« Un être si horrible qu'il fallut le protéger de son propre reflet ? »
Une île perdue. Un capitaine et sa pupille. Défigurée lors d'un bombardement dans les derniers jours de la Grande Guerre.
Plus une infirmière. Aux soins de cette frêle malade.
Mon premier Nothomb fut
Mercure.
Et ce fut une grande claque. Je chancelai. N'avais rien lu de pareil.
Le plus beau roman sur la Beauté. Alors que les grands textes d'auteurs réputés se contentent de vanter la beauté de leurs héroïnes, déclenchant les plus hautes passions et les plus grands drames,
Amélie Nothomb nous parle de la Beauté pure. Par le biais de la laideur. Comme toujours, du reste. On ne célèbre mieux la lumière qu'en jouant avec les ombres.
Mais dans ce mythe de Narcisse à rebrousse poil, il n'est pas question des corps. Juste des visages. Une beauté éthérée donc, presque philosophique. Si on y évoque la sexualité, c'est à mots couverts. Pour la première fois, Nothomb suggère l'homosexualité qui prendra ses aises dans les romans ultérieurs, je pense notamment à
Antéchrista – j'y reviendrai.
Ici encore, tout le roman n'est qu'une suite de dialogues entre les trois personnages principaux. L'auteure joue également avec les noms, jamais anodins, toujours porteur du caractère profond des personnages. Omer Loncours est un ex capitaine de marine. Forcément. Hazel, la beauté défigurée provient de noisetier tandis que Françoise (framboise?) Chavaigne (châtaigne?), l'infirmière solide comme un roc ou plutôt comme un châtaignier...
Rien n'est laissé au hasard. Tout a son importance, la moindre ligne, le plus commun des mots, jusqu'à la ponctuation.
Une fois de plus, l'écriture est coupante comme un scalpel. Des phrases courtes, à l'image d'un récit qui s'avale pendant un séjour en salle d'attente chez le médecin (depuis le Covid et la disparition des revues que « personne n'achète mais que tout le monde lit »).
Jamais un mot de trop. L'art de la nouvelle dans toute sa splendeur –
George Sand ne s'excusait-elle pas de ses trop longues missives par ce « je n'ai pas le temps de faire court ».
Je ne dévoilerai en rien l'issue de ce roman empreint d'un si grand mystère en révélant que la romancière aux excentriques chapeaux propose deux fins différentes.
D'emblée, on pense à ces atermoiements d'un auteur ne sachant choisir entre la glorification et les honneurs du héros sortant vainqueur des péripéties diverses qu'il a dû traverser au fil des nombreux chapitres et au péril de sa vie ou, à l'inverse, le drame absolu : le bourreau triomphant et/ou le
suicide du héros incompris.
Pire : ces doubles fins de films afin de ne pas froisser le public et ses mièvres demandes : « les gens, ce qu'ils aiment bien c'est quand ça se termine bien » (
Pierre Pelot,
l'été en pente douce).
Amélie parvient à déjouer nos plus pertinentes supputations. Deux fins. Différentes sans l'être complètement. On se prend alors à imaginer d'autres possibilités, à l'infini. Voici la force des grands romans, des histoires fortes : que chacun ait envie d'en changer le récit, d'en modifier la fin, de disserter des nuits entières sur la Chartreuse de Parme comme le font Françoise et Hazel les deux héroïnes.
S'approprier l'oeuvre : sûrement le plus beau compliment que l'on puisse faire à un auteur. Un grand roman est celui où le lecteur devient l'auteur.