Avant d'ouvrir le livre, la couverture nous happe, nous saisit, nous inquiète avec le regard fixe et glaçant de cet homme en gros plan. Lorsqu'on le referme, on comprend qu'elle est en parfaite adéquation avec le roman.
Celui-ci commence, un 3 décembre, par la découverte d'un corps qui gît dans la cour d'une copropriété, se vidant de son sang. Nous repartons en arrière, 10 mois auparavant.
Hervé, 65 ans, marié depuis 40 ans à Elizabeth, vit depuis plus de 30 ans dans une copropriété à Alfortville. A la retraite depuis 2 ans, après avoir vendu des pneus toute sa vie, il se sent inutile, marginalisé, boit un peu trop; son seul plaisir, c'est de sortir son chien Billy. Son père a quitté sa mère alors qu'il n'était pas né, son fils unique est mort à 3 ans de leucémie, il y a 36 ans. En juillet, s'installe au-dessus de chez lui, une famille avec 3 enfants et un chien, les Kobon. Ils sont jeunes, brillants, heureux. Ils renvoient Hervé à ses échecs. Hervé les envie, les jalouse jusqu'à ce que deux évènements dont les Kobon sont acteurs, conduisent au drame.
Nous assistons, impuissants, comme l'est sa femme, au délitement psychologique d'Hervé. Les voisins du dessus cristallisent toutes les rancoeurs accumulées depuis l'enfance ( il a déçu sa mère, il était mal dans sa peau, traité de bouboule par les autres enfants, tenu à l'écart). Il ne supporte plus de voir des parents heureux , lui qui pense à son fils chaque jour. On le voit petit à petit s'enfoncer dans la paranoïa, rongé par la jalousie, la méfiance, le ressentiment, la haine, sentiments amplifiés par l'alcool.
Audrey Najar décrit parfaitement le processus qui fait d'un homme
ordinaire, profondément blessé par la vie, frustré, un monstre
ordinaire. Elle crée une atmosphère lourde, pesante, angoissante. Même si Hervé se transforme en monstre sous nos yeux, l'auteure fait en sorte qu'il reste malgré tout profondément humain à travers l'amour sincère qu'il porte à sa femme, ses efforts pour sortir de l'alcool, selon l'adage mis en exergue sur la couverture : "Il n'y a pas de gens méchants, il n'y a que des gens malheureux". Ce roman m'a rappelé un autre personnage d'homme
ordinaire qui se transforme en monstre par envie, jalousie, frustration dans un roman que j'avais beaucoup aimé "
Des gens comme eux" de
Samira Sédira, paru en 2020, inspiré de faits malheureusement réels, la tuerie du Grand-Bornand en 2003.
Primo-roman magistral, auteure à suivre.