AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,98

sur 64 notes
5
4 avis
4
4 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« La nuit était calme, le train s'ébranla sans bruit. Quelques instants plus tard, nous laissâmes le pont derrière nous et poursuivîmes, dans la nuit étoilée, notre voyage vers un monde où personne ne nous attendait. Pour la première fois de ma vie, j'éprouvai un terrible sentiment d'angoisse. Je venais de comprendre que j'étais libre. Je fus saisi de peur. »

Il existe des découvertes littéraires qui s'impriment durablement dans la mémoire d'une lectrice. C'est exactement ce qu'il m'est arrivé dès les premières pages de ma lecture et comme les mots me manquent pour définir mon ressenti, je retranscris une critique du magazine LIRE :

« Marai ? C'est la littérature en manteau de vison, la petite musique d'une écriture mozartienne, l'élégance d'une aristocratie de l'esprit ».

Sandor Marai est doué, sa prose est percutante, talentueuse. Mais sa plume est aussi redoutable, ironique, mordante, d'une analyse sans concession des travers de l'être humain.
Sa façon de brocarder le monde politique comme ses semblables plus opportunistes les uns que les autres, sont des instants savoureux malgré la sombre période. Son observation, sa justesse de ton et sa clairvoyance en font un auteur hors du commun.

Journaliste, chroniqueur, poète, traducteur – il traduira Kakfa – auteur dramatique, admiré dans son pays pendant la période de l'entre deux guerres, il fut longtemps oublié à la suite de son exil volontaire aux Etats-Unis en 1948. Redécouvert grâce aux Editions Albin Michel dans les années 1990, il fait partie du cercle de ces écrivains exceptionnels de la Mitteleuropa comme Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler et Robert Musil.

A partir de 1943, il rédige des carnets de note qui seront édités plusieurs années après, ce formidable témoignage se veut un ouvrage à la fois politique, historique et autobiographique.

« Mémoires de Hongrie » est à rapprocher de « le Monde d'hier : souvenirs d'un européen » de Stefan Zweig. Sandor se suicidera à l'âge de quatre vingt neuf ans, veuf et dans un isolement assez difficile ! Ces deux livres sont, pour nous, aujourd'hui, des documents d'une grande valeur.

« Mémoires de Hongrie » commence avec l'entrée des soviétiques dans la Hongrie de 1944 afin de libérer celle-ci des nazis, pour se terminer au moment de l'exil de l'auteur vers les Etats-Unis en 1948. Antifasciste, démocrate convaincu, opposant à toute forme de régime totalitaire, marié à une femme d'origine juive, le couple Marai quitte Budapest pour se réfugier à la campagne. C'est là qu'ils vont assister à l'entrée victorieuse des chars soviétiques. Contraints et forcés, ils vont devoir cohabiter avec des soldats russes pendant un certain temps. La découverte de l'Autre, cet inconnu, incite Sandor à regarder avec curiosité teintée d'inquiétude, le fonctionnement de ces slaves venus d'orient, un peu comme on étudie le petit peuple des fourmis et c'est cette distanciation qui rend le récit instructif. D'origine russe par ma mère, c'est la curiosité qui m'a poussée à ouvrir ce livre, quel regard pouvait-on porter sur ce peuple ?

Je fais ici un aparté : Sandor constate que les soldats sont passionnés par les montres, les réveils. Ce sont des enfants plutôt sauvages et imprévisibles. Ce qui me rappelle une anecdote que racontait mon grand oncle français : prisonnier en Allemagne, il fut libéré par les russes. Il a vu un soldat soviétique demander à un prisonnier de lui faire deux montres dans un réveil, le prisonnier lui disant que c'était impossible, le soldat lui a tiré une balle dans la tête.

Revenons à Sandor Marai. Très imprégné de la culture occidentale, Sandor éprouve quelques difficultés à entrer dans la psychologie des soldats russes. Il les interroge et il s'interroge, il reste perplexe devant la personnalité de ces hommes et se pose la question de leur venue en Hongrie.

A l'issue du siège de Budapest, le couple retourne vivre dans les décombres de la ville qui annoncent les décombres de la pensée, des valeurs, des institutions magyares que les communistes vont petit à petit faire disparaître au profit d'un régime totalitaire. La Hongrie bascule d'une catastrophe vers une autre. Après la Première guerre mondiale, le traité de Trianon découpe la Hongrie, bouleverse ce pays. de nouveau, la Seconde guerre mondiale étouffera ce pays sous le joug communiste.

Sandor Marai assiste et note la manière dont l'installation graduelle du régime communiste s'effectue. La mise en place de la Terreur dans l'immeuble du 60, rue Andrassy à Budapest, l'abandon de l'esprit critique, l'abandon de la liberté d'écrire de l'écrivain sacrifiée au profit de la censure, les purges.

Le remplacement des politiques par des hommes corrompus à la solde de Moscou, des hommes sans conviction mais terriblement opportunistes, l'élimination de la bourgeoisie hongroise, dépossédée de ses biens pour mieux profiter aux nouveaux dirigeants, les sociaux démocrates sont balayées, c'est l'heure des chaises musicales, des uniformes remplacent d'autres uniformes.

Et dans cette période, privé de tout d'autant plus qu'il est un écrivain, Il écrit « Un médecin m'apprit que le nombre des suicidés était désormais plus élevé que durant la guerre ou au lendemain du siège, pendant les premiers mois de l'occupation russe, afin de fuir cette terrifiante absurdité. »

Malgré ces évènements dramatiques, il souhaite rester dans son pays avec l'espoir de faire vivre la langue hongroise. C'est désespéré qu'il en arrive à cette conclusion :

Si je décidais de rester, je me verrais soumis à cette technique mystérieuse du lavage de cerveau, plus dangereuse encore que les menaces physiques, ces drogues par lesquelles, dans les prisons et dans les chambres de torture, les geôliers cherchent à annihiler la conscience des détenus. Je serais alors contraint d'anéantir volontairement mon moi protestataire. Car c'était bien cela qu'ils visaient. Et ils disposaient à cet effet de méthodes perfectionnées et tous ceux qui tombaient entre leurs mains finissaient par perdre le sens des réalités et de leur propre destin, Il arrive nécessairement un moment où, par lassitude, indifférence ou désespoir, l'individu finit par admettre que tel est l'ordre des choses. La liberté n'est pas un état permanent mais une aspiration continue, que le lavage de cerveau cherche précisément à annihiler. L'individu qui le subit finit, un jour, par ne plus désirer la liberté en se persuadant qu'il y a renoncé « dans l'intérêt du peuple ».

C'est un récit passionnant, à aucun moment je ne me suis ennuyée si ce n'est juste au milieu du livre où Sandor se pose la question de l'éthique chez l'écrivain que j'ai trouvé un peu long. Après cette lecture intense, je vais m'attacher à la découverte de « Les Braises ». Quelque soit le fond, je peux vous affirmer que la forme est magnifique.
Commenter  J’apprécie          6619
Mémoires de Hongrie, Sandor Marai a écrit, publié en 1972, il avait quitté la Hongrie en 1948.
Ses mémoires couvrent les années 1944 à 1948.
Deux parties les constituent, la première raconte, restitue, l'arrivée et l'occupation des soldats soviétiques (ils combattent les allemands et libèrent le territoire). Sandor Marai nous en livre son témoignage, étonnant.
Parce qu'il s'attache à des détails profondément humains. Il observe. Il cherche à pénétrer le coeur et l'âme de ces soldats soviétiques, pourtant impénétrables, il cherche le pour... quoi et le pourquoi. Son regard magyar, profondément revendiqué, l'amène à examiner ces soldats soviétiques sous un angle culturel et apparaissent l'emprise de soviétisation, l'entreprise d'anéantissement de la personnalité.
Nonobstant, Sandor Marai, s'attachant tellement à observer et à comprendre, donc à apprendre, qu'il réussit à rendre abordables, voire aimants, ces soldats, eux aussi sous emprise, soldats d'une libération qui n'apportera pas la liberté.
La deuxième partie du livre se situe à la fin de la guerre, et court donc du printemps 1945 à 1948.
L'oeuvre alors s'échappe du cadre simple du témoignage. En effet, il nous est offert à découvrir, à comprendre et à aimer, cette Hongrie ratatinée en 1920, spécifique par sa langue qui ne se rattache à aucune langue en Eurasie excepté le Finnois.
Je me suis alors souvenue de mes lectures d'Agota Kristof qui avait tant souffert de la perte de sa langue.
Dans cette deuxième partie, Sandor Marai fait oeuvre d'historien de la littérature et donc de la Nation. Entre Germains et Slaves, entre Occidentaux et Orientaux, entre Chrétiens et Ottomans, Sandor Maraî explique avec une belle lucidité et une clarté unique l'originalité de "sa" Hongrie.
Ecrit en 1972, Sandor Marai est mort en 1989, il n'a pas vu l'effondrement du communisme soviétique, il n' a pas vu l'éclatement des frontières (et la Hongrie y a bien contribué), il n'a pas vu l'intégration de la Hongrie dans l'Europe (une Europe dont il rêve me semble-t-il, mais pas forcément la même)...
A lire ce "petit" ouvrage de mémoires, j'y ai trouvé tous les fils pour re-voir d'un oeil plus vif et avec un champ élargi, la place de cette nation en Europe et revoir également notre présentation (française) de l'histoire de l'Europe.
Cette Europe dominante qui a trianonisé une de ses soeurs, l'a réduite à presque rien, a ignoré sa culture et son histoire, l'a considérée comme tout juste bonne à faire le tampon entre l'Orient et l'Occident et à absorber, éponger les dégâts collatéraux. Comme tout au long du XXème siècle. Alors rien d''étonnant.
Les Mémoires de Hongrie de Sandor Marai, c'est un trousseau de clés pour appréhender la Hongrie d'aujourd'hui, pour l'aimer aussi.
Donc c'est une oeuvre d'historien, écrite avec le style fluide et bienveillant d'un magnifique écrivain.
Commenter  J’apprécie          124
La littérature hongroise, qui prétend la connaître ? En France, elle est quasiment inconnue. Deux-trois noms sortent du lot, mais sinon, c'est le vide. Et pourtant ! La Hongrie n'a pas à rougir de sa littérature ! C'est ce qu'avait bien compris Ibolya Virag au début des années 90, lorsque les éditions Albin Michel la laisse en charge de leur collection "Les grandes traductions". Virag va alors en profiter pour faire découvrir la littérature de son pays natal en France, et grand bien lui en a fait !

Bon, j'avoue que les Mémoires de Hongrie de Sandor Marai est le seul livre hongrois que j'ai lu, et que je ne connaissais rien de l'auteur, sauf qu'il me faisait un peu penser à Stefan Zweig. Mais franchement, quel livre ! On ne s'ennuie pas une seconde !
De l'invasion allemande au début de la Guerre à celle du communisme, ces mémoires ne sont pas simplement une retranscription des événements, c'est aussi pour l'auteur l'occasion de réfléchir sur la Hongrie. Il écrit sur la place de la Hongrie dans l'Europe, l'identité hongroise, la littérature hongroise par rapport aux autres...Et nous permet de découvrir un pays que l'on ne connaît que trop peu, et qu'on range trop vite dans le placard 'pays satellite de l'URSS qui s'est reconverti en usine géante'.
Et tout cela passe à merveille grâce à une traduction excellente, et surtout grâce au style de Marai, qui se lit avec un plaisir rare. Intelligent et cultivé, l'homme était cruellement conscient que sa nation était oubliée dans l'engrenage mondial, et qu'elle était vouée à rester éternellement sur le côté, sans voir ses plus grandes oeuvres atteindre le reste de l'Occident. Encore aujourd'hui, même si la situation s'est amélioré, pas grand chose n'a vraiment changé !

Mais ce qui rend ce livre si mémorable, c'est cette façon crue de voir la vérité et de retranscrire la douleur, la colère, et les questions qu'elle inspire. Témoignage d'une rare lucidité, Mémoires de Hongrie est un must-read pour tous les lecteurs.
Commenter  J’apprécie          114
Une grande fresque historique qui nous montre l'arrivée victorieuse des chars soviétiques en Hongrie en 1944, et les rapports difficiles entre les occupants et la population locale.
Un témoignage bouleversant, écrit 20 ans après les événements décrits, par ce grand écrivain hongrois, exilé aux USA en 1948 après avoir été mis au ban par le gouvernement communiste hongrois de l'après-guerre.
Un beau moment de littérature et d'histoire.
Commenter  J’apprécie          40


Lecteurs (214) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3201 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}