Paru aux éditions « Aux cailloux des chemins » dans la collection « Nuits endormies », ce recueil se présente en deux parties : « User le bleu » et « Sous la peau »
« User le bleu » nous plonge dans le monde du travail, celui où les évaluations tombent comme feuilles de marronniers et où l'on côtoie ses chefs
On ne demande pas au chef
d'avoir de l'empathie
mais de trancher
dans le vif
du sujet.
Dans ce métro-boulot-dodo, Murièle Modely puise le sujet de ses poèmes dans le concret de chaque jour. Á partir du fil ténu de son quotidien, elle tisse des histoires et donne vie à ses rencontres, même éphémères, comme cette fille en larmes croisée dans le métro.
Elle n'a pas répondu
elle m'a regardé
j'ai ramassé ses yeux pour en user le bleu
tout le jour au bureau.
Elle sait pointer de sa plume les petits dysfonctionnements dans le travail, les relations professionnelles, comme cet ourlet tenu par une épingle. Mais l'indulgence n'est jamais loin
Un chef qui ne sait pas faire un ourlet ne peut pas être foncièrement mauvais
Dans la seconde partie, « Sous la peau », Murièle Modély aborde l'intime et la famille et sa langue parle vrai, sans affèteries.
Elle évoque le futur où elle imagine que, à la place des yeux et de la bouche, nous aurons des greffons / solidement scellés. Puis revient à l'enfance et la relation maternelle dont le souvenir est [s]a peau noire lovée dans l'arrondi d'un bras, cette peau qui, avec l'âge, va se distendre, alors que celle qui l'habite n'a pas changé.
Le corps est très présent dans cette seconde partie, et avec lui la couleur de la peau et les origines, l'ile de la Réunion, avec les malentendus inévitables
Ce là-bas, tu sais, ce lieu non-lieu
Plein de soleil et de filles exotiques.
Les dernières pages évoquent la poésie et sa place dans la littérature. Et la poétesse qui s'est livrée avec naturel au lecteur conclue en nous murmurant
Peut-être que la poésie
est cette mise à nu
noire
sur blanc.
Je viens d'achever ce recueil sans emphase, qui va droit au coeur, qui parle de quotidien, de travail, d'origines, de métissage, de beauté.
L'écriture est subtile et forte, je suis heureuse d'avoir fait la connaissance de cette poétesse - pour moi "poétesse" est un amplificateur de "poète" comme "prêtresse" de "prêtre". Sans doute du fait de la sincérité d'une inspiration qui est la projection de la part de sacré recelée en chacun de nous, mais que peu d'entre nous ont le talent d'interpréter sans mots inutiles, sans fards, sans dogmatisme, ni prouesses en forme de calligrammes. Pas besoin non plus de sujets rares, d'aventures sensationnelles. Les vraies merveilles sont à porté de main, offertes dans une parole simple et claire, sans sophistication, mais non sans recherche sculpturale des mots.
Je me suis procurée un autre recueil de Murièle Modely "Penser maillée". Beau titre, belle langue, deux mots qui à eux seuls composent un petit joyau littéraire.
Je me demande
si un matin très tôt
deux types en uniforme
toqueront à ma porte
s'ils sortiront de suite les menottes
s'ils me liront la liste de mes droits
avant de me plaquer au sol
sans plus de préambules
peut-être
qu'ils m'ouvriront
la bouche avec délicatesse
pour chercher les fragments
d'embryons sous mes dents
peut-être
qu'ils larderont
mon matelas gentiment
pour trouver sous la bourre
mes vieilles illusions
peut-être
qu'ils auront
dans leur poche un scanner
pour sonder en douceur
ma tête pleine de vers
ou peut-être
qu'ils ne feront rien
que saluer poliment
que je me jetterai
à leurs pieds en pleurant
honteuse de mes crimes
avouant, ânnonant
mes mots, mes lâchetés
cachés sous le plancher
demain, me souviendrai-je
de la femme que je fus
de celle que je suis
quelque part
seule
à moitié nue
derrière la porte.
Un jour
à la place des yeux
à la place des mains
à la place de la bouche
nous aurons des greffons
solidement scellés
des écrans
des plaques de verre
propres
lisses
où nous pourrons jouir.
Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?