Pourquoi cette mère enferme-t-elle ses trois enfants dans une maison dont ils ne doivent sous aucun prétexte franchir le mur de briques ? Elle sort chaque jour pour aller travailler, laissant les enfants seuls durant des années. Elle leur a demandé un jour d'oublier leurs prénoms mais d'en choisir un en ouvrant les pages d'une encyclopédie scientifique destinée aux enfants. le livre fait partie des centaines d'ouvrages disposés sur des étagères. le résultat de leur recherche ? Ils s'appelleront désormais Opale pour la soeur, l'aînée des trois, Ambre le second et Agate, le dernier frère. Trois prénoms jolis, poétiques, que chacun illustrera à sa façon. Pour Ambre, cette résine aux reflets dorés s'insinuera dans son oeil gauche où s'inscriront toutes sortes d'images vues autour de lui, ambre où la marque vivante, poétique et dangereuse de ce qui l'entoure et le frappe. Opale, ou la délicatesse et la solidité d'une grande soeur qui se sent responsable, Agate ou l'étrangeté d'un petit frère hypersensible et taquin.
Mais il manque un élément à cet ensemble : celle qui, disparue tout bébé mordu par un chien maléfique, ne s'appellera jamais autrement que « la benjamine », l'absente omniprésente pour qui les autres créent une « cavité » entre eux, destinée à l'accueillir en marquant sa place. La toute petite dont on sent bien qu'elle est la clé de cette étrange histoire. Elle va revivre, telle sur la bande d'un film d'autrefois, lorsque Ambre fera tourner très vite les angles des pages de l'encyclopédie qui portent chacune une esquisse qu'il a dessinée de la petite fille.
Le chien maléfique, parfois « famélique » sous la plume de la traductrice (jeu de mots possible en japonais?) est manifestement l'autre clé : qui est-il au juste ? Pourquoi a-t-il agressé l'enfant ? Et qui est ce père, ce mari dont on parle à peine et à qui appartient le cadre, villa-jardin bien clos ?
Toute l'histoire est un mystère, un enchantement féerique propre au monde des enfants qu'on ne laisse pas grandir. Enfermés, vêtus de vêtements de plus en plus courts et étroits, perdant peu à peu l'usage de la voix, ils créent leur monde, leurs règles, organisent leur petit bonheur fait d'amour fraternel, de routine imposée par
la mère et surveillée par la grande soeur. Ils sont heureux à leur manière.
L'extérieur pénètre enfin un jour dans ce huis-clos, sous la forme d'un colporteur d'abord puis d'un chaton et un interlocuteur extérieur viendra finalement nous raconter Ambre, devenu M. Amber, monsieur reclus (encore!) dans une résidence pour vieillards ou pour malades.
Livre riche en émotion, en symboles, en délicatesse, comme une peinture japonaise, où se côtoient les éléments indispensables à la plume de l'artiste asiatique : le minéral, le végétal et la construction humaine. Enchantés par un mouvement poétique.
Livre inquiétant où le fantastique et la poésie font oublier le pitoyable.
Une belle réussite littéraire.