Je ne m'attendais pas à dévorer ce manifeste en faveur d'une politique ambitieuse de lutte contre le déclassement et le décrochage scolaire subis par les élèves déshérités de la "France périphérique", ces oubliés des politiques publiques.
Pourtant j'ai été happée par ce témoignage de l'un des fondateurs d'une école hors contrat d'excellence et d'humanisme (primaire+ collège)spécialement pensée pour eux, et implantée à dessein dans une zone sinistrée de la désindustrialisation et de la vampirisation des énergies vives du territoire et de l'économie par les métropoles : la commune
De La Fère, dans l'Aisne.
Jean-Baptiste Nouailhac est l'auteur d'un livre clair, assez court, riche d'exemples, bien structuré, qui se lit comme un roman, dans lequel il dresse avec intelligence et clairvoyance un panorama le plus large possible des difficultés majeures auxquelles sont confrontées tout à la fois l'instruction, l'éducation et l'élévation des enfants français, et des défis qu'elles doivent relever aujourd'hui. Ensemble.
Car, et c'est toute la force de son approche, l'auteur ne conçoit pas de méthode éducative qui ne soit pas "intégrale" : il démontre implacablement l'importance d'une prise en compte holiste de l'enfant en tant que jeune personne en construction et en recherche d'une nourriture à la fois affective, intellectuelle et manuelle. M. Nouailhac sait combien ces élèves, qui ont souvent vécu harcèlement, phobie scolaire, violences intrafamiliales, difficultés d'apprentissage, handicaps... ont besoin de retrouver confiance dans l'institution scolaire, et l'institution pour eux a le visage concret et humain des professeurs et du directeur.
C'est pourquoi il ne cloisonne pas de manière artificielle et schizophrène le développement personnel de ces enfants, d'une part, et leur progression académique, d'autre part ; ni la figure du professeur, d'une part, et celle de l'éducateur et de l'adulte-référence, d'autre part. Tout en restaurant la position d'autorité et de transmission verticale des professeurs (vouvoiement réciproque, pas de familiarités, exigence, port du costume par les enseignants, fait de se lever quand un adulte entre...), il a tenu à développer les moments partagés, en dehors de la classe, dans un cadre moins hiérarchique, entre enseignants et élèves : football à la récréation, barbecue de rentrée, sorties en forêt un soir pour écouter le brame des cerfs, ateliers hebdomadaires visant à leur faire partager une passion ou un talent d'un enseignant : art oratoire, jardinage, cuisine, bricolage...
Ce livre foisonne de tant de constats si justes, de si bonnes idées, de critiques si bien argumentées de ce qui est à améliorer dans le système scolaire (sans jamais se départir de l'humilité de rigueur, car, comme il le rappelle, les enseignants du public et du privé sous contrat n'ont pas, eux, de classes de 18 élèves maximum, mais de 25 à 35, n'ont pas les moyens d'exercer correctement leurs fonctions, ne sont pas suffisamment rémunérés ni soutenus par leur hiérarchie...) qu'il en vient à constituer un excellent programme de réforme de l'Éducation nationale, dans la perspective de 2027 par exemple.
Méthode semi-globale vs méthode syllabique, remplacement de la notation par des gommettes de couleur, quasi-abolition des redoublements, surnotation généralisée au nom d'une "bienveillance" mal comprise qui est un cadeau empoisonné, organisation des apprentissages par cycles de 3 ans au lieu des années scolaires, instauration du Collège unique, atomisation de la société qui a perdu ses références communes et une bonne partie de ses lieux de sociabilité, addiction aux écrans ou au porno, instabilité des modèles familiaux qui fragilise les enfants de familles monoparentales, perte du goût de l'effort et de la rigueur et du sens de l'autorité, défiance entre les parents et les enseignants, ravages du constructivisme pédagogique, dévalorisation insidieuse de la culture populaire française qui concourt à la faillite générale de la société à se transmettre aux plus jeunes générations, à transmettre la fierté d'être qui ils sont et la confiance en ce qu'ils sont capables d'accomplir... Aucun facteur de l'effondrement du niveau et du mal-être de nombreux jeunes en déshérence n'échappe à l'oeil acéré de l'auteur, qui synthétise cette réflexion en proposant le contre-modèle abouti à tout cela.
Ni arrogance ni assertions péremptoires (le livre est très bien sourcé et l'auteur n'hésite pas à rendre à César ce qui est appartient à César, en précisant ce qu'il doit à d'autres et ce qu'il sait par des études statistiques réalisées par les services de l'État). Ni moraline ni "yakafokon". Seulement la volonté de se mettre au service de tous les enfants, et une tendresse à leur égard qui affleure partout.
Une démarche humaniste, pleine d'affection et d'estime pour l'intelligence et les ressources de ces jeunes dont beaucoup d'adultes n'ont pas su révéler la valeur, et qui se transforment radicalement sitôt qu'ils sont considérés, aimés et encadrés comme ils le méritent. Je ne m'attendais pas à être émue par un livre de ce type ; et pourtant, j'ai pleuré plusieurs fois.
Un magnifique projet, à soutenir autant que possible.
Un livre nécessaire et pourtant trop peu connu, que je recommande à tous, le sujet étant d'importance capitale pour chaque citoyen.