« Et moi, je vis toujours », le titre du dernier roman de Jean d'Ormesson, ouvrage édité quelques semaines après son décès, pourrait intriguer si on ne connaissait pas le côté malicieux de son auteur. Ni roman historique, ni livre d'histoire, c'est un roman « autobiographique » de l'Histoire.
« L'Histoire », tel devait être à l'origine le titre de ce roman, mais Jean d'Ormesson l'a jugé trop sérieux.
Ce livre est écrit à la première personne, mais ce « je » qui sans cesse virevolte ne représente pas l'auteur, mais l'Histoire ; l'histoire de l'humanité entière. Jean d'Ormesson nous fait partager sa passion de l'Histoire et ses passions littéraires et historiques. « Longtemps j'ai erré dans une forêt obscure. J'étais presque seul » ; ainsi commence le roman. Dès les premières pages, nous accompagnons les premiers pas de l'homme primitif qui s'éveille à la conscience. Le développement du langage, de la pensée, de l'écriture, a pris des milliers d'années, Jean d'Ormesson nous le raconte en accéléré.
De la préhistoire à aujourd'hui, Jean d'Ormesson visite plusieurs milliers d'années d'histoire, de littérature et de sciences. Tantôt à Athènes, Rome, Byzance ou Paris, témoin de la guerre de Troie ou de la chute de Constantinople, ami d'Ulysse ou assassin d'Archimède, matelot à la découverte du Nouveau Monde avec Christophe Colomb, témoin de l'invention de l'imprimerie ou simplement jolie servante dans une auberge, il est successivement un homme ou une femme, un poète ou un guerrier... Il rencontre Platon, Homère, Ronsard, Marco Polo, La Fontaine… et de nombreux autres personnages célèbres…
Jean d'Ormesson livre de nombreux détails avec l'habileté de l'académicien mais également la légèreté et la vivacité de l'homme qui aime la vie. Ce livre, qui permet de réviser ses connaissances en culture générale, pourrait paraître obscur ou ennuyeux, mais le talent de l'auteur est de le rendre intelligible et accessible à tous.
Jean d'Ormesson a l'art de la citation, de l'ironie et de l'anecdote qui souvent attirent le sourire.
Exemple : un aristocrate, condamné à mort durant la Révolution, est amené à la guillotine sur une charrette. Il demande qu'on ne lui ligote pas les mains car il est en train de lire. Au moment où il doit descendre, il corne le livre et il le met dans sa poche…
Il termine ce livre ainsi : "Ne me jugez pas trop sévèrement. Je vaux mieux que ces souvenirs lacunaires et aléatoires qui, non contents de s'emparer de ma voix, ne constituent, en dépit de leur ambition, qu'un livre de plus parmi les autres."
Aujourd'hui Jean d'Ormesson pourrait ajouter : ce livre est « épatant », et il aurait raison.
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Et moi je me pose cette question : qui est ce "je" qui nous livre la quintessence de l'Histoire Universelle de L'Homme ? Il est là, toujours où L'Homme est, comme un monolithe kubrickien. Sans porter de jugement, il partage ses turpitudes. Est-il l'âme de l'Homme ? Ou n'est-t-il qu'un témoin fidèle et constant; une allégorie de l'Histoire qui se réincarnerait en des personnages plus ou moins actifs ?
Il faut se laisser le découvrir au rythme de la belle prose de Jean d'Ormesson, se laisser doucement envahir par les personnages qui ont forgé l'histoire de L'Homme.
Et là où l'éditeur et où certain lecteurs voient une autobiographie, je ne vois « que » la biographie de l'histoire de notre univers. Là est la grande originalité ce dette oeuvre.
J'ai senti à l'approche de la conclusion du roman poindre comme une désillusion de l'auteur. Là où, dans ces derniers opus, surgissait l'idée de Dieu, comme un espoir ; ici c'est la froideur du hasard qui règne en maître dans la destinée de l'Homme.
Là où il ne pouvait se résoudre à ce que tout cela ne soit qu'une « farce » sans but, et bien il semble l'envisager, peut-être désabusé par l'égrainage des horreurs ponctuant l'histoire de l'homme.
Et moi, je me sens peiné de voir cet auteur chéri nous quitter sur cette note triste.
Contrairement à ce qu'avance l'éditeur, je n'ai jamais senti sourdre dans ce texte une autobiographie de l'auteur. Certes, l'essence de l'auteur modèle de plus en plus ses choix, ses références historiques qui deviennent de plus en plus littéraires - celles qu'il a tant aimé- pour faire, à l'extrême rigueur, de ce roman un portrait de l'auteur en ombre chinoise et c'est superbe.
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Longtemps les conquérants eurent célébrations
Suivis par les penseurs, philosophes, érudits.
Naissance, vie et mort, leur civilisation
Muraille ensevelie, poussière puis oubli.
Le pinceau et la toile, du Tintoret la main
sublime la beauté, paysages et corps.
Travaillant sans arrêt, du soir au matin,
Peaufinant entités et somptueux décors.
La page blanche vole vers l'écrivain ardent
amoureux des beaux mots, jette sur le papier
poème, ode, balade, dictionnaire et roman
envahissent les villes comme les cavaliers.
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Une vision du monde à travers son regard malicieux, les interrogations d'un homme et de l'Homme. On traverse l'histoire avec des personnages variés, hommes ou femmes. La plume est impeccable. Que dire de plus? Merci pour les oeuvres qu'il nous laisse et que je découvrirai au gré de mes envies de lecture.
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