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sur 1576 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'aime à me rappeler des chemins qui me mènent à certains livres, surtout lorsque se crée une chaîne complice entre deux oeuvres qui ont résonné en moi. C'est le magnifique 209 rue Saint-Maur, autobiographie d'un immeuble, de Ruth Zylberman qui m'a conduit à Dora Bruder par la magie d'un commentaire.

Celui d'Enjie77. Et elle a raison de faire le parallèle entre les deux livres, la façon qu'a Ruth Zymberman de partir à la recherche des enfants juifs qui ont vécu dans un immeuble anonyme parisien durant l'Occupation fait écho à l'enquête de Patrick Modiano pour retrouver des traces de Dora Bruder, jeune juive dont il découvre l'existence par le biais d'une petite annonce paru le 31 décembre 1941 dans le journal Paris-Soir : ses parents la recherchent, elle a fugué.

Ceux qui sont sensibles à la prose de Modiano le seront à ce magnifique roman tant il exhale toute la quintessence du charme modianesque. On retrouve toutes les obsessions de l'auteur pour Paris, la période de l'Occupation, sa nostalgie, sa mélancolie. Sauf que là, sa topographie personnelle se double de celle d'une autre, Dora Bruder, et même culmine en une troublante psychogéographie à double face. Ce qu'il devine d'elle s'immisce en lui au point de le hanter. Lui aussi a fugué, lui aussi à un père juif qui s'est fait raflé ( mais qui en a réchappé ) à Paris en 1942, peut-être en même temps extrapole-t-il. Modiano et Dora semble fusionner comme le font les périodes évoquées en un tourbillon temporel pleine de douceur et de poésie.

« Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé ». Et c'est vrai qu'au gré des déambulations parisiennes de Modiano sur les traces de Dora Bruder, c'est surtout le vide et l'absence qui m'a saisie, l'empreinte de Dora est là, en creux, difficile à appréhender même si l'auteur parvient, entre recherches archivistiques et coup de pouce de Serge Klarsfeld, à reconstituer un petit peu de la vie de cette inconnue qui a vécu au 41 boulevard d'Ornano tout près de la porte de Clignancourt ( 18ème arrondissement ) avant d'être déportée à Drancy puis Auschwitz neuf mois après sa fugue de l'école religieuse Sainte-Coeur-de-Marie.

Le roman se termine par ces mots superbes: «J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.»

En abordant la grande Histoire sous l'angle d'un destin individuel, Patrick Modiano ressuscite des fragments d'une vie volée, tirée de l'oubli avec élégance qui avance à pas feutrés, avec une sensibilité qui frémit entre les mots et explore les subtilités de la mémoire et la complexité de l'identité.

En 2015, a été inaugurée une promenade Dora-Bruder : pas de plus bel hommage pour cette éternelle jeune fille et pour un auteur qui vibre Paris et s'y voit ainsi inscrit pour toujours.


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Il y a dix jours, mon mari m'a dit : "Tu as l'air fatiguée, je sais qu'en ce moment ce n'est pas la joie au boulot, allez, je t'emmène quelques jours à Barcelone".
Je sais, mon mari est formidable.

Là, normalement, vous vous dîtes que je me suis plantée de réseau social et que vous ne lirez pas un mot sur Modiano.
Faux.

Je reprends.

Après quatre jours sur les traces du fabuleux Gaudi, je me suis écroulée de fatigue sur un banc du métro - station Diagonal. Là, à côté de moi... un Folio. Étonnement. Rapide coup d'oeil à droite, rapide coup d'oeil à gauche ; personne à moins de six mètres, pas de doute, ce Folio est orphelin. Ma main se pose sur lui, consolante - "Qu'est-ce que tu fais là tout seul, pauvre petit livre ?" -, je le retourne et fais connaissance avec "Dora Bruder". Jamais entendu parler mais je suis d'une ignorance crasse à mes heures. Je lorgne surtout le nom de son auteur, un prix Nobel tout juste sorti de l'oeuf ! Joli clin d'oeil - comprendra qui pourra.

TOUT ça, oui tout ça pour introduire ma première expérience de book crossing !

Non, là, franchement, Gwen, tu abuses de leur patience.
Aux faits.

Pour ma défense, je n'étais pas la seule à ne pas savoir qui était Dora Bruder. Quand débute le récit, le narrateur ne le sait pas non plus. Il cherche à savoir, du coup moi aussi ; il m'entraîne avec lui, page après page, pas après pas, trace après trace. Nous voici compagnons de voyage.

J'ai vraiment aimé suivre son investigation désintéressée et pourtant obsédante pour découvrir qui était cette jeune juive qui vivait à Paris sous l'Occupation.

J'ai aimé ce récit et son étrange intensité pleine de pudeur, qui enveloppe certains détails plus que d'autres, qui développe l'émotion patiemment, qui aborde l'Histoire par une petite porte dérobée, intime, banale, commune. Aussi banale et commune que l'existence volée de Dora Bruder - 15 ans, déportée à Auschwitz en 1942 -, aussi banale et commune que toutes les existences volées par la guerre.

J'ai aimé mon premier Modiano ; j'ai aimé le rencontrer sur un banc à 900 km de chez moi.

Et par-dessus tout, j'aime être en vie et j'aime mon mari.


Challenge NOBEL 2013 - 2014
Challenge PETITS PLAISIRS 2014 - 2015
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''PARIS. On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris.''
C'est cette petite annonce, parue dans la rubrique ''D'hier à aujourd'hui'' du Paris-Soir du 31 décembre 1941, qui interpelle Patrick MODIANO. Sans doute parce que le boulevard Ornano lui rappelle les jours de son enfance où il le traversait avec sa mère pour se rendre aux Puces de Saint-Ouen. Commence alors pour l'auteur un long travail d'enquêtes dans les traces de la jeune fugueuse. Dora Bruder, juive, pensionnaire d'une institution catholique aujourd'hui disparue, rebelle et indépendante, décide de fuguer un soir de décembre 1941. Qu'a-t-elle fait avant d'être retrouvée par la police ? Avant que ne la rattrapent les lois anti-juives ? Avant d'être emprisonnée et déportée ? MODIANO, soixante ans après les faits, sait qu'il ne trouvera rien de l'adolescente broyée par L Histoire. Mais, il s'obstine à réunir de maigres informations, à marcher dans ses pas, à visiter les lieux qui ont gardé une trace de Dora Bruder. Et à travers elle, ce sont les fantômes de tous les juifs parisiens, français ou réfugiés, qu'il convoque pour raconter cette période trouble et dangereuse, que lui n'a pas connue mais qui trouve un écho dans son histoire personnelle.


De l'enquête minutieuse de Patrick MODIANO ne ressortent que des bribes, d'infimes morceaux d'une vie qui s'est diluée dans l'espace et le temps, dans des archives brûlées car honteuses, dans des lieux rasés après la guerre, dans une chambre à gaz d'Auschwitz. Dora Bruder, une juive parmi tant d'autres, une adolescente qui rêvait de liberté mais à qui le Paris de l'Occupation n'a offert que l'étoile jaune, les rafles, la déportation. Fugueur lui aussi, MODIANO a pu déambuler dans une ville libre, sûre. Des villes différentes, celle de 41-42, celle de de 1965 mais aussi celle au moment où il écrit son livre. Pourtant des traces subsistent. La mémoire s'est ancrée dans des lieux qui sont communs à la jeune fugueuse juive et à l'auteur en devenir. Ce sont ces endroits insignifiants à première vue, mais chargés d'histoires et d'Histoire, que MODIANO explore, ces rues, où Dora Bruder marchait, qu'il parcourt, aux aguets, pour saisir une ombre, une trace, un souvenir.
Dora Bruder restera l'insaisissable jeune fille qu'elle était déjà de son vivant mais la reconstitution de MODIANO, teintée de douceur et de mélancolie, ravive la mémoire de la souffrance des juifs de France. Pour leur donner, sinon une voix, du moins un reste de présence, ce petit roman, cette goutte d'eau, est un devoir de mémoire pour lutter contre l'amnésie collective. Triste et pudique.
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Pour ce livre je ne sais pas par où commencer. Ce petit livre ressemblant à quoi ? une enquête, des souvenirs, une réflexion historique, philosophique, personnelle, un chassé-croisé de ressentis ; ce petit livre donc qui peut aussi ressembler à une errance à travers la mémoire ; la mémoire collective, la mémoire de l'auteur, la mémoire d'une ville, la mémoire anonyme... Dora Bruder est entrée dans ma mémoire personnelle. Je ne peux commenter ce livre qu'en en parlant. Quand Modiano parle de l'étoile jaune un souvenir m'est revenu. La mère d'une de mes amies me montrant un soir chez elle, devant sa fille que j''étais venue chercher pour sortir, alors que nous bavardions de tout et de rien son étoile jaune qu'elle avait gardé. Celle qu'elle avait porté enfant (7 ans) dans Paris. On ne parlait pas du tout de ça et je ne m'y attendais pas. Ce qui m'a frappée d'emblée ce fut la grandeur de l'étoile. Je ne sais plus ce que la mère de mon amie m'a dit. Et puis elle a rangé l'objet. Moi je n'ai rien dit, je crois que je ne savais pas trop quoi dire. Je connaissais l'histoire familiale en pointillé, je savais que cette femme enfant avait échappé aux rafles en étant envoyée à la campagne par ses parents. Cette femme que je connaissais peu, sympathique, que je trouvais toujours un peu "fébrile" qui ne parlait jamais de la guerre, de ce qu'avait subi sa famille, m'avait soudain ouvert une page de sa vie intime et douloureuse, de sa vie d'enfant caché. Et puisque le livre parle de la période 41 et 42, cela m'a aussi fait penser à une réunion où j'étais avec cette même amie. Plutôt un petit "apéritif" après une expo, très peu de monde, nous étions les plus jeunes, cela en amusait plus d'un. A côté de moi, un homme vraiment grand, massif, imposant, franchement rigolard. Un autre parlait de lui en tant qu'ancien déporté d'Auschwitz, juif polonais ayant fait partie des rafles des juifs étrangers à Paris. Et lui évacuait cela d'un mouvement de la main en riant. Dora Bruder me fait penser à ces deux frères, dans cette même soirée qui nous ont parlé à mon amie et à moi. En 42 ils devaient avoir l'âge de Dora Bruder. Juifs français, style "vieille France", très courtois avec des manières un peu surannées. Famille française depuis longtemps, ils parlaient de leur arrestation en 42 et leur déportation encore outrés comme si on leur avait fait une blague de très mauvais goût, eux français à 200%. Ils en parlaient avec dégoût sur un ton très distingué et calme. Ils nous avaient donné leur carte de visite en nous disant de venir boire le thé à leur galerie d'art, ravis que deux jeunes filles attentives et un peu trop silencieuses (à mon goût) soient là et s'intéressent à cette période et à ceux qui en étaient la survivance. Quand nous sommes parties de cette exposition, mon amie et moi avons marché un instant en silence. Mon amie m'a dit :
- tu iras prendre le thé chez eux ?
- bien sûr. Ça m'intéresse de voir leur galerie et je les trouve charmants.
Et aussi parce que j'avais peut-être vu dans leurs yeux bleus à tous les deux le passage des fantômes qui réclamaient leur part d'écoute et de paroles. Voilà à quoi m'a fait penser la lecture de Dora Bruder. Et ne pas parler de ces expériences personnelles par rapport à la lecture de ce livre n'auraient eu aucun sens à mes yeux et auraient sonné étrangement. Modiano arpente sa mémoire fantomatique, sa mémoire vive et déchirée, sa mémoire quadrillée comme un cadastre. Et redonne substance aux mémoires oubliées, enfouies et désertées. En parlant de Dora Bruder il parle de toutes celles et tous ceux disparus, dont il ne reste parfois rien, comme si leur vie avait été une abstraction cosmique. Ce petit livre renferme des milliers et des milliers d'âmes.
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Chère Dora Bruder, vous resterez pour moi à jamais une éternelle jeune fille de quinze ou seize ans, c'est-à-dire celle sur ces photos sépias où votre visage, votre sourire, vos yeux, ont été immortalisés pour les toutes dernières fois.
Vous êtes née le 28 février 1926, c'est-à-dire juste un mois avant la naissance de ma mère. Vous aviez donc le même âge. J'ai vu de ma mère des photos où elle avait quinze ans, elle aussi portait comme vous des socquettes blanches. Vous auriez pu être amies dans la tourmente qui vous liait mais qui allait vous entraîner vers des chemins différents.
Chère Dora Bruder, vous ne connaîtrez jamais l'étreinte sensuelle d'un amant, ni celle d'un mari. J'imagine les enfants que vous auriez eus, les petits enfants. J'imagine la grand-mère idéale que vous auriez été, racontant à vos petits-enfants vos fugues dans les quartiers de Paris maillés par les Allemands, la Gestapo et la police française.
Vous ne serez jamais cette grand-mère, cette mère, cette amante... Vous aurez seize ans à jamais...
Un homme vous a suivi dans la rue. Vous ne le saviez pas. Et pour cause, il a commencé à vous suivre cinquante ans plus tard, cinquante ans après que vous avez disparu du paysage de Paris, du boulevard Ornano, de la rue Pic-pus, du pensionnat religieux dans lequel vos parents vous aviez confiée pour vous protéger... Transit vers Les Tourelles, puis le camp de Drancy avant de partir pour Auschwitz le 18 septembre 1942, dont vous ne reviendrez jamais...
Un homme vous a suivi dans Paris parce qu'il a cru vous reconnaître peut-être, sans vous connaître vraiment. Il s'appelle Patrick Modiano. Pardonnez-lui, il fouille, il farfouille dans la mémoire d'une ville et des âmes, il ne le fait pas comme un flic, il le fait pour vous sauver de l'oubli. Pour que personne ne vous oublie, à jamais.
Grâce à lui je vous ai connue.
J'imagine son émoi lorsqu'il tomba ces années plus tard sur un vieux journal, Paris-Soir, qui datait du 31 décembre 1941 et qui mentionnait :
« PARIS
On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications ç M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris. »
J'imagine le trouble qu'il a eu devant les photos de la jeune fille souriante que vous étiez, que la barbarie à visage humain allait broyer quelques mois plus tard. Terribles ces photos, comme des instants de bonheur à jamais figés au-dessus du vide.
« Ces ombres et ces taches de soleils sont celles d'un jour d'été. »
Patrick Modiano dit les choses en creux, dans la mélancolie simple et douloureuse des lieux qui gardent un souvenir, une empreinte invisible des personnes qui les ont habités. Patrick Modiano sait visiter des lieux, des quartiers, des immeubles, saisir cette empreinte... Nous transmettre aussi vers nous lecteurs cette manière d'appréhender un lieu chargé de cette puissance émotionnelle...
On aime ou on n'aime pas Patrick Modiano. Il a ses inconditionnels, il a ses détracteurs. Qu'importe ! Il se trouve que j'aime beaucoup cet auteur pour sa manière d'aligner sur de mêmes planètes les souvenirs, la mémoire et les lieux, de faire se promener tout cela, se déployer de tels paysages sur des pages entières.
C'est une introspection, il ressent parfois un vide en lui devant les choses détruites du passé, lorsqu'il revient en arrière dans une rue, lorsqu'il longe la façade de ce qui fut un cinéma de quartier et est désormais une vulgaire surface commerciale, lorsqu'il contemple une photo d'une être disparue, adolescente encore, vous chère Dora Bruder broyée par la guerre.
Chère Dora Bruder, vous avez laissé votre empreinte dans ces divers lieux de Paris et Patrick Modiano a su vous retrouver, marcheur infatigable, fugueur comme vous l'étiez cinquante ans plus tôt, il a su nous les restituer à sa manière.
C'est ce vide sidéral qu'il cherche à combler dans ses romans, il donne sens à l'idée de ne pas laisser le vide demeurer ainsi à jamais. Patrick Modiano cherche à combler des endroits devenus vides pour y remettre un nom, un visage, des gestes, des photos, des battements de coeur, des sentiments, de la vie, quoi !
Je ne saurais dire pourquoi Patrick Modiano a voulu vous faire surgir de l'invisible, comment il l'a fait, comment il a réussi à le faire.
Mais l'émotion du texte m'a étreint lorsque j'ai senti que dans vos pas, chère Dora Bruder, il y avait désormais les pas de Patrick Modiano, comme si vos pas se mélangeaient dans une si belle harmonie qui rendait impossible toute dissonance.
Ce récit, qui prend peu à peu dans sa narration une dimension universelle, n'appelle pas que le chagrin, je veux croire que le beau personnage que vous êtes chère Dora Bruder et qui surgit ici, rebelle et indépendante, emplie de beauté et de mystère, qui a su fuguer dans le contexte de l'époque, est une manière de donner aussi de l'espoir. Même si chère Dora Bruder, vous n'êtes jamais revenu...
Chère Dora Bruder, j'aime cette manière délicate qu'a eu Patrick Modiano de respecter quelques-uns de vos secrets jusqu'à l'ultime jour où vous êtes partie pour toujours.
« J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler. »
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Je ne connaissais pas l'écriture de Patrick Modiano. Je connaissais l'écrivain, son côté timide et introverti pour avoir regardé quelques interviews. Je ne saurais dire exactement ce qui me rebutait malgré les nombreux prix qui lui avaient été décernés peut-être sa difficulté d'élocution. Toujours est-il, certains commentaires sur Babelio on finit par me convaincre et j'ai jeté mon dévolu sur Dora Bruder.

Quelle belle découverte ! Très émouvante cette promenade en compagnie de Modiano dans des rues de Paris que je connais et qu'il affectionne. J'ai aimé reconstituer avec lui ces quartiers, ces maisons, ces hôtels disparus, m'arrêter à une station de métro, flâner entre passé et présent un peu comme dans un rêve, retrouver ce Paris populaire à la Robert Doisneau où Paname était à monsieur tout le monde. Chaque quartier était un village. Enfin, c'est ainsi que je me suis imaginée, tout au long de la lecture, tout au long de l'enquête, ce Paris de mes parents.

C'était assez étrange de revisiter et de tenter de reconstruire la mémoire de ces rues à la recherche de Dora Bruder, cette jeune fille juive disparue en décembre 1941 et dont les parents avaient passé une annonce sur Paris-Soir. Avec Modiano, les limites du temps n'existent pas. Tout se confond et fait écho, passé, présent. Je la voyais Dora et par moment elle nous échappait. Quel travail que celui de reconstituer point par point l'histoire de la famille Bruder. Modiano s'est procuré tous les documents concernant cette famille, toutes les annotations figurant sur les papiers de l'administration, du couvent où elle était pensionnaire, des Tourelles à Drancy puis Auschwitz, il n'a rien laissé au hasard.

Eprouvant aussi de replonger dans cette sinistre période si effroyable qui vient rappeler le tragique de l'histoire de la famille Bruder et de tant d'autres comme aussi celle du père de Modiano. Se figurer Paris envahit par les croix gammées et les uniformes noirs de la SS, se représenter la terreur de toutes ces personnes portant l'étoile, les rafles : bouleversant. Je l'ai vu Dora dans le panier à salade, le même panier à salade qui a emporté le père de Modiano.

Il sait manier la plume Patrick Modiano, c'est très beau, c'est épuré, entre mystère, passé, présent, nostalgie. J'ai bien aimé ce qui se dégage de l'écriture de Modiano, une espèce de tristesse, une mélancolie, je crois que l'on dit maintenant « modianesque ». On sent bien que les traumatismes liés à cette période sont encore bien présents dans l'esprit des enfants et petits enfants nés après cette période. C'est un peu comme si Modiano voulait redonner vie à Dora en tant que symbole de tous ces anonymes disparus sur le chemin de « Pitchipoï » surtout qu'au début de cette semaine de mai 2019, la stèle dédiée aux enfants de la rafle du Vel d'Hiv a été vandalisée.

La personnalité de Patrick Modiano me questionne, alors afin de mieux cerner son individualité, mon prochain Modiano sera Pédigree.



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Je m'étais promis de lire "Dora Bruder" pour célébrer le prix Nobel de Patrick Modiano, que j'ai découvert il y a très longtemps avec "Rue des boutiques obscures".

Résumé
L'auteur tombe sur une annonce, dans une édition de "Paris Soir" du 31 décembre 1941: "On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à Mr et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris".

Il va partir à la recherche de cette jeune fille, parcourant les documents d’État Civil, arpentant chaque rue de Paris, sur ses traces et essayer d'en savoir plus, sur elle et sur sa famille, dans ce Paris de 1941-42.



Ce que j'en pense

J'admire ce travail de fourmi qu'a réalisé Patrick Modiano, pour essayer de retrouver l'histoire de cette jeune-fille, lui donner une identité, nous en apprendre le plus possible sur la personne physique qui se cache derrière cette annonce. On la voit se matérialiser devant nos yeux, avec opiniâtreté. Il essaie de retrouver le plus de détails possible, même le temps qu'il faisait le jour de la fugue de Dora.

J'ai arpenté ces rues, ces quartiers à sa suite. J'ai mis mes pas dans ceux de Modiano, et peu à peu dans ceux de Dora qui me fascinait de plus en plus, à mesure que je tournais les pages. Je connais très peu Paris, donc ces rues, ces quartiers ne m'étaient absolument pas familiers, n'évoquaient pratiquement rien. Et, pourtant, j'ai marché avec lui. J'ai découvert, la petite chambre, le pensionnat. Les parents de Dora me sont devenus familiers; leur désarroi devant cette adolescente qui leur devient soudain étrangère.

Et puis il y a la petite musique Modiano, qui nous entraîne, mine de rien, presqu'en passant, comme cela, presque par inadvertance, où il a décidé de nous emmener, sans concession. Parfois, j'ai pensé au rythme lancinant, mais de plus en plus fort, du boléro de Ravel, car le texte prend de la force au rythme des pages.

Pourquoi avais-je décidé que ce serait ce livre-là en priorité, dans la reprise du chemin avec Patrick Modiano? Une évidence. Selon les critiques, c'est le livre le plus abouti, le plus puissant... Je pense que c'est la raison principale.

Le style de Modiano est particulier, sa quête vis-à-vis du devoir de mémoire plaît ou non, mais l'écriture est puissante si on veut bien se laisser porter par elle, ce qui n'est pas toujours évident. Ce n'est pas mon Nobel français préféré, (j'ai plus d'attirance vers J.M.G. Le Clézio, c'est certain, mais Patrick Modiano me touche, et la première interview qu'il a donnée après sa nomination, comme son discours lors de la réception de Prix Nobel en disent sur sa sensibilité.

coup de cœur
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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Ce court roman avait tout pour me plaire : une certaine nostalgie du Paris des années 60, Paris pendant l'occupation, une enquête non policière, dans les souvenirs et les archives, la tentative de faire revivre une anonyme à partir des traces, d'éléments fragmentaires auxquels il peut accéder … de ce point de vue je n'ai pas été déçue. A partir de la lecture d'une petite annonce, fasciné, hanté par Dora, il ne cesse de trouver des points communs entre elle et lui alors qu'au départ leurs points communs sont très ordinaires : un quartier, une fugue d'ado, et elle est juive. Sauf qu'une ado juive qui fugue en plein hiver sous l'Occupation, c'est tout sauf banal. de fil en aiguille Patrick Modiano trouve de plus en plus d'éléments qui font écho à son histoire personnelle et en chemin ressuscite des fantômes et des lieux disparus. J'adore être baladée par Modiano d'un ancien pensionnat catholique au Picpus des Misérables, du boulevard d'Ornano des années 40 à celui d'aujourd'hui, en passant par les années 60. du moins quand les associations d'idées qui provoquent le cheminement, aussi personnelles soient-elles, sont visibles. Or, dans Dora Bruder, il y a, à mon goût, beaucoup de ruptures dont on ne comprend pas les motivations, et au trois-quart de ce court roman je me disais que ce livre n'apportait rien de plus (je pensais au magnifique «Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus» d'Ivan Jablonka ou aux Disparus de Daniel Adam Mendelsohn )… jusqu'à ce que j'arrive à la conclusion, magnifique, qui, à elle seule, justifie le livre : «J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.»
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Le narrateur tombe sur une annonce datée du 31 décembre 1941 :

« Paris
On cherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris. »

Pendant des années, l'auteur enquête sur la jeune fille, il se promène dans les lieux où elle a vécu, regarde les plans du métro pour imaginer le trajet qu'elle suivait, contemple longuement une photo, s'interroge. Ce n'était pas le moment d'être dehors pour une adolescente juive.

Parce qu'il ignore où était Dora, ce qu'elle faisait pendant sa fugue, il complète sa biographie avec ses propres souvenirs, celui de sa propre fugue, son arrestation, une scène glaçante que je vous laisse découvrir.
Il complète aussi avec de courtes histoires de personnes qui ont peut-être croisé Dora, quand elle a finalement été appréhendée.
Une biographie et une autographie qui se répondent se rejoignent, mais qui gardent leur mystère.

Dora Bruder est un excellent moyen de découvrir l'oeuvre de Patrick Modiano, son travail sur le passé et la mémoire, sa quête d'identité, son intérêt pour la période de l'Occupation.

Lien : https://dequoilire.com/dora-..
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Patrick Modiano est fasciné par la période de l'Occupation. Pour ma part, je consacre de nombreuses lectures à ce pan d'Histoire.
D'un fait divers, une petite annonce d'avis de recherche , découverte par hasard , l'auteur, va permettre de mener une enquête sur cette toute adolescente fugueuse , Dora Bruder une jeune juive, au destin tragique.
Une exploration qui lui permettra de recueillir en partant de pas grand chose, un bon nombre de renseignements, de reconstruire avec tous les éléments d'un puzzle qu'il assemble patiemment, l'identité de la jeune fille, celle de ses parents, de raviver les drames et persécutions de cette triste époque, mais nous ne saurons rien des circonstances ayant entraîné cette fredaine. Peut être que la vie dans ce pensionnat lui était tout simplement intolérable. J'ai lu dernièrement des témoignages de femmes qui avaient, jeunes filles étaient placées au Bon Pasteur. Toutes dénonçaient une réalité barbare et odieuse à vivre.
Entre réalité et fiction, une lecture émouvante et plein d'enseignements.
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