pas indifférente, a également un autre prétendant, Modreanu, qui l'attire moins physiquement mais qui est plus rassurant psychologiquement, du moins moins incohérent. Negrisor, il est vrai, a du mal à exprimer clairement ses sentiments, est terriblement maladroit. Il oscille avec loufoquerie entre songes éveillés et désirs suicidaires, paranoïa et élans d'amour pur.
Comme il est indiqué dans un prologue très intéressant, narrant la vie de l'auteur (ce que j'ai particulièrement apprécié vu que je découvre totalement la littérature roumaine – excepté Ionesco - et cet auteur), Interrogé en 1932 au sujet de la Femme chocolat, Mihăescu répond : « La Femme chocolat est une bachelette qui a le teint couleur chocolat. C'est tout et rien de plus. Cependant, quel subtil venin, quel drame, quel pouvoir meurtrier, latents, ne gisent sous cette apparence douce, sous cette peau mate, comme assombrie par la couleur du crépuscule éternel, qui d'emblée semble prête à fondre délicatement sous la compression du premier baiser, comme un carreau de chocolat ».

J'ai adoré dans ce petit livre les scènes de rêves éveillés d'un humour décapant. J'ai souri, j'ai ri. J'ai compati aussi. « La force de son imagination accentuait son attendrissement. Il se figura écrasé sur le bitume, déchiqueté par les crocs métalliques, Modreanu et Eleonora debout sur l'appui de la fenêtre : lui l'air triomphant, elle, tétanisée devant la grande révélation. Elle se rendait enfin compte de la grandeur de l'âme qui l'avait aimée et à quel point elle avait été aimée par cet esprit devenu, pour elle, quartiers d'animal abattu. »

J'ai aimé les nombreuses descriptions sensuelles de cette femme chocolat : « À peine les larges manches avaient-elles recouvert les épaules, qu'aussitôt les mains agiles se mirent à ranger les cheveux et exposèrent ainsi leur entière beauté, dévoilant même les obscures fossettes des aisselles, pendant que la fente du décolleté autorisait la découverte, avec une certaine agitation, tels les clignements rusés d'un oeil géant, de cette rainure entre les deux seins frémissants. »

J'ai étéparticulièrement sensible à la poésie qui jalonne le récit : « le pas de Negrişor prenait une allure de plus en plus nerveuse, alors qu'elle le regardait avec des yeux démesurément grands qui, crescendo, devenaient phosphorescents, comme s'ils se décomposaient en milliers de minuscules étincelles, infiniment nombreuses, pendant qu'elle le regardait. La lumière ainsi dégagée permettait à Negrişor de voir comment sur ses lèvres un nouveau sourire, inconnu, grandissait. »

J'ai aimé entrevoir cette ville roumaine de Cluj, même si l'essentiel des scènes se déroulent en intérieur (j'imagine très bien une adaptation sous la forme d'une pièce de théâtre d'ailleurs) : « La rue ensoleillée se déroulait devant lui, les parfums colportés par les filles coulaient à flots dans le caniveau, les jambons suspendus aux devantures des épiceries et les tonneaux de tarama, de harengs fumés et de fromage dressaient le tableau de l'abondance et du bonheur universels comme le bruit de la rue, le bourdonnement des abeilles, les chevaux décharnés des cochers et même cette merveilleuse statue équestre de Matthias Corvin qui se trouvait juste là, bien installée sur son socle ».

En ouvrant ce livre je n'attendais rien, et j'ai été agréablement surprise. Pas de doute, je vais continuer à parcourir des oeuvres de la littérature roumaine en remerciant chaleureusement Gabrielle Danoux pour cette belle découverte.
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1924. L'histoire démarre dans le salon de mademoiselle Eleonora. Negriþor s'est réfugié comme il se plait à le faire à la fenêtre. Il aime particulièrement s'y suspendre pour observer ce qui se passe en bas, ou peut être, tel un gamin désobéissant, pour attirer inconsciemment l'attention de celle qui semble ne plus le voir dès que Modreanu est dans les parages. Lui, préfère cependant se voir comme "un acrobate de cirque sur un cheval lancé à vive allure". Mais ce jour là, le mugissement de la scie mécanique en train de débiter du bois en bas de l'immeuble, va emballer son imagination au point de l'effrayer...

J'ai été décontenancée au départ par les brusques passages entre l'imaginaire et le réel. C'est d'autant plus accentué que nous découvrons les pérégrinations de Negriþor à travers son unique perception. Mais on s'y fait assez vite finalement. Désir, temps, obsession, jalousie, fatalité s'y mêlent à tour de rôle. Negriþor est viscéralement subjugué par la femme couleur chocolat. Elle est comme une gourmandise au fondant doux-amer à laquelle il ne peut résister. Et sa maladresse pour exprimer ses sentiments et les extérioriser est vraiment touchante. Sa vie intérieure, riche et tumultueuse, ne lui facilite pas les choses. Car notre Negriþor vit sa vie comme un songe éveillé. Il s'enferme dans des obsessions qui nourrissent et enflamment son imagination foisonnante, et attend que la fatalité ou le destin décide de la route qu'il empruntera.

Il est dit dans la préface que l'auteur "admirait les romanciers Russes". Je ne suis pas surprise. Par certains aspects, on en ressent l'influence. Décédé prématurément en 1935 à l'âge de 41 ans, il n'a sans doute pas pu révéler toute l'étendue de son talent. Pourtant, ce court roman de 80 pages en offre déjà un aperçu significatif. A mi chemin entre le roman psychologique et le roman fantastique, les mésaventures de Negriþor auraient même pu faire une formidable pièce de théâtre. Et peut être y en t-il eu une. Assurément, un livre à découvrir. Étrange et fascinant.

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Étrange et captivant. D'un goût subtil et fondant, comme une friandise qui nous nargue et nous torture derrière une vitrine, inaccessible. C'est ainsi que cet homme vit sa passion dévorante, pour cette femme à la peau couleur chocolat. Entre fantastique et imaginaire, avec une pointe d'humour, on suit les mésaventures amoureuses de cet homme obsédé par cette femme chocolat. Cette femme qui ne comprend rien à l'envoûtement qu'elle suscite, et s'en amuse parfois. Cet homme maladroit qui ne sait pas dire les choses clairement, qui les vit plus dans sa tête que dans la réalité. Un homme dont les sentiments sont trop intenses pour exister.
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Une féerie de mots ou des mots féeriques pour nous faire découvrir une histoire assez étrange écrite par Gib I. Mihaescu. Gabrielle Danoux nous fait découvrir cet auteur roumain qu'elle présente dans sa préface très intéressante. Ecrivain décrit comme discret et effacé, il n'en est pas moins celui qui écrivit une grande partie des romans roumains de l'entre-deux-guerres jusqu'à 41 ans, âge de sa mort. Son oeuvre, malgré tout assez méconnue, n'a été que très peu traduite, en français notamment.
Mais Gabrielle Danoux, traductrice de talent bien connue des babeliotes, s'est intéressée à cette Femme chocolat et nous livre avec ses mots toujours plus enchanteurs ce récit sensuel et un brin farfelu ;-) !
Mademoiselle Eleonora, jeune femme au teint chocolat ne manque pas de charme pour ses 2 amoureux transis que sont Negrisor et Modreanu.
Modreanu est plus sûr, plus confortable, plus équilibré et promet donc un avenir plus sécurisant car oui, il s'agit bien de se marier avec l'un ou l'autre.
Negrisor manque de confiance en lui, paraît suicidaire et on ne sait pas jusqu'où il est prêt à aller pour conquérir ou du moins déguster sa belle ! Il fait beaucoup rire Eleonora qui, en même temps ne sait pas trop sur quel pied danser avec lui. Il imagine des situations un peu (beaucoup) délirantes et du moins au début, on ne sait pas trop où se situe la frontière entre son imagination et le réel.
Sari, une autre jeune femme à la couleur chocolat aussi entre dans la danse mais là non plus Negrisor n'est pas le seul prétendant...
Entre poésie, humour, un peu de folie, ce texte nous fait découvrir la littérature roumaine. Gabrielle Danoux, de son propre aveu ;-) reste au plus près du récit original confirmant que l'auteur a beaucoup de talent et un vocabulaire très riche. Il faut s'immerger dans cette nouvelle ou court roman pour bien en ressentir l'atmosphère à la fois gourmande, fantastique et pleine d'amour, de passion mais aussi d'obsessions.
Gabrielle Danoux prouve une fois de plus qu'elle est une traductrice hors pair, qui maîtrise la langue et le vocabulaire français à la perfection, surtout quand on sait qu'elle est née en Roumanie et y a passé son enfance.
Merci Gabrielle pour m'avoir fait découvrir cette « Femme chocolat » que j'ai mis du temps à commencer mais que j'ai savouré !
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Après avoir lu et adoré « Coeurs cicatrisés » de Max Blecher, traduit par Gabrielle Danoux, j'ai eu envie de lire un autre roman de la traductrice et j'ai choisi « La femme chocolat ».

Ce roman relate une sombre histoire de passion amoureuse, véritable torture psychologique pour le narrateur qui s'emprisonne dans un triangle amoureux dont il ne peut sortir.

*
Le titre m'a tout de suite rappelé la célèbre chanson d'Olivia Ruiz.
Ces deux femmes chocolat ont en commun le charme, la séduction. Mais « la femme chocolat » de Gib. I. Mihaescu est très différente. Par son attitude provocante et fascinante, elle joue avec les sentiments de Négrisor, le narrateur, attisant sa colère et sa jalousie.

« Elle s'était maintenant relevée et le regardait, souriante comme un chien qu'on gâte parce qu'il est prêt à affronter la mort au moindre signal. »

*
Dès les premières pages, j'ai été saisie par la puissance du texte. Il se dégage une force inouïe.
Je ne vous dévoilerai pas le texte mais j'ai particulièrement aimé la première partie du texte, avec cette idée de précipice devant la fenêtre du salon d'Eleonora, cet attrait du vide semblable à ce vertige amoureux.
Et que dire de cette scie aux dents métalliques acérées que Négrisor voit et entend, miroir de ses émotions.

*
A travers ce texte, on découvre Négrisor, un être à part, instable, taciturne. Très discret sur ses sentiments, il n'ose avouer à Eleonora les sentiments qui l'animent. La beauté délicieuse de son teint couleur chocolat l'obsède. Cette femme accapare ses pensées, ses rêves dans lesquels il peut la déshabiller sans pudeur et parcourir son corps, la goûter, la savourer.

« Dans son imaginaire, il admira ce corps entièrement nu, allongé devant lui, enveloppé de cette même couleur foncée et dévorante du visage, se débattre insatiablement dans les frissons de la passion… »

Les autres femmes sont quelconques à ses yeux, insipides. N'ayant pas cette saveur chocolatée qu'il aime tant, elles s'évaporent devant cette sublime « bachelette ».

« Ses cheveux de chocolat, ses pommettes, ses bras ronds, son cou et tout ce qu'on pouvait entrevoir de l'insatiable poitrine, le tout, absolument tout de la douce couleur chocolat, Negrişor les regardait avec l'envie que ressent un enfant devant un gâteau. Dans sa bouche cupide d'anthropophage, il les sentait fondre. »

*
Sûre de son pouvoir de séduction, à la fois attirante, provocante, manipulatrice, insatisfaite de son manque d'engagement et de sa réserve, Eleonora, charme Modreanu tout en observant les réactions de Négrisor.

Négrisor apparaît ainsi bien fragile. Son comportement obsessionnel, maladroit et incompréhensible, l'insupportable présence de ce rival le précipitent dans des rêves éveillés, des hallucinations, des pensées violentes, des pulsions inquiétantes. La peur de ne pas être l'heureux chanceux qui ravira le coeur de la belle le fait douter sans cesse.
Le lecteur suit cette joute amoureuse, pris dans ce tourbillon de sentiments exacerbés et d'émotions contradictoires. La réalité et le rêve se confondent, soulignant la souffrance psychologique du narrateur, son sentiment d'exclusion et de rejet.

Son esprit torturé m'a beaucoup questionné et je me suis interrogée sur la part qu'occupe la réalité dans ce récit en partie fantasmé.

J'ai aimé suivre les pensées du narrateur, instillant au lecteur une angoisse, la peur, l'attente d'un drame imminent.
Lequel ?
Plusieurs hypothèses se bousculent dans l'esprit du lecteur qui, impuissant, ne peut que poursuivre, espérant un dénouement heureux, mais envisageant tout de même une fin tragique.

*
Durant tout le récit, j'ai trouvé les personnages ambigus, sombres, inquiétants.
J'aurais pu avoir de l'empathie pour cet homme malheureux qui aime mais qui est devenu le jouet de cette femme malsaine. J'aurais pu compatir mais pourtant, je n'ai pas pu m'attacher à cet homme bizarre, un peu fou aussi, honteux du désir qu'il éprouve.
D'habitude, j'ai besoin de ressentir de l'empathie pour le personnage principal, mais cette fois-ci, cela ne m'a pas gêné, bien au contraire. Cette absence de sympathie rend le narrateur inquiétant, voir dangereux.

*
Pour conclure, le texte est harmonieux, se déployant avec finesse, intensité et sensualité. La traduction de Gabrielle Danoux est très belle.
Le style recherché, poétique, obscur crée une atmosphère dramatique qui m'a plu.
Ce roman restera pour moi une belle découverte littéraire.
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C'est grâce à Gabrielle Danoux , la traductrice du livre, que j'ai pu lire cet auteur roumain.

Negrisor est amoureux de Melle Eleonora à qui il rend visite dans son salon privé. Soudainement, son attention est attirée par ce qui se passe à l'extérieur. Il se penche à la fenêtre, et fasciné, il voit, son rival amoureux, Modreanu, se faire déchiqueter par une scie électrique. Est-on dans un rêve ou une réalité ? Un récit fantastique ? Ensuite, un délire prend forme autour de la « femme chocolat », alias Melle Eleonora, nommée ainsi par Negrisor.
Ecrit de façon fluide, empreint de poésie par moments, le roman est très riche, vivant, sonore même, car il est l'expression de la vie du personnage très animé d'un sentiment obsédant. L'idée de la fenêtre est très présente, des éléments se mélangent, se métamorphosent.

Il n'a pas toujours été d'un abord tranquille pour moi à cause du côté immatériel. En effet, Negrisor est sans cesse en décalage par rapport au réel, dont il paraît très loin d'ailleurs, et nous aussi avec lui, au point de ressentir comme une impression de flottement, pas les pieds sur terre du tout.

Mais par la suite, je me suis demandée si les délires de Negrisor n'étaient pas plutôt le fait d'un homme malade ou fiévreux au moins, sinon dérangé, ou bien s'ils n'exprimaient pas tout simplement la puissance de son amour au point de le rendre fou ?

Un grand merci à Gabrielle pour cette découverte. La littérature roumaine est finalement très peu connue. Je me souviens de ma lecture des « Chardons du Baragan », de Panaït Istrati, qui était également très vigoureuse, et je trouve que c'est une très belle initiative de sa part que de nous la faire connaître.
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"Qu'il me baise des baisers de sa bouche !
Car ton amour vaut mieux que le vin,
tes parfums ont une odeur suave ;
ton nom est un parfum qui se répand ;
c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.

Entraîne-moi après toi !
Nous courrons !
le roi m'introduit dans ses appartements...
Nous nous égaierons, nous nous réjouirons à cause de toi ;
nous célébrerons ton amour plus que le vin.
C'est avec raison que l'on t'aime.

Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem,
comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon.
Ne prenez pas garde à mon teint noir :
C'est le soleil qui m'a brûlée."

Le Cantique des Cantiques, chanté par Gib I. Mihaescu dans un texte en prose, rend hommage à la couleur de cette femme, la Sulamite, femme érigée en idole, en statue changeante. La Femme chocolat, c'est la femme qu'aime Negrisor, Eleonora, sa déesse de l'amour, ou Sari, figure de la déesse-mère fertile. Le gourmand aime par dessus tout la couleur et la texture de la peau comme du chocolat, la saveur amère de la femme qu'il goûte lorsqu'il embrasse son corps. C'est l'initiation d'un homme qui prend la posture de l'amant incompris, qui crie l'amertume, sa douleur d'aimer ces femmes, ces poules en chocolat, ces cocottes, qui reçoivent chez elles en déshabillé d'autres hommes. La Vénus noire (Angela Carter), la Vénus à la fourrure (Léopold von Sacher-Masoch ) sont des femmes de joie, au rire sarcastique, diabolique, qui poussent les hommes vers le soleil de la mélancolie, vers l'abîme, vers une fenêtre noire, donnant sur une mer de bitume ou sur la scie mécanique, aux dents qui déchirent la chair, arme sacrificielle, pour que l'homme serve d'offrande à la déesse cruelle, cannibale. L'homme goûte le chocolat mais c'est le chocolat qui l'engloutit dans un appareil qui fond, qui dissout son être, après qu'il soit tombé d'une tour ou d'une maison dieu, comme au tarot, dans un puits sans fonds, la tête la première, pendu, suspendu à l'envers. Illusion, pavillon d'ombres, lumières fantastiques des prunelles noires, un rire dans la nuit, cette nouvelle me rappelle les contes initiatiques d'Hoffmann où l'élan amoureux confine au néant.
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Il ne faut pas chercher à tout comprendre dans ce roman proche d'une nouvelle.
Il faut se laisser emporter par les mots de l'auteur et les maux du personnage. Negrisor, le personnage principal, se laisse entraîner dans ses délires, sa paranoïa.
Il est grisé par Eleonora et sa peau chocolat mais il a un adversaire.
Sa jalousie l’emmène dans ses égarements.
Les phrases sont belles (j'ai parfois pensé à Stéfan Zweig) mais les pérégrinations décousues, les aller-retour entre la réalité et les rêves (sans jamais savoir où nous nous situons) ne m'ont pas totalement embarquées.
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Negrisor est fou d'amour pour Eleonora, une jeune femme à la peau chocolat mais il n'arrive pas à lui déclarer sa flamme. Face à son rival Modreanu, moins beau mais plus sûr de lui, Negrisor se sent impuissant.

L'histoire est simple et prévisible mais le traitement proposé par l'auteur est assez original. le texte opère sans cesse un basculement entre la réalité et les pensées de Negrisor confondant ainsi le monde réel et le monde intérieur du personnage. Negrisor est comme un enfant qui se réfugie dans un monde imaginaire car il n'est pas capable de faire face à la réalité et ces situations virent souvent à l'absurde ou au macabre.
Cette confusion du réel et des pensées est assez déroutante, le lecteur se perd, comme le personnage, dans le fantasme. L'obsession du protagoniste pour Eleonora apparaît dans des descriptions sensuelles de son corps et des nuances de sa peau.
Il y a beaucoup d'images, de symboles dans ce texte. Negrisor fait souvent référence à une scie mécanique qui broie les troncs dans une sorte de hurlement. On peut y voir un symbole de la vie de Negrisor lui-même broyé par le sort qui semble se moquer de lui.
Plusieurs fois apparaît l'image du personnage se penchant à la fenêtre, sorte de mince frontière entre la vie et la mort.

C'est tout cet aspect visuel qui apporte de la subtilité et de la complexité au texte et qui fait que petit à petit on voit le personnage s'enfoncer dans la folie, illustrant ainsi l'expression "être fou d'amour".

Je remercie Gabrielle Danoux, traductrice de ce livre, de m'avoir permis de découvrir la littérature roumaine.
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