Avec ce roman, je découvre la plume – agréable – de Gaëlle Nohant. Ma libraire préférée m'a dit que son écriture est encore plus belle dans
L'ancre des rêves, son premier roman. C'est normal : ici, l'autrice a choisi l'angle de l'enquête, de l'Histoire, des objets confisqués à des personnes déportées par les nazis.
Nous suivons donc Irène – au prénom tellement approprié – dans sa quête minutieuse, obsessionnelle pour retrouver les descendants des déportés à qui elle pourrait remettre une poupée de chiffons, un médaillon ou autres objets très modestes. Elle travaille pour l'ITS (International Tracing Service) basé à Arolsen dans le nord de l'Allemagne, un centre (qui existe vraiment et s'appelle en réalité le Centre d'archives d'Arolsen) qui a recueilli les archives de la déportation et des persécutions nazies sur 17 km de linéaire (ça aussi, c'est le chiffre réel). Dans cette mission de restitution des objets volés, elle va être amenée à voyager de Thessalonique à Varsovie, de l'Europe à l'Amérique du Sud en passant par le camp d'extermination de Treblinka et le camp de femmes de Ravensbrück. Elle va se focaliser particulièrement sur le destin de Lazar Engelmann, rescapé de Treblinka et de Wita Sobiecki, morte à Ravensbrück. Au cours de son enquête, nous (re)découvrons avec elle les persécutions les plus ignobles que les SS ont fait subir aux Juifs, aux femmes, à tous ceux qui n'entraient pas dans leur « idéal » aryen : transports en wagons à bétail, sélections, travail forcé, expériences médicales, résistance et destruction du ghetto de Varsovie, programme Lebensborn, sans oublier la fuite des bourreaux à la fin de la guerre, les entraves aux enquêtes, les témoignages glaçants des employés des camps et le difficile devoir de mémoire des Allemands.
Comme nous l'a expliqué Gaëlle Nohant, en tournée en Belgique ces derniers jours, l'écriture du roman s'est basée sur un important travail de documentation (fait notamment en ligne pendant le confinement, grâce aux archives numérisées d'Arolsen) et si toutes les personnes et les histoires individuelles qu'elle raconte sont fictives, elles auraient parfaitement pu exister. Certes on a déjà lu beaucoup sur la Shoah mais ici, le point de vue original est celui de ces enquêtes à partir d'objets. Et parfois, comme dans le roman, même si le passé saute parfois à la figure de descendants qui ne connaissaient rien ou presque de l'histoire de leurs aïeuls, se voir restituer ces maigres objets perdus leur permet de s'approprier leur passé familial, de l'apaiser quelque peu en en recueillant une trace tangible. L'autrice a pu participer à la restitution d'un objet par Georges Sougné, un bénévole belge qui aide le Centre d'Arolsen : nous avons pu aussi entendre avec Gaëlle Nohant le témoignage émouvant de ce monsieur.
Ce roman est vraiment très beau, très fort, par la richesse des personnages et des situations, par sa construction maîtrisée de bout en bout, par le magnifique personnage d'Irène, par le message positif apporté malgré l'horreur des camps et la difficulté à appréhender cette réalité sans l'avoir vécue. Gaëlle Nohant n'use pas de facilité pour nous tirer la larme, ce sont ses personnages qui nous touchent, nous émeuvent. Elle-même, comme Irène, a souvent été envahie par son sujet pendant l'écriture du livre. A sa lecture, bien qu'il soit passionnant, j'ai eu besoin de ménager quelques pauses pour « souffler » si j'ose dire. Cette lecture demande de l'attention car il n'est pas évident de retenir tous les noms des déportés et de leurs descendants mais elle en vaut vraiment la peine, même si vous avez l'impression d'avoir lu beaucoup sur le sujet.
L'autrice fait dire à un de ses personnages : « Ne pas laisser leur mort éclipser leur vie. » et « Quelquefois, en cherchant les morts, on trouve des vivants. » C'est un beau message pour nos démocraties. C'est un grand livre.
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