Me voilà une fois de plus sous le charme de l'univers onirique de
Yoko Ogawa ! J'ai lu «
La formule préférée du professeur » a un moment où j'avais envie d'un moment d'évasion chaleureuse et ce roman a répondu tout naturellement à mes attentes.
En fin de compte, j'ai retrouvé dans ce roman la même ambiance que dans « Le petit joueur d'échec », où un vieux monsieur qui vit dans un monde marginal prend sous son aile un jeune garçon, avec une bienveillante tendresse qui l'aide à grandir dans l'harmonie.
Ici, le vieil homme est un mathématicien qui, suite à un accident de voiture, voit sa mémoire limitée aux 80 dernières minutes qui viennent de s'écouler; heureusement, il garde le souvenir de toute la période qui précède son accident. Il passe ses journées à participer à des concours en résolvant des problèmes publiés dans des revues de mathématique. Il vit dans son monde, épinglant dans sa veste une multitude de petits papiers où il note les choses qu'il ne veut pas oublier.
La narratrice est engagée par la belle soeur du professeur pour être sa femme de ménage. Apprenant qu'elle a un jeune fils qui, en rentrant de l'école, doit attendre seul qu'elle rentre de sa journée de service, il trouve qu'une telle attente n'est pas admissible pour un enfant et il propose à
la mère que son fils vienne la rejoindre chez lui jusqu'à la fin de son travail.
C'est ainsi qu'une belle amitié naît entre le vieil homme et l'enfant. Cette relation est savoureuse. On est touché de voir l'enfant distraire le professeur, par exemple en le poussant à sortir pour assister à un match de base-ball, tout en usant de délicatesse pour lui justifié l'absence d'un joueur célèbre, dont le professeur ignore qu'il est mort depuis des années. de son côté, le professeur parvient à faire partager par le garçonnet et sa mère sa passion pour les nombres.
À ce propos, en tant que mathématicien, je trouve que l'auteur rend assez justement la nature de la relation d'un mathématicien envers les objets mathématiques qu'il manipule. On sent comment l'intuition s'installe dans l'esprit du chercheur, lui permettant de « sentir » ou de pressentir les propriétés de ces objets. Cela peut paraître difficile à concevoir à ceux qui n'ont pas d'affinité avec les mathématiques, mais en fin de compte, on observe la même chose dans d'autres professions: un artisan expérimenté peut ainsi concevoir des pièces sans avoir besoin des calculs d'un ingénieur car il « sent » les dimensions ou les matériaux qui assureront la solidité. Cette intuition se construit avec le temps, à force de manipulations.
Je note aussi que l'auteur aborde en passant la question du platonisme mathématique, qui postule que les objets mathématiques ont une existence propre. Belle question. J'ai entamé des études de mathématique parce que je voulais savoir comment on définissait les nombres. Quarante ans plus tard, je n'ai toujours pas la réponse, mais je commence à comprendre la question…
Bref, lisez « La formule du professeur », que vous apprécierez même si vous êtes allergiques aux maths. Lisez
Yoko Ogawa ! Dans cette période de confinement automnal, elle vous remettra assurément du baume au coeur et des étincelles dans les yeux.