La violence sous toutes ses formes, brute ou sourde, est flagrante dans ces 154 pages sous la forme de l'Odyssée d'un vétéran, retour de la guerre de Corée. Son parcours de l'aéroport militaire au Lotus de sa Géorgie natale (via Portland et Chicago) avance sur deux récits, celui de Franck, et celui d'un narrateur à qui il confie le soin de raconter : son enfance, ses souvenirs de guerre, ses fantasmes, rêves et cauchemars.
Au lecteur de confronter les deux « versions », de tenir compte du temps et de la succession des épisodes remémorés.
On admirera la concision du style, la densité des épisodes où la mort est omniprésente, et la violence, historique mais immanente, inscrite dans le territoire, les trajectoires de chacun et les esprits de tous. Toujours actuelle.
Cette violence et cette brutalité s' expriment par les poésies encadrant le récit (sauf que l'édition anglaise Chatto et Windus omet le poème final !), par la mélopée de désespoir et de résignation des personnages : Frank « il est mort quand même » p.110,,ou sa soeur Cee p.137 « D'accord. Elle n'aurait jamais d'enfant dont s'occuper etc. ».
Dans ce monde cruel, on trouve, parfois, de rares bons samaritains ponctuels, voire des religieux prudents, mais c'est surtout le choeur des femmes soignant Cee qui donne une touche d'humanité. Les hommes, à la fin du récit, n'en expriment, que des miettes.
de tous ces malheurs, liés fondamentalement aux discriminations, naissent des musiques
nouvelles des années 50.
Il (Franck) préférait le be bop au blues et aux chansons d'amour qui rendent heureux. Après Hiroshima les musiciens avaient compris plus vite que quiconque que la bombe de Truman avait tout changé, et que seuls le scat et le be bop parvenaient à dire comment ».
Je n'avais pas lu de livre aussi dense et maîtrisé depuis «
Le bruit et la fureur » de
Faulkner.