Un des plus grands philosophes du siècle des lumières, absolument méconnu du grand public. La morale universelle (1776) aurait pu être écrite au XXI ème siècle, tellement elle est d'actualité. Pour moi la bible de l'athée !
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D'un autre coté, l'art de faire du bien, est inconnu du plus grand nombre des hommes; il exige une modestie, une délicatesse, un tact fin, qui puisse rassurer l'amour-propre de ceux que l'on oblige et dont on veut mériter la gratitude. Cet amour-propre est si prompt à s'allumer que le bienfaiteur a besoin de toutes les ressources de l'esprit pour ne point offenser les personnes qu'il a dessein d'obliger.
Les orgueilleux, les hommes vains, impérieux, fastueux et prodigues, ne connaissent aucunement l'art de faire du bien. Aussi sont-ils communément des ingrats : il n'y a que les personnes sensibles qui sachent obliger.
De l'ingratitude
N'est-il pas surprenant de rencontrer tant d'ingrats sur la terre ?
Néanmoins plusieurs causes semblent concourir pour les multiplier. L'orgueil et la vanité paraissent être en général les vraies sources de l'ingratitude. On surfait son propre mérite, et chacun alors regarde les bienfaits qu'il reçoit comme des dues. Chacun croit trouver en soi la raison suffisante des services qu'on lui rend et n'en veut avoir obligation qu'à lui-même. D'ailleurs, on craint les avantages que l'on peut donner à ceux de qui l'on reçoit des bienfaits; on appréhende qu'ils ne soient tentés d'abuser de la supériorité ou des droits qu'ils acquièrent. On a honte d'avouer que l'on dépend d'eux et que l'on besoin de leur secours pour sa propre félicité. Enfin, on craint qu'ils ne mettent à leurs bienfaits un si haut prix qu'on ne puisse les payer. On a très bien comparé les ingrats aux mauvais débiteurs qui redoutent la rencontre de leurs créanciers. Enfin, l'envie, cette passion fatale qui s'irrite même des bienfaits qu'elle reçoit et qui rend injuste et cruel envers ceux que l'on devrait chérir et considérer, devient souvent la cause de la plus noire ingratitude.
Un gouvernement injuste familiarise les esprits des sujets avec l'injustice et fait que peu à peu ils s'accoutument à la voir sans horreur.
Toujours à portée des faveurs et des grâces, le courtisan n'est occupé qu'à exciter et fomenter les passions du maître, qu'à l'endormir dans le vice pour l'empêcher d'entendre les gémissements de son peuple. La patrie n'est au yeux du courtisan qu'un pays de conquête fait pour être mis sans cesse à contribution.
D'où l'on voit que partout où le despotisme a fixé sa demeure, il ne peut y avoir qu'une longue chaîne de tyrans qui, chacun dans leurs sphères, font éprouver au peuple des vexations sans nombre.