Elles s'appellent Genna et Minette, ont toutes deux dix-huit ans et entrent toutes deux en première année universitaire dans le prestigieux Schuyler collège.
Minette est noire, fille d'un pasteur charismatique ; Genna est blanche issue d'un milieu aisé et hippie chic, son père n'est autre que le très célèbre avocat Max Meade, farouche opposant à la guerre du Vietnam et petit-fils des fondateurs dudit collège…
Fille noire, fille blanche… Nous sommes à la fin des années 70, une dizaine d'années après l'assassinat de
Martin Luther King.
Tout oppose les deux jeunes filles et pas seulement la couleur de leur peau… Si Minette semble tout à fait indifférente à tout ce qui se passe autour d'elle, vaguement dédaigneuse et hautaine, Genna tente par tous les moyens d'expier sa condition de fille blanche. L'héritage des Meade, fervents défenseurs de la cause noire, est lourd à porter pour une si jeune fille, et plus encore l'éducation reçue de ses parents, violente, échevelée, pétrie de bons sentiments pas toujours mesurés. Les deux jeunes filles partagent la même chambre. Cette cohabitation enchante Genna, Minette quant à elle, ne laisse rien paraître, si ce n'est un total manque d'empathie.
Dès le début, les dés seront irrémédiablement faussés, l'équilibre entre Genna et Minette, rompu. L'une donne tout, l'autre reçoit à peine…
Tandis que l'une envie la piété de son amie noire et désirerait plus que tout au monde « entrer » dans son monde, aveuglée de bons sentiments, l'autre, froide et distante, se protège, s'isole chaque jour un peu plus dans sa tour d'ivoire…
Et c'est alors que peu à peu le drame se noue, lentement, inexorablement… Et ce qui devait arriver arriva, ici-même dans ce fameux collège réputé pourtant pour sa capacité et sa volonté d'intégration… le monde n'est pas pétri que de bons sentiments, et même les meilleurs n'ont pas toujours l'effet escompté.
Fille noire, fille blanche est le récit, a postériori, à des années de distance, près de quinze ans plus tard, d'une tragédie. On le sait dès le début, Minette va mourir, et Genna s'en sentira à jamais coupable :
«Minette n'a pas eu une mort facile. Chaque jour de ma vie, depuis sa mort, j'ai pensé à Minette et au supplice de ses dernières minutes, car j'étais celle qui aurait pu la sauver, et je ne l'ai pas fait. Et personne ne l'a jamais su ».
Récit sous forme d'enquête, d'introspection, comme si l'auteur, Genna, alors adulte se revoyait littéralement agir, spectatrice de son propre passé, mais munie cette fois des clefs pour le décrypter… La mort de Minette est LE révélateur quasi chimique de toute l'ambiguïté d'une certaine façon de penser, généreuse certes, mais totalement incontrôlable jusque dans ses conséquences, d'une certaine société américaine, les radicaux des années 70, dont son père faisait partie.
La mort de Minette brise la jeune-fille et la femme, faisant voler en éclats certitudes et illusions…
Un récit double, un double portrait, l'un éclairant ou voilant l'autre comme une ombre portée.
Magnifique, brillant et sans concessions.
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