«
Ce qui est affreux dans l'amour »
Nicole Müller (
Actes Sud, 110 petites pages).
Un livre publié en 1993… mais il est parfois intéressant de faire les « sorties d'inventaire » de la médiathèque locale. Il est difficile de trouver des informations concernant
Nicole Müller, Suissesse de langue allemande, mais c'est apparemment son seul bouquin traduit en français (sur les 6 qu'elle semble avoir écrit jusqu'en 2004). Dommage. Car bien écrit, original, c'est un bon livre, un bon récit (plus qu'un roman).
C'est un retour sur une histoire d'amour féminine perdue par une femme, construit comme possiblement - mais pas assurément - autobiographique. « Je » est homosexuelle, « Elle », mariée, va quitter son mari avant de le retrouver après 4 ans de passion lesbienne, entre Suisse et beaux quartiers de Paris. C'est cette douleur, ce manque qui font l'étoffe du bouquin, et qui nous parle donc à tous. La construction est très originale : après deux brèves notes liminaires présentant les personnages et le thème du livre, il n'y a pas de chapitres, mais de minuscules paragraphes (parfois juste des aphorismes), la plupart du temps de quelques lignes à peine, numérotés de 1 à 498, avec parfois des renvois à tel ou tel numéro. Et malgré cette construction en kit, refusant une linéarité temporelle,
Nicole Müller parvient à raconter vraiment une histoire, à nous y tenir, même si d'emblée nous en connaissons la fin. Ses sentences sont presque toujours pertinentes :
« - L'ordre est aléatoire. La mémoire ignore la chronologie. Elle a la simultanéité des rêves.
- Deux phrases par jour peuvent aussi faire un livre.
- C'est difficile de ne pas avoir le beau rôle dans sa propre histoire.
- Ecrire signifie chercher. Ce que l'on trouvera est incertain. Voilà ce qui nous empêche souvent de commencer la quête.
- Parfois, je me soupçonnais de l'aimer pour avoir une adresse où pouvoir écrire.
- On ne voit qu'une phrase tient que si elle est posée.
- Ecrire, c'est cogner sur les choses jusqu'à ce qu'elles livrent leurs tripes.
- Heureuse, je ne le serai jamais. Vouloir être heureuse, toujours. »
C'est une fine réflexion sur la passion, sur l'écriture (« Je » est écrivain), qui renvoie chacune et chacun à ses amours perdues ou présentes. Et l'on se cogne à « la bague que l'on garde », au rapport entre frigidité et impuissance (présenté sous un angle que je ne partage pas forcément, mais quelle lucidité rare de les mettre en perspective). J'ai été troublé de frôler ce gynécée irrémédiablement inaccessible, au-delà même de la sexualité. Un beau livre à partager avec son alter ego.