L'aube ne s'était pas encore montrée que toute la maisonnée de Doss était sur pied. Soudr Akhmet n'avait pas assez dormi. Avec des bâillements à se décrocher la mâchoire, il alla chercher son cheval qui, mal entravé, était parti à bonne distance ; il ne le rattrapa qu'au déjeuner. […]
Soudr Akhmet s'en revenait chez lui furieux, accablant l'univers entier de ses injures […]. Maussade, il atteignit sa maison et vit que tout était prêt pour le départ. La chamelle, déjà chargée, était attachée à la porte.
— Sois maudite ! Que jamais tes lèvres ne touchent une goutte de lait ! Malapprise ! hurla Soudr Akhmet. Comment pouvais-tu charger une chamelle pleine avant le déjeuner ? De qui te moques-tu, hein ?
— Mais c'est toi-même qui voulais transhumer…
— Transhuler, hein ? Quoi, transhumer, je te demande ? Je te trouve la langue joliment bien pendue, ma fille ! Est-ce que je t'ai dit de charger la chamelle avant déjeuner ? Hein ? Réponds-moi donc ! Je t'ai jamais parlé de partir avant déjeuner ?
Désorientée, sa femme se taisait. Soudr Akhmet pénétra dans la maison. Les enfants se précipitèrent au-devant de lui, mais il ne daigna même pas les regarder. De tous ses yeux, il examinait sa maison : elle était prête pour le départ. Partout reposaient des ballots, des literies pliées, de la vaisselle roulée dans des couvertures…
Pris de rage, Soudr Akhmet envoya de grands coups de pied dans les ballots et cassa la vaisselle. Puis il battit sa femme, courut de-ci, de-là, fit profiter ses enfants de la tournée, se précipita dehors, sauta en selle et partit. Et dans la iourte solitaire, au bord du rivage, longtemps encore s'élevèrent les sanglots de sa femme et les hurlements des petits.
Chapitre IX.