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Ce récit autobiographie d'Amos Oz se concentre ici principalement sur son enfance à Jérusalem. Fils unique de parents originaires d'Europe de l'Est, il vit entouré de livres dans une famille marquée par un grand oncle intellectuel reconnu membre du courant "du sionisme révisionniste" c'est-à-dire un sionisme libéral de droite opposé au socialisme de Ben Gourion. Son père a tenté de suivre les traces de celui-ci mais il n'a pu que devenir bibliothécaire. Sa mère vient d'une famille beaucoup plus modeste et très vite le jeune Amos ressent les différences entre ses deux familles bien que l'une comme l'autre ont été profondément marquées par la Shoah. S'adapter à un nouveau pays loin de l'Europe et de ses traditions est également un défi. Un défi que ne relèvera jamais la mère d'Amos, qui ne saura jamais s'intégrer à Jérusalem alors que toute sa famille vit à Tel-Aviv. Les infidélités de son mari ne l'aideront pas et après une profonde dépression elle choisira de mettre fin à ses jours. Pour Amos, cette décision est incompréhensible. Sa famille maternelle rendra son père responsable de cette perte. Amos choisira de quitter son père (qui est en train de se reconstruire une nouvelle famille) et ce tiraillement en s'installant dans un Kibboutz. Un récit dense marqué par de nombreuses références historiques, littéraires et philosophiques.
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Ce livre m'a bouleversée, d'où ma difficulté à le chroniquer. Je n'ai toujours pas fini de le lire… J'ai regardé l'excellent documentaire d'ARTE en 2018. Je ne me résous pas à l'enfermer dans mes interprétations subjectives, voire à le trahir avec mes gros sabots.

Amos Oz nous raconte son histoire qui s'imbrique avec l'histoire des juifs et d'Israël.

Pauvre petit Amos, reclus dans cet appartement sombre de 30m2, à Kerem Avraham – Jérusalem, dans une ambiance pesante : un père qui parle sans arrêt, ne supporte pas le silence, abuse des jeux de mots ; une mère belle, mélancolique, prodigue en contes cruels, qui se suicide à trente-huit ans.

Je me suis attachée à cet enfant unique, solitaire, adulé dans un monde d'adultes, qui fait figure de prodige bien sage, bien élevé alors qu'il cache bien son jeu. Il fait croire qu'il sait lire alors qu'il a juste appris par coeur. Chez Mala et Staszek Rudnicki, il mime tellement bien le ravissement devant le gâteau qu'il a droit à la surprise : la limonade maison écoeurante de sucre ! Il remercie traitreusement, et en catimini, verse le breuvage dans le pot à fleurs !

Il rêve d'être un livre :

« Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver ». (p.29)

D'Odessa à Vilnius ou Rovno (Russie, Ukraine, Lituanie, Pologne), sa famille qui fait partie de l'élite intellectuelle juive, persécutée par l'antisémitisme, se crée un rempart contre l'adversité avec les livres qui tiennent lieu de patrie et Dieu.

Déclaration du grand-père Alexandre : « Je hais Dieu ! Puisse-t-il mourir ! La canaille de Berlin a brûlé, mais il y a un autre Hitler là-haut ! Bien pire ! « Nu, chto » ! Il se moque de nous, le salaud ! » (p.370-1)

Les grands-parents d'Amos n'émigrent pas volontairement en Palestine. Leur « terre promise » c'est l'Europe. Ils ont aussi postulé aussi pour les Etats-Unis. Mais, les quotas sont atteints, on ne veut plus de juifs.

« Là-bas, dans le monde, les murs étaient couverts de graffitis haineux : « Sale youpin, va-t'en en Palestine », alors nous sommes allés en Palestine et aujourd'hui, le mondeentier nous crie : « Sale youpin, va-t'en de Palestine » (p.12)

Amos se réfugie dans sa bulle, avec ses guerres à lui, avec encrier, gomme, taille-crayon, stylos, carnets, trombones, punaises, coussins, allumettes, couverts, dominos, chiffons, sparadrap, cure-dents, brosse à dents, épingles à cheveux, papier toilettes, boites…, tout ce qui lui tombe sous la main.

Un jour de sabbat, sa mère achète une carpe qu'elle conserve vivante dans la baignoire.

« Un jour, alors que j'étais seul à la maison, j'avais décidé de distraire la carpe qui se morfondait avec des îles, des détroits, des écueils et des récifs, sous la forme de divers ustensiles de cuisine que j'avais immergés dans l'eau de la baignoire. Avec la patience et l'acharnement du capitaine Achab, j'avais longtemps poursuivi, à l'aide d'une louche, mon Moby Dick qui s'échappait grâce aux cachettes sous-marines que j'avais semées pour lui au fond de la mer ». (p.224)

Autant je me suis attachée à l'enfant, autant je garde mes distances par rapport à l'adulte, sans pour autant remettre en cause ses qualités d'écrivain.

Amos Oz dit que le besoin d'écriture nait d'une blessure profonde. Il ne se remet jamais du suicide de sa mère qui l'a abandonné, en claquant la porte. Il est constamment dans l'opposition.

A seize ans, contre l'avis de son père et de sa famille qui sont « révisionnistes » (sionistes de droite), il part au kibboutz Houlda, où il restera trente et un an (1954 – 1985). Il change son nom Klausner en Oz, qui signifie la force.

Amos Oz milite publiquement pour la paix, pour deux états, mais il défend essentiellement l'intérêt des juifs.

Il cite crument la devise de sa grand-mère Schlomit : « le Levant est infesté de microbes » (p.44)

Il n'a aucune accointance avec les arabes. Dans Une histoire d'amour et de ténèbres, il ne les approche que dans deux épisodes. Dans le premier, il est enfant et s'est perdu dans un magasin, c'est un arabe gentil qui le libère du placard où il est enfermé. Dans le deuxième, il a dans les neuf ans, il se rend avec Mala et Staszek Rudnicki, à une réception chez des arabes riches, les Silwani. Il a une discussion étrange (vu son âge) avec une jeune adolescente arabe, dont il blesse involontairement le petit frère. Cette anecdote me semble floue. Cette famille arabe reste un mystère pour lui : « Je leur parlais souvent en moi-même » (p.401).

Amos Oz présente deux peuples bannis : les juifs et les palestiniens qui se retrouvent à partager un même territoire, alors qu'il s'agit de deux peuples incapables de communiquer entre eux. Il ne blâme pas les arabes, mais à la guerre comme à la guerre.

« - Des assassins ? Mais qu'aurais-tu voulu qu'ils fassent ? de leur point de vue, nous sommes des extraterrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit à petit. [...] Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'ils allaient nous remercier ? Qu'ils nous accueilleraient en fanfare ? Qu'ils nous remettraient respectueusement les clés du pays sous prétexte que nos ancêtres y vivaient autrefois ? En quoi est-ce extraordinaire qu'ils aient pris les armes contre nous ? Et maintenant que nous les avons battus et que des centaines de milliers d'entre eux vivent dans des camps, penses-tu vraiment qu'ils vont se réjouir avec nous et nous souhaiter bonne chance ?
[...]
-- Et si les fedayin débarquaient maintenant ?
--Dans ce cas, soupira Ephraim, « ey bien », il faudra nous aplatir dans la boue et tirer. Et on aura intérêt à tirer mieux et plus vite. Pas parce que ce sont des assassins, mais pour la simple raison que nous avons également le droit de vivre et d'avoir un pays à nous." (p.450-1)

Il aurait fallu avant de voter à l'ONU, en 1948, la création d'Israël, établir un dialogue constructif entre les arabes et les juifs.

Israël est technologiquement un des pays les plus avancés au monde.
Les palestiniens sont démunis face à une telle force de frappe.
Je plaide la cause du peuple palestinien, l'arrêt du génocide.
Je prie pour la paix.
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C'était ma première rencontre avec un auteur israélien, qui m'a été conseillé par une amie, et je n'ai pas été déçue.
Au tout début, je me suis heurtée à cette terminologie particulière qui m'est peu connue (shetl, yeshiva, ...) et j'ai craint que ça ne me rebute mais que nenni j'ai persévéré, j'ai même cherché chaque mot qui me faisait défaut tout au long du livre (mais plutôt concentré au début). Ce faisant, je me suis sentie un peu proche de la branche paternelle de l'auteur dans son amour de la linguistique et des mots (mais je suis ô combien bien moins érudite). Amos brosse le portrait d'un arbre, celui de sa famille, un arbre déraciné, à l'image de bon nombre de membres du peuple juif). On visite l'Europe de l'Est, Vilnia, Rovno, et on est quand même un peu contents de voir que les parents d'Amos sont arrivés en Palestine juste avant... Juste avant. Dans les années 30.
Amos Oz tisse sa biographie au fil de l'histoire politique d'Israël (pas évident de rester objectif avec la partie sioniste paternelle) et de sa propre histoire, son enfance dans les rues de Jérusalem (le potager de l'ombre, l'école) et moins de Tel Aviv, la proclamation de l'Etat d'Israël en 1948, sa fuite au kibboutz quand il a eu 15 ans (fuir pour renaître).
J'ai trouvé étonnant que le livre se clôture sur le suicide de sa maman (je ne spoile rien, on le sait dès les toutes premières pages), comme si ça devait être le point final de sa vie. On sait que ça ne l'a pas été, quand on voit l'engagement politique et poétique de l'auteur, notamment en faveur de la paix. Mais sûrement que ça l'a été un peu quand même, en cas la fin de son enfance très probablement.
Le seul bémol est qu'il y a des longueurs, mais on se perd volontiers.
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Rarement le titre d'un ouvrage ne m'a paru contenir autant le livre. Une histoire d'amour et de ténèbres : chacun de ces termes déploie en lui-même et dans sa relation avec les deux autres tout ce que contient ce roman autobiographique.

Je vous emmènerais bien comme le fait Amos Oz directement dans les méandres de l'appartement familial, à flanc de colline, dans le dédale obscur d'un couloir alourdi de livres. Chez son grand-oncle Yosef aussi, cet érudit qui pérore, pompeux et geignard dans un décorum de théâtre. Avec son père qui lit et pratique un nombre incroyable de langues mortes ou vivantes, ne supporte pas les silences et les comble de calembours étymologiques. Sa mère, mélancolique et rêveuse. Belle et fantaisiste. Sa mère qui se suicidera alors qu'Amos n'avait que douze ans. Mais il faudrait alors que j'ajoute à chaque anecdote, comme le fait Amos Oz, les dérivations, incursions, bifurcations qui contaminent l'ordre de la narration. Que je revienne en arrière en Europe, aux racines des familles maternelles et paternelles. Que je vous perde dans des discussions profondes ou hors sol tandis que la douleur s'écoule et qu'on n'en parle même pas. Que les attaques palestiniennes ripostent aussitôt à la résolution de l'ONU en faveur de l'Etat israélien. Que vous entendiez avec moi le contre-point de ce camarade du kibboutz qui met en perspective la réaction aussi monstrueuse qu'attendue des Palestiniens dont on a envahi les terres au nom d'une histoire de deux-mille ans et d'un génocide encore tout récent. Que la guerre et ses privations reviennent au-devant de la scène avec la lecture de milliers de romans, avec les premières amours d'Amos, ses batailles homériques sur le tapis de l'appartement, des boutons pour armées, lui en héros pour remettre le monde d'aplomb. Que je recopie l'intégralité du roman en somme.

L'histoire est racontée depuis 2001, époque où le narrateur est déjà plusieurs fois grand-père et peut, de manière sinon distancée, au moins apaisée interroger ses souvenirs, les hypothèses qu'il émet sur la chaine des causalités. On y gagne une peinture tout en détail de deux générations d'aînés meurtries par la guerre mais aussi habitées d'une soif de connaissance colossale. Amour et ténèbres car à l'impossible dire d'émotions empêchées se substitue le labyrinthique chemin des savoirs. En plusieurs langues, selon la taxinomie subtile d'exégètes que rien n'effraie. Dans un abyssal aveuglement pour la résonnance affective. Mais sans qu'il soit possible de dire qu'il aurait dû en être autrement.

Coupé dans son élan par la mort de sa mère, écoeuré par l'invraisemblable inadéquation d'une réponse livresque, Amos va tenter de s'inventer une troisième voie et de forcir ses muscles, de bronzer son teint blême dans le travail agricole d'un kibboutz. Il y finira écrivain, amoureux de la fille du bibliothécaire. On n'échappe ni à l'amour ni aux ténèbres.

On y gagne un vertigineux rapport à l'existence, un humour où le terre à terre taquine la métaphysique, une humilité radicale, riche pourtant d'une connaissance encyclopédique. On y gagne un roman dense, à la lecture parfois ardue mais toujours envoutante.

J'ai commencé cette lecture avant les attentats iniques du Hamas contre les populations civiles d'Israël. C'était étrange, à mesure que les jours passaient et que j'avançais dans ma lecture, de constater que ces histoires vieilles de plusieurs dizaines d'années n'avaient rien d'accompli et qu'elles résonnaient encore bien après qu'elles ont été couchées sur le papier. C'était doux-amer de lire le caractère inextricable de la situation déjà si bien dépeint dans ces pages. Peut-être la meilleure manière de bercer mon impuissance et d'embrasser dans un même hommage les victimes de ces inéluctables et intolérables conflits.
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Amos Oz

Je retrouve quelquefois Gregor Samsa chez Amos Oz , et je suis de retour dans la Mittel Europa du vingtième siècle qui a donné des écrivains, des artistes, des intellectuels qui ont marqué mon esprit comme le fait Amos.
Lui aussi dérangeur d'habitudes, contestataire du paisible bonheur le bonheur est une banale invention chrétienne  que l'on retrouve dans la famille - qu'il fait éclater en dehors de ses limites admises, soit que les enfants la quittent soit que les relations d'amour s'établissent dans un temps dispersé.
Mais il reste prudent, en effet beaucoup qui ont vécu avant lui, ont frôlé le fanatisme qui est aussi une de ses cibles parce que  mon enfance à Jérusalem fit de moi un expert en fanatisme comparé. Lui reste à l'abri de tous les fanatismes parce que j ‘ai eu une vive altercation avec Dieu 
Nous croisons des fanatiques sionistes, des nobliaux partant pour des croisades les forces de la grâce  et de crétins nazis hitlériens, les juifs devaient attendre, c'était dur pour eux et c'était dur pour nous .
Tout cela et bien d'autres choses viennent dans une oeuvre d'ironie toujours féroce l'union des nymphomanes repenties , quelquefois tendre - pas souvent.
Dans une oeuvre de mots qui sont peut être usés comme ceux de l'Ecclésiaste mais qui comme chez Qohélet sont des mots qui formulent des idées qui sont l'intuition de nos vies, il a l'art des mots depuis tellement longtemps,  en ces temps là je voulais devenir un livre. 
Dans une oeuvre de passion des mots, de passion de l'amour, de la passion d'Alec et d'Illana.
Nous avons de la chance Amos Oz est notre contemporain,
nous le lirons encore,
ce qui nous évitera de patauger dans les bourbiers de la bêtise et du fanatisme dans une passion d'intelligence et de littérature.


La dernière fois que je lisais Oz, j'entendais - oui je lis en musique, mais on peut accompagner avant ou après - le Don Quichotte de Richard Strauss avec Pierre Fournier.

On peut aussi le lire lors d'une randonnée à pied, en vélo, à cheval, le soir en arrivant dans l'étape prévue, en dehors de nos habitudes, l'esprit purgé de ses miasmes le lira avec bonheur.


effeuillements livresques, épanchements maltés http://holophernes.over-blog.com © Mermed
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Un livre magnifique où la grande Histoire, celle des juifs d'Europe centrale, celle d'Israël et celle de l'auteur Amos Oz et de sa famille se rejoignent. Avec beaucoup de sensibilité, de nostalgie pour un temps révolu, mais également de distance et d'humour, Amos Oz nous les raconte dévoilant également ce qui a été la grande blessure de sa vie d'enfant et d'adulte, la disparition de sa mère quand il a 12 ans. La mort est d'ailleurs omniprésente dans ce livre, celle des juifs morts dans les camps nazis d'extermination, celle des juifs et des Arabes morts dans la guerre qui les oppose à partir de 1947, celle de ses parents et de leurs amis. Mais elle côtoie la vie, ses découvertes, ses apprentissages, ses joies.

Si j"ai eu un peu de mal à entrer dans le récit avec au début du livre le parcours des grands-parents d'Amos Oz, j'ai été après totalement happée par ma lecture. L'auteur raconte la (fragile) coexistence entre juifs et Arabes avant 1948, les premiers affrontements armés quand en 1947 l'ONU propose le plan de partage de la Palestine sous mandat anglais en deux États distincts puis le déclenchement de la guerre une fois l'Etat d'Israël officiellement créé.
Nous découvrons aussi le milieu intellectuel dans lequel Amos Oz a vécu et comprenons comment l'écrivain qu'il est devenu est né, en écoutant les histoires sans fin qu'inventait sa mère, en en inventant à son tour quand il accompagnait ses parents aux cafés du centre-ville de Jérusalem où il devait se comporter de manière exemplaire, en regardant son père travailler.

"Je travaille un peu comme lui. Tel un horloger ou un orfèvre d'autrefois : un oeil clos, une loupe cylindrique vissée sur l'autre, des brucelles à la main : sur la table, devant moi, en guise de fiches il y a un tas de bouts de papier où j'ai gribouillé des mots, des verbes, des adjectifs et des adverbes, ainsi que quantité de fragments de phrases, d'expressions tronquée, de bribes de descriptions et d'essais d'associations. de temps en temps, je pêche prudemment avec la pincette l'une de ces particules, une minuscule molécule de texte que j'élève à contre-jour pour l'examiner à mon aise, je la tourne et la retourne, je la lime et la polis un peu, puisje la replace à la lumière pour l'inspecter encore, je lime encore un soupçon, et je me penche pour l'insérer délicatement dans la trame."(p. 448).

La dernière étape décisive de sa transformation en écrivain d'Amos Oz est sa lecture des nouvelles de Sherwood Anderson alors qu'il a 16 ans, qu'il est installé depuis un an (deux ans et demi après la mort de sa mère) au kibboutz d'Houlda et qu'il fait tout pour tourner le dos à sa vie d'avant, avec sa famille.
"Je comprenais d'où je venais : d'un morne écheveau de chagrin et de faux-semblants, de nostalgie, d'absurde, de misère et de suffisance provinciale, d'éducation sentimentale et d'idéaux anachroniques, de peurs rentrées de résignation et de désespoir." (p. 787)
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Quand je me suis lancé dans Une histoire d'amour et de ténèbres, une autobiographie imposante d'environ 850 pages, je craignais de me perdre dans la reconstitution d'une vie bien remplie. Heureusement, ce n'est pas le cas. Amos Oz porte son attention (et celle de ses lecteurs) sur ses premières années, son enfance, son adolescence, un début de vie adulte. Un peu aussi sur ses racines, l'histoire de sa famille, avec des aïeuls tant paternels que maternels provenant de presque tous les coins de l'Europe de l'Est (Russie, Pologne, Lituanie, Galicie, etc.). Les membres de beaucoup de ces familles se sont retrouvés à Tel-Aviv, Haïfa ou Jérusalem au début du siècle dernier. C'est autant leur histoire qu'Oz raconte, et celle de quelques voisins qui deviennent des personnages colorés, chacun avec ses manies qui le rendent si particulier, mémorable. le premier qui me vient en tête, c'est la grand-mère avec son obsession de la propreté, dont la lutte contre les microbes imaginaires devenait épique, entre autres obligeant son mari à pulvériser au DDT tous les jours les coins de leur minuscule appartement.

Une histoire d'amour et de ténèbres porte bien son titre. Comme tout ouvrage de ce genre, surtout quand on remonte très loin dans les souvenirs, la magie de l'enfance ne tarde pas à faire surface. On y retrouve quelques anecdotes drôles ou attendrissantes, des événements anodins mais qui prennent une tournure extraordinairement dramatique. le premier qui me vient en tête, c'est quand il s'enferme involontairement dans le réduit d'une boutique et qu'un monsieur arabe réussit à le sortir de là, en pleurs. le jeune Amos grandit, vieillit, puis, sans crier gare, la narration revient en arrière. Au début, cela m'a agacé, j'avais l'impression de ne pas progresser. Toutefois, je me suis ravisé : ces retours en arrière, bien que nombreux, ne constituaient jamais (il me semble) une redite, on apprenait toujours quelque chose de nouveau qui permettait de jeter un éclairage nouveau sur un ou des personnages, sinon au cours des choses. Si cela a rendu le récit plus compliqué, il l'a aussi rendu plus intéressant que ne l'aurait fait une narration purement linéaire. du moins, c'est ce que je crois.

Évidemment, raconter l'histoire d'une famille juive, c'est aussi l'occasion de parler des pogroms en Russie au début du siècle dernier, de l'Holocauste, de la création de l'état d'Israël puis de la guerre contre les Arabes, aussi la vie dans les kibboutz. de tels événements marquent obligatoirement l'imaginaire d'un enfant, d'un jeune homme. Toutefois, s'il était présent (surtout pour les deux derniers), Oz n'a pas été directement impliqué. Incidemment, Une histoire d'amour et de ténèbres porte davantage sur des épisodes plus personnels de l'auteur. L'amour, c'est sa famille, son entourage. Les ténèbres aussi, en grande partie. Les passages avec sa mère, surtout ceux qui précèdent son suicide alors que son fils n'a que douze ans, étaient émouvants.

Le dernier aspect qui m'a particulièrement plu dans Une histoire d'amour et de ténèbres, c'est l'aspect littéraire. C'est ce que je scrute le plus dans l'autobiographie d'un écrivain. La famille Klausner n'était pas pauvre, mais pas particulièrement riche non plus. « Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore? » (p. 42). C'est l'avantage de grandir dans une famille d'intellectuels et de lettrés. J'aurais aimé vivre dans un tel environnement. Dans tous les cas, cela a influencé le jeune Amos car, après son expérience plus ou moins réussie dans un kibboutz, il se tourne vers les études littéraires et commence à lire les grands auteurs. J'ADORE découvrir les influences des écrivains, c'est souvent l'occasion de renouer avec quelques auteurs ou de découvrir de nouvelles plumes, certaines de leurs oeuvres : Jabotinsky, Agnon, Luzzatto, Tourgueniev, Pouchkine, Schiller, Mazzini…

Au final, j'ai aimé beaucoup plus que je ne l'aurais cru cette autobiographie. Pour tout dire, je l'ai adorée. Amos Oz livre un récit intimiste, auquel beaucoup peuvent s'identifier (je fais référence ici au contexte familial, pas à la situation politique), sinon tenter de se projeter. La plume est jolie et accessible, jamais je ne me suis sentie dépassée malgré l'environnement juif-Israélien qui m'est complètement étranger. La reconstitution de ce monde révolu fut un beau moment de lecture.
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C'est un roman autobiographique, mais je comprends mal l'association, sauf si une artie du livre est en effet romancée, ce qui est quasiment imossible à savoir pour le lecteur. J'ai moyennement aimé la première partie, quand il évoque sa famille (sauf les parents). Par contre, l'évocation de ses relations avec son père et surtout sa mère est passionnante, et j'ai aimé par dessus tout la partie liée à la création d'Israël. Cette période pour le moins troublée est passionnante, et j'ai beaucoup appris sur un sujet que je connais mal. C'est un texte très dense, très riche,
très bien écrit, par un des plus grands écrivains israeliens.
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Si vous avez envie de sortir de l'ornière "Israéliens méchants Palestiniens gentils", voilà le livre idéal. Amos Oz est né en 1939, à Jérusalem. Fils unique de la jolie dame de la couverture, et du monsieur gentil et malhabile aux grosses lunettes, le petit enfant blond grandit, ni dans l'opulence ni dans la misère, regarde, écoute. Il ne donne aucune leçon, il ne défend pas une thèse, non. Il raconte.
Il raconte d'où viennent ses parents, là-bas en Europe de l'Est. Il raconte ce qu'il sait de leur arrivée à Jérusalem en 1937, pour ceux qui ont eu la bonne idée de quitter leur Lituanie ou leur Pologne avant la guerre. Il raconte l'itinéraire des ancêtres, les grands-parents et même leurs parents, la filiation, ceux qu'il connait et regarde vivre, et les autres qu'on découvre sur les photos.
Il raconte le quotidien planplan et pourtant riche de détails, tous ces intellectuels ultra-cultivés qui peinent à trouver une place un tant soit peu brillante dans ce monde tout neuf où on cherche plutôt des bras à bronzer et à muscler dans les kibboutz. L'école, les livres qui envahissent la maison, les visites aux grands-parents, les coups de coeur, l'imagination au pouvoir de l'enfant unique. Ce moment du vote de l'ONU en 1948 où le pays revendiqué, Israël, allait obtenir l'agrément du monde - ou au moins de 51% du monde - et dix secondes après, l'attaque des Arabes pour essayer de vite éradiquer ces gens dont ils ne voulaient pas. Mais tout ça est moins important que papa et ses jeux de mots foireux, maman et ses remarques énigmatiques, grand-père devenu veuf et soudain, gros dragueur à la remarquable courtoisie, grand-mère qui est morte de propreté, tous ces portraits de gens de bonne volonté avec leurs caractères à la noix. En mettant tout à plat, sans plaider, sans chercher à convaincre.
La photo sur la couverture se fait bien présente tout du long de la lecture du livre. A présent que je les connais, tous les trois, et si j'encadrais cette mini-famille que je viens de rencontrer ? C'est qu'on l'a suivi goulûment ce petit, qui aime les mots, aime leur histoire et les histoires qu'ils composent, aime lire, aime imaginer, de tout temps romancier, en quelque sorte, même s'il met du temps à s'en donner l'autorisation. On sent qu'il ne veut rien oublier, qu'il veut graver tout ça pour longtemps, que ça soit fait, clair, exhaustif. Pour lui, pour ses enfants, pour passer à autre chose la conscience tranquille.
Il est resté beau, Amos, et son histoire personnelle l'a conduit bien haut, avec cette sorte d'humilité paisible qui guide le petit garçon.

Plein de citations joliment troussées, comme :

"Un amphithéâtre de cheveux noirs auréolait une légère calvitie"

"Je détestais les omelettes et le corned beef. En fait, je crois bien que j'enviais les petits Indiens qui mouraient de faim et que personne n'obligeait jamais à finir leur assiette".

"En Amérique, par exemple, où il y avait des hold up de trains postaux, des chercheurs d'or, celui qui avait massacré le plus grand nombre d'Indiens gagnait la plus jolie fille. Telle était l'Amérique au cinéma Edison : la jeune fille récompensait le meilleur tireur. Mais qu'en faisait-il, je n'en avait aucune idée. Nous aurait-on montré une Amérique où, au contraire, celui qui avait tiré le plus grand nombre de filles gagnait le plus bel Indien, j'aurais crû que c'était dans l'ordre des choses, un point c'est tout."


Des passages sur l'amour des mots, de la langue et sa liberté.
Par exemple, l'hébreu était quasi une langue morte, qu'on a fait renaître de ses cendres pour unifier le pays… Une langue qu'il a fallu enrichir avec tous les mots de la modernité :

"Dans mon enfance, je vouais une grande admiration à mon grand-oncle Yosef parce que, m'avait-on dit, il avait inventé des mots quotidiens, des mots qui semblaient avoir existé depuis toujours, comme mensuel, crayon, iceberg, chemise, serre, toast, cargaison, monotone, bigarré, sensuel, grue, rhinocéros. Qu'aurais-je porté le matin si mon grand-oncle Yosef ne nous avait pas donné la chemise ? La tunique rayée de Joseph ? Et avec quoi aurais-je écrit sans mon crayon ? Avec une mine de plomb ?
Un homme capable de créer un mot et de l'injecter dans le principe vital de la langue me semblait à peine inférieur au Créateur de la lumière et des ténèbres. Un écrivain aura peut-être la chance d'être lu quelques temps, jusqu'à ce que son livre soit supplanté par d'autres, meilleurs que le sien. Mais l'inventeur d'un mot entre dans l'éternité.
En fermant les yeux je revois ce vieillard frêle et distrait, sa moustache douce, ses mains délicates, se frayant un chemin dans un pays de géants, peuplé d'une foule bigarrée d'immenses icebergs, de hautes grues, de rhinocéros à la peau épaisse qui tous, les grues, les rhinocéros et les icebergs, s'inclinaient poliment pour le remercier."

"Dans le conte qu'elle me racontait, ma mère ne mâchait pas ses mots, et sans considération pour mon jeune âge, elle me dévoilait les provinces reculées et pittoresques de la langue, que le pied d'un enfant n'avait jamais foulées, là où demeuraient les oiseaux de paradis du langage."

"Pour écrire un récit de 80.000 mots, il faut prendre environ un quart de million de décisions : non seulement concernant le développement de l'intrigue, qui vivrait ou mourrait, qui serait amoureux ou volage, qui s'enrichirait ou se ridiculiserait, quels seraient les noms les images les habitudes et les occupations des personnages, les divisions en chapitre, le titre du livre (c'était là les décisions les plus simple), ce qu'il fallait raconter, passer sous silence, ce qui venait avant ou après, ce qu'il convenait d'exposer en détail ou par allusions (décisions faciles là aussi),
mais aussi des myriades de choix subtils s'imposaient encore, comme, par exemple, écrire bleu ou bleuté dans la troisième phrase avant la fin de paragraphe. Ou peut-être azuré ? Azur ? Bleu foncé ? Ou bleu-gris ? Et ce bleu-gris là, fallait-il l'introduire au début de la phrase ? Ou valait-il mieux le placer à la fin ? Au milieu ? Ou encore en faire une indépendante très brève, avec un point devant et un point après, suivi d'un autre paragraphe ? Ou valait -il mieux que cette nuance soit entrainée par le courant d'une phrase ondoyante et complexe, riche en subordonnées ? A moins de se contenter de quatre mots : "la lumière du soir", sans la colorer de bleu-gris ou d'azur cendré ?…"
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Une magnifique et bouleversante saga familiale.L' histoire d' une femme victime d' un mari trop sec et de difficultés d' intégration en Israël.Une vision critique de la droite israélienne aussi.L' histoire du fils de cette femme(l' auteur) de sa découverte des légendes et de la littérature, son amour pour sa mère.Un livre bouleversant sur Israël et le peuple juif au 20è siècle, plein d' humour aussi.Il ne nécessite pas de culture philosophique,très bien traduit
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Amos Oz (1939-2018) R.I.P

Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......

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