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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'avais entendu parler d'Amos Oz comme un des leaders du mouvement « La paix maintenant ». C'est cette réputation qui m'a donné envie de découvrir cet auteur majeur de la littérature israélienne contemporaine.
Une histoire d'amour et de ténèbres… le titre est bien choisi, autant au niveau intime que politique.

L'amour et les ténèbres ont marqué la relation qu'Amos Oz entretenait avec sa mère Fania, qui s'est suicidée quand il n'avait que douze ans, ainsi que la relation de l'écrivain avec cet autre que représente le peuple arabe : les Palestiniens. Sa tentative lorsqu'il était enfant de se lier d'amitié avec Aïcha et son frère Awad se termine en catastrophe et symbolise de façon troublante l'amitié impossible entre deux peuples qui ne parviennent pas à se comprendre et s'entendre. En toile de fond se trouve toujours l'horreur de la Shoah, des persécutions, des pogroms, drames absolus des Juifs, qui fait dire à Ephraïm Avnieri, un des fondateurs du kibboutz où le jeune Amos s'est réfugié après la mort de sa mère, pour tenter d'avancer : « Personne au monde ne veut de moi, nulle part. La question est là […] C'est l'unique raison pour laquelle je porte une arme, pour qu'ils ne me chassent pas d'ici aussi. Mais je ne traiterai jamais d' « assassins » les Arabes qui ont perdu leurs villages. »

Une atmosphère mélancolique plane sur ce livre, atmosphère que l'on retrouve parfois aussi chez Modiano (Rue des Boutiques Obscures) ou Zweig (La Pitié dangereuse) et qui est loin de me déplaire. Loin de la mode de la « feel good littérature », elle est propice à une réflexion qui n'est jamais caricaturale ou manichéenne et amène le lecteur vers une meilleure compréhension du monde et une plus grande lucidité.
Grâce à ce livre, j'ai effectué une immersion radicale dans une culture que je ne connaissais pas : celle des érudits juifs ashkénazes qui discutent de philosophie et de politique, étudient le talmud, la mishna et la gemara dans des yeshivas. Tout ce vocabulaire spécifique rend un peu la lecture difficile au départ mais c'est aussi la découverte d'un univers intellectuel très riche. La famille Klausner, le vrai nom d'Amos Oz, connaissait un prix Nobel de littérature : S.J. Agnon dont l'oeuvre a marqué l'écrivain, en particulier À la fleur de l'âge qui lui rappelle Fania, sa mère.
J'ai aimé les réflexions d'Amos Oz sur l'écriture et la dette qu'il affirme avoir à l'égard de Sherwood Anderson, grand écrivain qu'il m'a fait découvrir et qui mériterait sans doute d'être davantage connu. Celui-ci lui a appris que la vie des gens ordinaires valait aussi la peine d'être racontée et il l'a mis en pratique en racontant les rêves, les espoirs et les souffrances des habitants du kibboutz.
L'imagination de l'auteur est foisonnante. Ce roman, en partie autobiographique, brasse plusieurs thèmes très intéressants voire passionnants : de la construction de l'État d'Israël aux débats sur le sionisme, le conflit israélo-palestinien, la responsabilité des Britanniques dans l'échec du plan de partage de la Palestine à l'ONU en 1947, qui a provoqué une guerre interminable et de nombreuses victimes et même un diplomate assassiné, le comte suédois Bernadotte. le thème le plus émouvant du livre est la quête sans fin d'Amos Oz pour comprendre sa mère et son geste irrévocable. Il lui consacrera un livre Mon Michael, sur une femme qui n'arrive pas à être heureuse. Pourquoi ? À cause des déceptions de la vie conjugale, des rêves impossibles à réaliser ou du souvenir des amis morts en Ukraine au cours de la Shoah par balles ? C'est pourtant grâce à Fania qu'Amos Oz est devenu écrivain puisqu'elle jouait avec lui à inventer des histoires et qu'il a continué seul de le faire après sa mort, cruelle pour un enfant. C'est elle qui lui inspire certains des plus beaux passages du livre. Elle donne à ce dernier une dimension tragique et poétique, bouleversante pour le lecteur qui ne peut s'empêcher de partager la souffrance de l'auteur, surgie du souvenir de cette femme énigmatique et tourmentée. Son suicide demeurera à jamais un mystère insoluble.
Une histoire d'amour et de ténèbres est une grande oeuvre de la littérature israélienne qui illustre à merveille les vers de Baudelaire dans Les Fleurs du mal : « Tu m'as donné ta boue » ou ta souffrance « et j'en ai fait de l'or ».
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Encore une relecture.

Les debuts m'ont un peu agace. J'ai senti qu'Oz se laissait aller vers trop de narcissisme, meme pour une autobiographie. Et je n'ai pas aime sa facon d'houspiller le mauvais lecteur qui "veut tout savoir, immediatement", et les mauvais journalistes: "Professeur Nabokov, avait questionne un jour une journaliste, en direct, a la television, are you really so hooked on little girls? A moi aussi, des journalistes enthousiastes me demandent, au nom du droit de savoir du public, si ma femme m'a servi de modele pour le personnage de Hannah dans Mon Michael [...] Pourquoi ces journalistes essouffles en ont-ils apres Nabokov et moi?"


Heureusement, au fil des pages, le narcissisme s'estompe jusqu'a disparaitre, et Oz enjambe les frontieres de l'autobiographie pour ecrire une biographie de ses parents, de ses grands-parents, et a travers ses ancetres une histoire des juifs en Europe de l'Est, une histoire de l'implantation juive en Palestine, du conflit qui s'ensuit avec les palestiniens, mettant l'accent sur Jerusalem. Une fresque monumentale, non lineaire, et pas simpliste ni simplificatrice, mais qui au contraire met en relief les debats d'idees sur l'essence de la societe israelienne et les diverses positions face au conflit. Ce qui en fait pour moi non seulement une des plus grandes oeuvres de la litterature israelienne, mais aussi une des grandes oeuvres de la litterature juive de tous les temps. J'exagere? Presque pas.


Oz est connu pour ses prises de position envers une paix juste, equitable envers les palestiniens comme envers les israeliens. Cela transparait dans son livre, dans beaucoup de pages differentes, et surtout une, ou il met dans la bouche d'un kibboutznik ce qui peut etre considere comme son credo: "Une nuit d'hiver je m'etais retrouve de garde en compagnie d'Ephraim Avneri. [...] Je demandai a Ephraim si, pendant la guerre d'independance ou les emeutes des annees trente, il lui etait arrive de tirer et tuer un de ces assassins. [..] --Des assassins? Mais qu'aurais-tu voulu qu'ils fassent? de leur point de vue, nous sommes des extraterrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit a petit. [...] Qu'est-ce que tu croyais? Qu'ils allaient nous remercier? Qu'ils nous accueilleraient en fanfare? Qu'ils nous remettraient respectueusement les cles du pays sous pretexte que nos ancetres y vivaient autrefois? En quoi est-ce extraordinaire qu'ils aient pris les armes contre nous? Et maintenant que nous les avons battu et que des centaines de milliers d'entre-eux vivent dans des camps, penses-tu vraiment qu'ils vont se rejouir avec nous et nous souhaiter bonne chance? [...] En 48 il y a eu une guerre terrible, et ils se sont debrouilles pour que ce soit eux ou nous, et on a gagne et on le leur a pris. Il n'y a pas de quoi etre fier! Mais si c'etaient eux qui avaient gagne en 48 il y aurait encore moins de quoi etre fier: ils n'auraient pas laisse un seul juif vivant. C'est parce que nous leur avons pris ce que nous leur avons pris en 48 que nous avons ce que nous avons aujourd'hui. Et c'est parce que nous avons quelque chose maintenant que nous ne devons rien leur prendre de plus. Si nous leur en prenons plus un jour, maintenant que nous avons quelque chose, nous commettrons un tres grave peche. -- Et si les fedayin debarquaient maintenant? --Dans ce cas, soupira Ephraim, ey bien, il faudra nous aplatir dans la boue et tirer. Et on aura interet a tirer mieux et plus vite. Pas parce que ce sont des assassins, mais pour la simple raison que nous avons egalement le droit de vivre et d'avoir un pays a nous."


Oz est un sioniste eclaire: pour que l'Etat juif ait un avenir, il faut que les palestiniens aient aussi un etat, viable (donc pas dans les frontieres etriquees que veulent leur destiner Netanyahu et Trump), ou ils pourront se developper normalement. Malheureusement ce ne sont pas les sionistes realistes comme lui qui sont au pouvoir aujourd'hui mais des fanatiques messianiques aveugles qui marchent a rebours de l'histoire et ne pourront apporter d'apres moi que tribulations et malheurs, a tous, a tous ceux qui vivent dans ce quartier de la planete.


Mais assez parle histoire et politique. Une histoire d'amour et de tenebres est avant tout et apres tout un tres beau livre, complexe, bigarre, bouleversant (et oui, je n'ai rien dit de la maladie, du suicide de la mere de l'auteur, qui sont de grands moments de ce livre, carrement dechirants), et ecrit par un maitre conteur, un tres grand artisan en litterature. Un livre qui transcende son cadre geographique pour devenir d'interet universel. Un livre que je conseille a tous. Un must.
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Sur 842 pages (format poche), Amos Oz retrace, non seulement sa vie et celle de sa famille, mais également l'histoire de l'Europe de l'Est et de la création de l'état d'Israël.

Un très grand livre qui nous éclaire sur l'antagonisme entre arabes et juifs (que l'auteur compare à des enfants martyres qui ne voient dans l'autre que leurs tortionnaires et incapables de comprendre ce qui pourrait les rapprocher).

Essentiel !
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Rarement le titre d'un ouvrage ne m'a paru contenir autant le livre. Une histoire d'amour et de ténèbres : chacun de ces termes déploie en lui-même et dans sa relation avec les deux autres tout ce que contient ce roman autobiographique.

Je vous emmènerais bien comme le fait Amos Oz directement dans les méandres de l'appartement familial, à flanc de colline, dans le dédale obscur d'un couloir alourdi de livres. Chez son grand-oncle Yosef aussi, cet érudit qui pérore, pompeux et geignard dans un décorum de théâtre. Avec son père qui lit et pratique un nombre incroyable de langues mortes ou vivantes, ne supporte pas les silences et les comble de calembours étymologiques. Sa mère, mélancolique et rêveuse. Belle et fantaisiste. Sa mère qui se suicidera alors qu'Amos n'avait que douze ans. Mais il faudrait alors que j'ajoute à chaque anecdote, comme le fait Amos Oz, les dérivations, incursions, bifurcations qui contaminent l'ordre de la narration. Que je revienne en arrière en Europe, aux racines des familles maternelles et paternelles. Que je vous perde dans des discussions profondes ou hors sol tandis que la douleur s'écoule et qu'on n'en parle même pas. Que les attaques palestiniennes ripostent aussitôt à la résolution de l'ONU en faveur de l'Etat israélien. Que vous entendiez avec moi le contre-point de ce camarade du kibboutz qui met en perspective la réaction aussi monstrueuse qu'attendue des Palestiniens dont on a envahi les terres au nom d'une histoire de deux-mille ans et d'un génocide encore tout récent. Que la guerre et ses privations reviennent au-devant de la scène avec la lecture de milliers de romans, avec les premières amours d'Amos, ses batailles homériques sur le tapis de l'appartement, des boutons pour armées, lui en héros pour remettre le monde d'aplomb. Que je recopie l'intégralité du roman en somme.

L'histoire est racontée depuis 2001, époque où le narrateur est déjà plusieurs fois grand-père et peut, de manière sinon distancée, au moins apaisée interroger ses souvenirs, les hypothèses qu'il émet sur la chaine des causalités. On y gagne une peinture tout en détail de deux générations d'aînés meurtries par la guerre mais aussi habitées d'une soif de connaissance colossale. Amour et ténèbres car à l'impossible dire d'émotions empêchées se substitue le labyrinthique chemin des savoirs. En plusieurs langues, selon la taxinomie subtile d'exégètes que rien n'effraie. Dans un abyssal aveuglement pour la résonnance affective. Mais sans qu'il soit possible de dire qu'il aurait dû en être autrement.

Coupé dans son élan par la mort de sa mère, écoeuré par l'invraisemblable inadéquation d'une réponse livresque, Amos va tenter de s'inventer une troisième voie et de forcir ses muscles, de bronzer son teint blême dans le travail agricole d'un kibboutz. Il y finira écrivain, amoureux de la fille du bibliothécaire. On n'échappe ni à l'amour ni aux ténèbres.

On y gagne un vertigineux rapport à l'existence, un humour où le terre à terre taquine la métaphysique, une humilité radicale, riche pourtant d'une connaissance encyclopédique. On y gagne un roman dense, à la lecture parfois ardue mais toujours envoutante.

J'ai commencé cette lecture avant les attentats iniques du Hamas contre les populations civiles d'Israël. C'était étrange, à mesure que les jours passaient et que j'avançais dans ma lecture, de constater que ces histoires vieilles de plusieurs dizaines d'années n'avaient rien d'accompli et qu'elles résonnaient encore bien après qu'elles ont été couchées sur le papier. C'était doux-amer de lire le caractère inextricable de la situation déjà si bien dépeint dans ces pages. Peut-être la meilleure manière de bercer mon impuissance et d'embrasser dans un même hommage les victimes de ces inéluctables et intolérables conflits.
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Quand je me suis lancé dans Une histoire d'amour et de ténèbres, une autobiographie imposante d'environ 850 pages, je craignais de me perdre dans la reconstitution d'une vie bien remplie. Heureusement, ce n'est pas le cas. Amos Oz porte son attention (et celle de ses lecteurs) sur ses premières années, son enfance, son adolescence, un début de vie adulte. Un peu aussi sur ses racines, l'histoire de sa famille, avec des aïeuls tant paternels que maternels provenant de presque tous les coins de l'Europe de l'Est (Russie, Pologne, Lituanie, Galicie, etc.). Les membres de beaucoup de ces familles se sont retrouvés à Tel-Aviv, Haïfa ou Jérusalem au début du siècle dernier. C'est autant leur histoire qu'Oz raconte, et celle de quelques voisins qui deviennent des personnages colorés, chacun avec ses manies qui le rendent si particulier, mémorable. le premier qui me vient en tête, c'est la grand-mère avec son obsession de la propreté, dont la lutte contre les microbes imaginaires devenait épique, entre autres obligeant son mari à pulvériser au DDT tous les jours les coins de leur minuscule appartement.

Une histoire d'amour et de ténèbres porte bien son titre. Comme tout ouvrage de ce genre, surtout quand on remonte très loin dans les souvenirs, la magie de l'enfance ne tarde pas à faire surface. On y retrouve quelques anecdotes drôles ou attendrissantes, des événements anodins mais qui prennent une tournure extraordinairement dramatique. le premier qui me vient en tête, c'est quand il s'enferme involontairement dans le réduit d'une boutique et qu'un monsieur arabe réussit à le sortir de là, en pleurs. le jeune Amos grandit, vieillit, puis, sans crier gare, la narration revient en arrière. Au début, cela m'a agacé, j'avais l'impression de ne pas progresser. Toutefois, je me suis ravisé : ces retours en arrière, bien que nombreux, ne constituaient jamais (il me semble) une redite, on apprenait toujours quelque chose de nouveau qui permettait de jeter un éclairage nouveau sur un ou des personnages, sinon au cours des choses. Si cela a rendu le récit plus compliqué, il l'a aussi rendu plus intéressant que ne l'aurait fait une narration purement linéaire. du moins, c'est ce que je crois.

Évidemment, raconter l'histoire d'une famille juive, c'est aussi l'occasion de parler des pogroms en Russie au début du siècle dernier, de l'Holocauste, de la création de l'état d'Israël puis de la guerre contre les Arabes, aussi la vie dans les kibboutz. de tels événements marquent obligatoirement l'imaginaire d'un enfant, d'un jeune homme. Toutefois, s'il était présent (surtout pour les deux derniers), Oz n'a pas été directement impliqué. Incidemment, Une histoire d'amour et de ténèbres porte davantage sur des épisodes plus personnels de l'auteur. L'amour, c'est sa famille, son entourage. Les ténèbres aussi, en grande partie. Les passages avec sa mère, surtout ceux qui précèdent son suicide alors que son fils n'a que douze ans, étaient émouvants.

Le dernier aspect qui m'a particulièrement plu dans Une histoire d'amour et de ténèbres, c'est l'aspect littéraire. C'est ce que je scrute le plus dans l'autobiographie d'un écrivain. La famille Klausner n'était pas pauvre, mais pas particulièrement riche non plus. « Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore? » (p. 42). C'est l'avantage de grandir dans une famille d'intellectuels et de lettrés. J'aurais aimé vivre dans un tel environnement. Dans tous les cas, cela a influencé le jeune Amos car, après son expérience plus ou moins réussie dans un kibboutz, il se tourne vers les études littéraires et commence à lire les grands auteurs. J'ADORE découvrir les influences des écrivains, c'est souvent l'occasion de renouer avec quelques auteurs ou de découvrir de nouvelles plumes, certaines de leurs oeuvres : Jabotinsky, Agnon, Luzzatto, Tourgueniev, Pouchkine, Schiller, Mazzini…

Au final, j'ai aimé beaucoup plus que je ne l'aurais cru cette autobiographie. Pour tout dire, je l'ai adorée. Amos Oz livre un récit intimiste, auquel beaucoup peuvent s'identifier (je fais référence ici au contexte familial, pas à la situation politique), sinon tenter de se projeter. La plume est jolie et accessible, jamais je ne me suis sentie dépassée malgré l'environnement juif-Israélien qui m'est complètement étranger. La reconstitution de ce monde révolu fut un beau moment de lecture.
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Après de nombreuses déceptions, j'ai trouvé avec "une histoire d'amour et de ténèbres" un roman qui justifie pleinement ma passion pour la littérature.
D'ailleurs, je trouve regrettable que les critiques précédentes ne fassent pas suffisamment honneur à l'excellence de ce récit autobiographique. Saurais-je faire mieux pour vous communiquer mon enthousiasme ?
Amos Oz est un Sabra, né sur la terre d'Israël en 1939, alors que ses parents sont des exilés, déracinés d'Europe de l'Est, c'est à dire qu'ils portent à des degrés divers les stigmates de leur déracinement.
Enfant curieux et éveillé, élevé dans un milieu intellectuel, l'auteur a vécu la fin du mandat britannique, la création de l'Etat, la guerre d'indépendance. Tous les évènements douloureux et chaotiques qui s'y rattachent sont évoqués avec force et une réflexion de fond.
En marge de la grande Histoire, c'est le passé de ses grands parents et de ses parents qu'il relate avec un exceptionnel talent de narrateur et de conteur, en faisant toujours preuve d'humanité, d'esprit d'observation, d'analyse. Son regard est lucide, souvent drôle envers les travers de sa communauté, et plein d'empathie pour la partie adverse dont il admet la frustration et la révolte.
L'absence de chronologie du roman n'est pas un problème. Au contraire, elle exprime tous les souvenirs qui le hantent et se rappellent à lui au fil de sa pensée, passant de l'intime au général, ou inversement.
Il y a des pages douloureuses concernant son entourage, ceux qui n'ont pas su ou pu maîtriser les souffrances, les déceptions, les pertes. Sa mère est le plus bouleversant exemple de cette tragédie.
Mais il y a aussi des pages d'espoir qui évoquent les conquérants, ceux qui ont décidé de tourner la page et de reconstruire un monde à leur mesure. Bien sûr, le problème de fond n'est toujours pas réglé mais je rappelle qu'Amos Oz, partie prenante dans le conflit, appartient à la minorité progressiste qui oeuvre pour la paix.
Je quitte le monde et la pensée d'Amos Oz avec regret.
Six jours m'ont suffit pour venir à bout des 850 pages de la version Folio. J'aurais pu mettre Six étoiles si c'était possible.
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Amos Oz, romancier majeur de la jeune génération israélienne, celle qui est née en Israël, nous suivre ici ses souvenirs d'enfance. Il ne se contente pas de se raconter, il est aussi un témoin de l'histoire de son pays, et au-delà celle de son peuple. L'ouvrage fourmille de détails que l'absence de linéarité rend vivant, et, compense avantageusement la richesse et la complexité (parfois) linguistique et culturelle. La lecture en est de fait aussi agréable qu'un roman, et intellectuellement enrichissante comme un livre d'histoire. Ses souvenirs d'enfance arrivent assez tardivement dans la bibliographie de l'auteur, ce qui se comprend aisément au fur et à mesure de la lecture.
Ces derniers s'articulent autour de 3 axes principaux, qui ne font évoqués distinctement, mais subtilement tout au long de son ouvrage.
• L'aspect politique et historique
Natif de Jérusalem, la famille d'Amos Oz est originaire d'Europe centrale, et a entrepris l'Alya en 1933 et s'installe en Eretz-Israël. le jeune Amos va vivre la création de l'état d'Israël en étant préparé au sionisme. Lui-même se fera sa propre expérience au sein d'un Kibboutz. J'ai trouvé ses passages d'un grand intérêt, parce que les grandes figures de l'époque sont présentes, et il les a côtoyées de près, mais surtout parce que qu'il est d'une grande lucidité, et d'une grande tolérance. Seul comptait à ce moment-là bouter les anglais hors de cette région pour pouvoir y vivre libre, construire une nation, et accueillir les rescapés des camps nazis.
J'ai été frappée par la haute conscience politique de ce gamin de 8 ans, qui suivait à la radio les travaux de L'ONU sur le vote ou pas de la création de l'état
• L'aspect littéraire
Amos Oz grandit au sein d'une faille d'intellectuels, et de grands lettrés, sans avoir forcément pu avoir le parcours professionnel qu'ils méritaient, en particulier son père. le jeune garçon est très jeune imbibé de littérature aussi bien classique, que judaïque. Sa prose est riche, son style est raffiné.
• L'aspect familial et affectif
Amos Oz saura me toucher dans le drame familial qui le frappe alors qu'il a douze ans. Ce deuil, il n'en parlera pas d'emblée, mais insidieusement, de- ci de –là, pour y revenir plus longuement. C'est une blessure qui ne s'est jamais complètement refermée. Un épisode de sa vie qui a sans aucun doute façonné sa vie d'homme et de père.
Ses rapports avec le père sont compliqués. Cela passera par un changement de nom, une expérience communautaire qui changera ses visions du sionisme.
« Je lui en voulais d'être partie sans me dire au revoir, sans m'embrasse, sans explication : pourtant même un parfait étranger, un coursier un colporteur qui frappait à la porte, ma mère ne le laissait jamais repartir sans lui proposer un verre d'eau, sans un sourire, un mot d'excuse, quelques paroles aimables. Quand j'étais petit elle ne me permettait jamais d'aller seul à l'épicerie dans une cour inconnue ou un jardin public. Comment avait-elle pu ? »
Ce livre, épais, peut impressionner au premier abord, le portrait de famille de la couverture a une allure austère, un peu froide. L'ouvrage est d'une richesse inouïe, d'une lecture agréable. Il est à mon sens incontournable.
Lien : http://leblogdemimipinson.bl..
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Un livre magnifique où la grande Histoire, celle des juifs d'Europe centrale, celle d'Israël et celle de l'auteur Amos Oz et de sa famille se rejoignent. Avec beaucoup de sensibilité, de nostalgie pour un temps révolu, mais également de distance et d'humour, Amos Oz nous les raconte dévoilant également ce qui a été la grande blessure de sa vie d'enfant et d'adulte, la disparition de sa mère quand il a 12 ans. La mort est d'ailleurs omniprésente dans ce livre, celle des juifs morts dans les camps nazis d'extermination, celle des juifs et des Arabes morts dans la guerre qui les oppose à partir de 1947, celle de ses parents et de leurs amis. Mais elle côtoie la vie, ses découvertes, ses apprentissages, ses joies.

Si j"ai eu un peu de mal à entrer dans le récit avec au début du livre le parcours des grands-parents d'Amos Oz, j'ai été après totalement happée par ma lecture. L'auteur raconte la (fragile) coexistence entre juifs et Arabes avant 1948, les premiers affrontements armés quand en 1947 l'ONU propose le plan de partage de la Palestine sous mandat anglais en deux États distincts puis le déclenchement de la guerre une fois l'Etat d'Israël officiellement créé.
Nous découvrons aussi le milieu intellectuel dans lequel Amos Oz a vécu et comprenons comment l'écrivain qu'il est devenu est né, en écoutant les histoires sans fin qu'inventait sa mère, en en inventant à son tour quand il accompagnait ses parents aux cafés du centre-ville de Jérusalem où il devait se comporter de manière exemplaire, en regardant son père travailler.

"Je travaille un peu comme lui. Tel un horloger ou un orfèvre d'autrefois : un oeil clos, une loupe cylindrique vissée sur l'autre, des brucelles à la main : sur la table, devant moi, en guise de fiches il y a un tas de bouts de papier où j'ai gribouillé des mots, des verbes, des adjectifs et des adverbes, ainsi que quantité de fragments de phrases, d'expressions tronquée, de bribes de descriptions et d'essais d'associations. de temps en temps, je pêche prudemment avec la pincette l'une de ces particules, une minuscule molécule de texte que j'élève à contre-jour pour l'examiner à mon aise, je la tourne et la retourne, je la lime et la polis un peu, puisje la replace à la lumière pour l'inspecter encore, je lime encore un soupçon, et je me penche pour l'insérer délicatement dans la trame."(p. 448).

La dernière étape décisive de sa transformation en écrivain d'Amos Oz est sa lecture des nouvelles de Sherwood Anderson alors qu'il a 16 ans, qu'il est installé depuis un an (deux ans et demi après la mort de sa mère) au kibboutz d'Houlda et qu'il fait tout pour tourner le dos à sa vie d'avant, avec sa famille.
"Je comprenais d'où je venais : d'un morne écheveau de chagrin et de faux-semblants, de nostalgie, d'absurde, de misère et de suffisance provinciale, d'éducation sentimentale et d'idéaux anachroniques, de peurs rentrées de résignation et de désespoir." (p. 787)
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J'ai lu ce livre alors que je ne connaissais pas du tout l'écrivain israélien, Amos Oz.
Le livre est juste sublime. Ce récit autobiographique raconte la jeunesse d'Amos Oz, comment il s'est construit et formé. Un seul bémol: j'ai parfois trouvé un peu long la description des étapes menant à la constitution de l'Etat d'Israël.
Son enfance et adolescence sont marquées par la constitution d'Israël en tant que nation mais pas seulement. Les rapports sont parfois compliqués avec son père qui occasionnellement trompe sa femme. La mère d'Amos Oz, une femme sensible et douce, fragile aussi, met un terme à sa vie alors que le petit Amos a une dizaine d'années. Ce choc est vécu comme un tremblement de terre par Amos Oz. L'auteur dira plus tard qu'il a mis cinquante ans à pouvoir juguler cette souffrance.
Les dernières pages du récit sont incroyablement belles et bouleversantes. Elles m'ont fait pleurer. Amos Oz y parle de sa mère. S'il ne fallait lire ces 850 pages uniquement pour parvenir à cette dernière partie, cela en vaudrait largement la peine.
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Ce livre m'a bouleversée, d'où ma difficulté à le chroniquer. Je n'ai toujours pas fini de le lire… J'ai regardé l'excellent documentaire d'ARTE en 2018. Je ne me résous pas à l'enfermer dans mes interprétations subjectives, voire à le trahir avec mes gros sabots.

Amos Oz nous raconte son histoire qui s'imbrique avec l'histoire des juifs et d'Israël.

Pauvre petit Amos, reclus dans cet appartement sombre de 30m2, à Kerem Avraham – Jérusalem, dans une ambiance pesante : un père qui parle sans arrêt, ne supporte pas le silence, abuse des jeux de mots ; une mère belle, mélancolique, prodigue en contes cruels, qui se suicide à trente-huit ans.

Je me suis attachée à cet enfant unique, solitaire, adulé dans un monde d'adultes, qui fait figure de prodige bien sage, bien élevé alors qu'il cache bien son jeu. Il fait croire qu'il sait lire alors qu'il a juste appris par coeur. Chez Mala et Staszek Rudnicki, il mime tellement bien le ravissement devant le gâteau qu'il a droit à la surprise : la limonade maison écoeurante de sucre ! Il remercie traitreusement, et en catimini, verse le breuvage dans le pot à fleurs !

Il rêve d'être un livre :

« Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver ». (p.29)

D'Odessa à Vilnius ou Rovno (Russie, Ukraine, Lituanie, Pologne), sa famille qui fait partie de l'élite intellectuelle juive, persécutée par l'antisémitisme, se crée un rempart contre l'adversité avec les livres qui tiennent lieu de patrie et Dieu.

Déclaration du grand-père Alexandre : « Je hais Dieu ! Puisse-t-il mourir ! La canaille de Berlin a brûlé, mais il y a un autre Hitler là-haut ! Bien pire ! « Nu, chto » ! Il se moque de nous, le salaud ! » (p.370-1)

Les grands-parents d'Amos n'émigrent pas volontairement en Palestine. Leur « terre promise » c'est l'Europe. Ils ont aussi postulé aussi pour les Etats-Unis. Mais, les quotas sont atteints, on ne veut plus de juifs.

« Là-bas, dans le monde, les murs étaient couverts de graffitis haineux : « Sale youpin, va-t'en en Palestine », alors nous sommes allés en Palestine et aujourd'hui, le mondeentier nous crie : « Sale youpin, va-t'en de Palestine » (p.12)

Amos se réfugie dans sa bulle, avec ses guerres à lui, avec encrier, gomme, taille-crayon, stylos, carnets, trombones, punaises, coussins, allumettes, couverts, dominos, chiffons, sparadrap, cure-dents, brosse à dents, épingles à cheveux, papier toilettes, boites…, tout ce qui lui tombe sous la main.

Un jour de sabbat, sa mère achète une carpe qu'elle conserve vivante dans la baignoire.

« Un jour, alors que j'étais seul à la maison, j'avais décidé de distraire la carpe qui se morfondait avec des îles, des détroits, des écueils et des récifs, sous la forme de divers ustensiles de cuisine que j'avais immergés dans l'eau de la baignoire. Avec la patience et l'acharnement du capitaine Achab, j'avais longtemps poursuivi, à l'aide d'une louche, mon Moby Dick qui s'échappait grâce aux cachettes sous-marines que j'avais semées pour lui au fond de la mer ». (p.224)

Autant je me suis attachée à l'enfant, autant je garde mes distances par rapport à l'adulte, sans pour autant remettre en cause ses qualités d'écrivain.

Amos Oz dit que le besoin d'écriture nait d'une blessure profonde. Il ne se remet jamais du suicide de sa mère qui l'a abandonné, en claquant la porte. Il est constamment dans l'opposition.

A seize ans, contre l'avis de son père et de sa famille qui sont « révisionnistes » (sionistes de droite), il part au kibboutz Houlda, où il restera trente et un an (1954 – 1985). Il change son nom Klausner en Oz, qui signifie la force.

Amos Oz milite publiquement pour la paix, pour deux états, mais il défend essentiellement l'intérêt des juifs.

Il cite crument la devise de sa grand-mère Schlomit : « le Levant est infesté de microbes » (p.44)

Il n'a aucune accointance avec les arabes. Dans Une histoire d'amour et de ténèbres, il ne les approche que dans deux épisodes. Dans le premier, il est enfant et s'est perdu dans un magasin, c'est un arabe gentil qui le libère du placard où il est enfermé. Dans le deuxième, il a dans les neuf ans, il se rend avec Mala et Staszek Rudnicki, à une réception chez des arabes riches, les Silwani. Il a une discussion étrange (vu son âge) avec une jeune adolescente arabe, dont il blesse involontairement le petit frère. Cette anecdote me semble floue. Cette famille arabe reste un mystère pour lui : « Je leur parlais souvent en moi-même » (p.401).

Amos Oz présente deux peuples bannis : les juifs et les palestiniens qui se retrouvent à partager un même territoire, alors qu'il s'agit de deux peuples incapables de communiquer entre eux. Il ne blâme pas les arabes, mais à la guerre comme à la guerre.

« - Des assassins ? Mais qu'aurais-tu voulu qu'ils fassent ? de leur point de vue, nous sommes des extraterrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit à petit. [...] Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'ils allaient nous remercier ? Qu'ils nous accueilleraient en fanfare ? Qu'ils nous remettraient respectueusement les clés du pays sous prétexte que nos ancêtres y vivaient autrefois ? En quoi est-ce extraordinaire qu'ils aient pris les armes contre nous ? Et maintenant que nous les avons battus et que des centaines de milliers d'entre eux vivent dans des camps, penses-tu vraiment qu'ils vont se réjouir avec nous et nous souhaiter bonne chance ?
[...]
-- Et si les fedayin débarquaient maintenant ?
--Dans ce cas, soupira Ephraim, « ey bien », il faudra nous aplatir dans la boue et tirer. Et on aura intérêt à tirer mieux et plus vite. Pas parce que ce sont des assassins, mais pour la simple raison que nous avons également le droit de vivre et d'avoir un pays à nous." (p.450-1)

Il aurait fallu avant de voter à l'ONU, en 1948, la création d'Israël, établir un dialogue constructif entre les arabes et les juifs.

Israël est technologiquement un des pays les plus avancés au monde.
Les palestiniens sont démunis face à une telle force de frappe.
Je plaide la cause du peuple palestinien, l'arrêt du génocide.
Je prie pour la paix.
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Amos Oz (1939-2018) R.I.P

Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......

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