Daniel Pennac - «
Chagrin d'école» - Gallimard 2007
Daniel Pennac est surtout connu en tant qu'auteur de nombreux et excellents romans policiers. Né en 1945, sa scolarité couvre les années 1950-1968, après quoi il exerça comme professeur dans des collèges. Il trace ici un parallèle entre son expérience et la scolarité des gosses d'aujourd'hui.
J'hésitai à acquérir ce qui apparaissait comme «un bouquin de plus sur l'école» parmi tant et tant d'autres, et puis je me suis décidé avec la publication en livre de poche. C'est plutôt réussi, car l'auteur reste constamment au ras des pâquerettes, et ne tombe ni dans les grandes théories absurdes des pédagogisants (de type IUFM de gôôôche) ni dans les anathèmes si fréquemment lancés sur l'école en général.
Certes, il provient d'un milieu plutôt favorisé (p. 23): « père polytechnicien, mère au foyer, pas de divorce, pas d'alcoolique etc » et put donc redresser la barre dès qu'il décida de travailler un peu, ce qui n'est pas le cas des gamins de banlieue d'aujourd'hui... Il n'en reste pas moins que son texte est parsemé d'observations d'une justesse confondante.
Ainsi page 141 (troisième partie, début du chapitre 9) : «En aura-t-elle proféré, des sottises, ma génération, sur les rituels considérés comme marque de soumission aveugle, la notation estimée avilissante, la dictée réactionnaire, le calcul mental abrutissant, la mémorisation des textes infantilisante, ce genre de proclamation...». Eh, oui ! En avons-nous reçu de ces proclamations depuis mai 1968 ! En avons-nous répété de ces sottises, dans les années 1970 !
Et ça continue !
Pour ma part, il m'arrive de penser nos profs quadragénaires, qui étaient nés vers 1930 et qui avaient, elles et eux, bénéficié de l'enseignement «classique» (elles et ils étaient largement issu-e-s des classes favorisées ou du milieu des instit), nous ont tout à fait sciemment refusé l'accès à ce savoir qu'ils avaient ingurgité, avec lequel ils gagnaient leur vie, qu'ils jugeaient inutile pour nous, enfants «de basse extrace» qu'au fond, elles et ils méprisaient.
Il est difficile d'effectuer un choix de citations (j'en mets tout de même quelques-unes) : il faudrait recopier le livre entier !
Relevons par exemple, pages 226 à 229, la mention de la dictature impitoyable et délibérément organisée des marques publicitaires parmi les jeunes : remarquable description ! La «mère-grand marketing» omniprésente, décrite p. 277 par exemple. le règne de l'enfant client (pp. 281-284), avec un remarquable passage sur «l'enfant désiré», question « saugrenue » aux yeux de la génération précédente des mères... (p. 283).
Bref, un livre sans doute à lire et relire pour comprendre «comment on en est arrivé là», à produire de larges couches de gamines et gamins (largement issus des milieux populaires) sortant du système scolaire sans aucune conscience de la chronologie historique, sans aucune culture littéraire solidement assise, sans connaissance de la langue française etc., pendant que les gosses de riches ou d'intellectuels se voient pourvus de tout ça dans le cercle familial, de façon à leur garantir plusieurs longueurs d'avance pour entrer dans les circuits «nobles» de l'enseignement supérieur.
Malheureusement, ce témoignage n'aura bien évidemment aucun effet, précisément parce que le système éducatif français est délibérément organisé pour que l'accès aux « bons » et « nobles » cursus soit réservé aux enfants issus des classes aisées : aucun gouvernement (quelle que soit sa couleur politique) ne remet ce mécanisme en cause, bien au contraire ! On le sait depuis Patrick le Lay, le but est de générer « du temps de cerveau humain disponible pour Coca-Cola » et surtout rien d'autre.
A lire, à relire, et surtout à offrir à tous les parents débutants dont les enfants entrent dans la moulinette de notre « éducation nationale »…