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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je me sens "toute, toute petite" pour écrire quoi que ce soit sur ce texte incroyable, après avoir lu, très émotionnée et admirative la chronique de PetiteBijou !!!

Je vais tenter toutefois... car je ressens le besoin et l'élan d'offrir ma reconnaissance et ma gratitude à Gaëlle Josse. Grâce à son texte « le dernier gardien d'Ellis Island », qui m'a littéralement « tourneboulée »… j'ai éprouvé l'intense besoin d'aller plus loin , dans ce « non-lieu », et passage qui a transformé, amélioré , abîmé, transformé des millions de familles, qui ont abandonné leurs racines, pour TOUT reconstruire ailleurs, dans un autre pays.


A ma grande honte, Gaëlle Josse m'a mené au texte de Georges Perec (dont je ne connaissais pas même l'existence). je viens de l'achever; c'est un autre coup de poing. Lorsque nous nous plaignons de nos quotidiens, soucis, préoccupations diverses, de grâce !... songeons à toutes ces personnes, à nos « frères » de tous les pays , ayant tout perdu , tout laissé dans l'espoir d'une autre vie meilleure, pour eux et leurs enfants, sur une terre étrangère.

Le texte de Georges Perec, est d'autant plus percutant et dérangeant, qu'il écrit les dénuements extrêmes du déracinement, sans affect… de façon distante, et étrangement, pour ma part, cela prend une dimension universelle, d'autant plus cinglante et dérangeante…

Je me permets d'établir un bref rappel des circonstances de ce texte. En 1978, L'Institut National de l'Audiovisuel confia à Georges Perec et à Robert Bober, sur une idée de celui-ci, le soin de réaliser un film sur Ellis Island. Ceux-ci allèrent sur place, à New-York, une première fois procéder aux repérages, puis y retournèrent en 1979 effectuer le tournage de ce qui devait devenir « Récits d'Ellis Island, Histoires d'errance et d'espoir », film en deux parties : « L'ile des larmes » et « Mémoires », dont la première diffusion eut lieu sur TF les 25 et 26 novembre 1980.
La présente édition présente exclusivement le texte brut de Georges Perec, sans les interviews.

Georges Perec, parle d'Ellis Island, de tous les arrachements à sa terre ; mais aussi de ses propres racines, juives...
« Etre juif, pour lui (Robert Bober), c'est avoir reçu, pour le transmettre à son tour, tout un ensemble de coutumes, de manières de manger, de danser, de chanter, des mots, des goûts, des habitudes,
Et c'est surtout avoir le sentiment de partager ces geste et ces rites avec d'autres , au-delà des frontières et des nationalités, partager ces choses devenues racines, tout en sachant qu'elles sont en même temps fragiles et essentielles, menacées par le temps et par les hommes (…) (p.60)

Georges Perec, parle aussi des descendants de ces migrants, qui viennent à Ellis Island, chercher les éléments manquants de leur histoire , rassembler le « puzzle » des chemins courageux de leurs aïeux.

Ce texte est court mais d'une densité sans comparaison !

Il est un peu déplacé ou inutile de commenter, je préfère redonner la parole à l'auteur lui-même !

« Quelles sommes d'espoirs, d'attentes, de risques,
D'enthousiasmes, d'énergies étaient ici rassemblées
Ne pas dire seulement : seize millions d'émigrants
Sont passés en trente ans par Ellis Island

Mais tenter de se représenter
Ce que furent ces seize millions d'histoires individuelles,
Ces seize millions d'histoires identiques et différentes
De ces hommes, de ces femmes et de ces enfants chassés
De leur terre natale par la famine ou la misère,
L'oppression politique, raciale ou religieuse,
Et quittant tout, leur village, leur famille, leurs
Amis, mettant des mois et des années à rassembler
L'argent nécessaire au voyage (…)

Il ne s'agit pas de s'apitoyer mais de comprendre
quatre émigrants sur cinq n'ont passé sur Ellis
Island que quelques heures
Ce n'était, tout compte fait, qu'une formalité anodine,
Le temps de transformer l'émigrant en immigrant,
Celui qui était parti en celui qui était arrivé

Mais chacun de ceux qui défilaient
Devant les docteurs et les officiers d'état civil,
Ce qui était en jeu était vital :

Ils avaient renoncé à leur passé et à leur histoire,
Ils avaient tout abandonné pour tenter de venir vivre
Ici une vie qu'on ne leur avait pas donné le droit de
vivre dans leur pays natal
Et ils étaient désormais en face de l'inexorable » (p.52-53)

On ne ressort pas indemne d'un texte comme celui-ci, comme celui, fictionnel de Gaëlle Josse . Un hommage au courage extrême, à la détermination de
ces millions de migrants. de quoi effacer à jamais de son vocabulaire, le
terme d' »étranger » !!!

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Un très beau texte de Georges Perec ,
lu par Samy Frey.
Ellis Island, "l'île des larmes" a reçu
16 millions de damnés voulant être pionniers.
Poussés loin de chez eux par l'intolérance
ou la misère, ou encore les deux à la fois,
ces émigrants deviennent des imigrants
Perec s'interroge sur l'exil et sur ce non lieu
lieu de sélection, de transition,
d'acceptation ou de rejet..
Il en refait l'historique, s'appuie avec minutie
sur des chiffres et des dates.
Il le visite avec Robert Bober, tous deux juifs
venant de familles jetées
dans l'émigration pour survivre .
C'est un reportage précis, passionnant
servi par une belle écriture.
Un reportage qui renseigne et interpelle
sur une question qui ne risque pas de quitter l'actualité.
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Ellis Island… un îlot minuscule où ont transité les rêves et les espoirs de millions d'émigrants en provenance d'Europe, de 1892 à 1954, porte d'entrée pour les uns, seuil de retour à l'envoyeur pour les autres. Un tampon sur un document, noir sur blanc, pareil au jugement dernier, manichéen. Je t'octroie une nouvelle vie, noir, je te renvoie à ta vie de misère, ta non-vie, blanc. La main du jugement est celle d'un employé anonyme, fonctionnaire obéissant, kafkaïen. Tu ne pourras qu'en vouloir à ton Dieu, ou à ton destin. A ma gauche, peut-être la fortune et la gloire. A ma droite, le retour au néant, le meurtre de l'espoir, noyé dans les eaux de l'Hudson.
Comme Georges Perec, cette porte d'entrée sur New York a hanté mes pensées, dès mon adolescence. Elle fait partie de l'histoire de ma famille, la branche italienne dont ma mère est issue. Ni celle-ci, ni mon père ou mon frère, n'ont jamais à ma connaissance manifesté de curiosité pour Ellis Island. Pour moi, l'intérêt pour cette histoire et ce lieu n'ont fait que croître dès l'âge de 15 ans, l'année de mon entrée dans un internat d'un lycée à Aix-en-Provence. J'imagine que me sentir en prison avait exacerbé le besoin de trouver mes propres îlots de liberté, réels ou imaginaires. « Ellis Island » de Georges Perec, ce sont des « récits d'errance et d'espoir ». Cette union d'«Errance et espoir » pourrait sous-titrer mes années d'adolescence, et je vois dans ce raccourci un peu facile une explication possible à cette promesse que je me fis d'aller un jour à New York, rencontrer ce qui restait de ma famille, et surtout éprouver physiquement ces lieux de ma mythologie personnelle.
Voici donc l'histoire : mon arrière-grand-mère et sa soeur ont quitté la région de Venise dans les années 1910 pour Marseille, mon arrière-grand-mère avec ses quatre fils nés pour le premier (mon grand-père) en 1911 et le dernier en 1914 (son mari, resté en Italie, n'éprouvera jamais le besoin de les suivre), et sa soeur avec son mari et ses deux enfants. Ils ne possédaient rien. le beau-frère de mon arrière-grand-mère, Giovanni, eut envie, quitte à ne rien posséder, de tenter sa chance à New York. Pour quelle raison ? Je l'ignore à ce jour. Il partit donc, dans les années 20, laissant en France ses enfants encore petits et sa femme. Très vite, installé à Brooklyn, il devint cuisinier, se trouva un petit appartement. Au fil des mois, il écrivait régulièrement à sa famille, racontant sa vie en détail, tout ce qu'il achetait, ses acquisitions à crédit. de rien, il eut un peu, et d'un peu, encore un peu plus. Il joignait des photos à ses lettres enthousiastes. Il était heureux. Son fils aîné, Léon, regardant inlassablement les photos dans son lit marseillais, se mit à rêver d'Amérique, et pendant des années tanna sa mère pour qu'à leur tour ils fassent le voyage. Celle-ci refusait, voulant demeurer auprès de sa soeur. Quand Léon eut 17 ans, en 1938, il était devenu le chef de famille. Il ordonna à sa mère et sa soeur de le suivre en terre promise. le père envoya l'argent, et tous trois prirent le bateau. Les femmes, y compris mon arrière-grand-mère, pleurèrent énormément. Arrivés à Ellis Island, Léon et sa soeur obtinrent leur visa d'entrée sur le territoire américain du Bureau Fédéral d'Immigration. On découvrit à leur mère un foyer infectieux pulmonaire : elle fut refoulée. Les enfants retrouvèrent leur père, et firent leur vie d'italo-américains dignes des films de Coppola. La mère rentra à Marseille, auprès de sa soeur. Elle ne revit jamais son mari et ses enfants. Son fils considéra toute sa vie l'exil américain comme une bénédiction. Sa fille vécut la sienne dans le ressentiment envers son père et son frère et la nostalgie de son enfance italienne et française. Il y aurait là matière à roman.

Dans « Ellis Island », Georges Perec liste, collecte, catalogue, recueille, comme il l'a fait dans toute son oeuvre. Démarche rationnelle, précise, sans affect apparent. Il questionne les témoins avant que ceux-ci ne disparaissent. Il interroge l'exil, le déplacement, le déménagement des âmes et des corps. Il décrit les espaces confinés, les files d'attente, détaille les bagages, les vêtements, les objets.
Ce point dans l'eau est le point de départ de l'infini des cercles concentriques d'une mémoire démultipliée. Ces histoires ne sont pas sienne, ni celle des siens, mais, au fond, Perec explore le rêve d'un ailleurs possible, d'une nouvelle existence, l'éventualité d'un pied de nez au destin d'une identité rendue fantomatique qui reprendrait corps dans les bras accueillants de la statue de la liberté. Les listes égrenées avec une minutie maniaque rappellent les listes des déportés : ceux qui sont de retours, ceux qui ont disparu, comme pour Ellis Island ceux qui auront la chance d'un présent vierge où planter les jeunes pousses de futures racines et ceux qui seront condamnés à leur condition d'errance. Bien sûr, on peut trouver dans « Ellis Island » tous les thèmes de la judéité, de l'exil intérieur à la promesse messianique, du questionnement identitaire comme de la condition de l'être « élu ». Mais, par sa volonté de ne céder à aucun sentimentalisme, son absence de commentaire personnel, Perec, comme dans « Je suis né » ou « W ou le souvenir d'enfance » rend davantage encore l'histoire universelle. le lecteur attentif ou déjà familier de l'auteur comprendra que celui-ci habille les silences de sa prose avec les oripeaux de sa mémoire amputée. Georges Perec ne parle pas de lui mais il est partout, dans chaque lettre, chaque espace, chaque signe de ponctuation. Il est ce qu'il tait. J'imagine Lady Liberty, ancrée dans l'Hudson, se penchant maternellement pour révéler par la flamme de sa torche les mots secrets de l'enfant Georges écrits à l'encre sympathique.
Je ne connaissais pas Perec lors de mon voyage à New York en 1986. C'est un avion qui me fit traverser l'océan atlantique. J'ai rencontré la soeur de Léon en Floride, où elle avait suivi son mari ancien GI, installée dans la plus vieille ville des Etats-Unis : quelle ironie pour celle qui a toujours détesté ce pays ! Puis je remontai à New York, et rencontrai le désormais vieux et fatigué Léon. Il n'était jamais revenu en France, et fut le premier de ma famille à reconnaître dans mes traits une parenté indiscutable. Il vit l'Italienne en moi, et cela le fit pleurer. Pendant plus d'un mois il me fit visiter sa ville, les lieux de sa mémoire. Malgré notre grande différence d'âge, j'ai trouvé en lui une intuition de ce que j'étais incroyablement perspicace et affectueuse. Nous discutions, passant de l'anglais au français, sans oublier l'italien. Abandonné des siens, il s'est reconnu en moi. Un matin, nous nous rendîmes sur Liberty Island, alors en travaux. Il me raconta Ellis Island, ses rêves d'enfant puis de jeune homme, son égoïsme monstrueux envers sa mère et sa soeur. Il me parla de sa légende américaine, sa propre gloire puis sa chute. le jour de mon départ, en larmes, il me fit promettre de ne jamais renoncer à mes rêves. « Quel qu'en soit le prix, ça vaut le coup (ou le coût ?) ». Je le revois me faisant un signe d'adieu alors que je m'engouffrais dans le taxi jaune qui allait me conduire à JFK. Je ne l'ai plus jamais revu, happée à mon tour par ma vie, mes rêves, mon égoïsme.
Aujourd'hui, pensant à lui, victime collatérale du 11 septembre 2001, j'imagine l'adolescent brun exalté débarquant à Ellis Island et tenant le nouveau monde dans sa main vigoureuse.
N'ayant pas de photo, c'est dans le livre de Georges Perec que je vois les traces du visage et de la silhouette trapue de Léon. Sa soeur et sa mère s'y trouvent aussi, ainsi que Giovanni, et donc un morceau de moi.
Ma bibliothèque entière est promise à un frère de coeur. Cet ami, comme moi, entretient avec New York une relation intime et un peu secrète. Je sais qu'il aurait pu être un émigrant échoué sur Ellis Island. Je sais qu'une partie de lui est là-bas. Je sais qu'il aime à trouver ses mots pour raconter cette ville qu'il aime.
Ce n'est pas un bateau, mais le train de la poste qui a amené mon exemplaire de « Ellis Island » de Georges Perec sur le lieu catalan où il possède actuellement ses ancrages. C'était une date importante, j'ai écrit quelques mots sur la première page, moi qui ne le fais que rarement.
Par ces mots, j'ai semé quelques traces, tendu le fil invisible de Léon à mon frère, de mon frère à Georges Perec. Quand je n'aurai plus de mémoire demeureront mes rêves comme autant de voyages à faire ou de mots à écrire. L'écriture sera enfin devenue une terre d'asile pour les récits d'errance et d'espoir.

Lien : http://parures-de-petitebijo..
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ELLIS ISLAND
L'île des larmes

Je n'ai pas les mots pour vous retranscrire ce roman tant cette petite histoire dans la grande m'a touchée profondément !
Un tout petit livre et pourtant un recueil immense de délicatesse et sensibilité, un style admirable tout en nuances, digne et simple.
Toutes ces vies déracinées, quittant leur pays, leurs familles, portant leurs rêves et espoirs vers cette Amérique, terre promise.
Cette Amérique mille fois rêvée, la terre de liberté où tous les hommes étaient égaux, le pays où chacun aurait sa chance, le monde neuf, le monde libre où une vie nouvelle allait pouvoir commencer.
Seize millions d'émigrants sont passés en trente ans par Ellis Island : le lieu de l'exil.
Il subissaient "l'inspection", devaient répondre à une série de vingt neuf questions ... Visite médicale, marqués à la craie d'une lettre : C la tuberculose, E les yeux, F le visage, X la débilité mentale .... , changer de nom.
A l'issue de ces humiliations, perte d'identité, l'inspecteur disposait de deux minutes pour décider si oui si non l'émigrant avait le droit d'entrer aux Etats Unis et devenir un immigrant.

Ce récit bouleverse car aujourd'hui, encore, le traitement faits aux migrants, ces frères humains, est indigne.
Demain, nous le serons peut-être ?...

"HOME" un poème sur l'immigration, écrit par une immigrante Warsan Shire jeune femme britannique d'origine somalienne

Personne ne quitte sa maison
A moins d'habiter dans la gueule d'un requin
 
Tu ne t'enfuis vers la frontière
Que lorsque toute la ville s'enfuit comme toi.
Tes voisins courent plus vite que toi
Le goût du sang dans la gorge
L'enfant avec qui tu as été à l'école
Celui qui t'a embrassé à perdre haleine
Derrière la vieille ferronnerie
Traine un fusil plus grand que lui
Tu ne quittes ta maison
Que quand ta maison ne te permet plus de rester.
 
Personne ne quitte sa maison
A moins que sa maison ne le chasse
Le feu sous les pieds
Le sang qui bouillonne dans le ventre
 
Tu n'y avais jamais pensé
Jusqu'à sentir les menaces brûlantes de la lame
Contre ton cou
Et même alors tu conservais l'hymne national
A portée de souffle
Ce n'est que quand tu as déchiré ton passeport
Dans les toilettes d'un aéroport
En t'étranglant à chaque bouchée de papier
Que tu as su que tu ne reviendrais plus.
 
Il faut que tu comprennes,
Que personne ne pousse ses enfants dans un bateau
A moins que la mer te semble plus sûre que la terre
 
Personne ne brûle ses paumes
Suspendu à un train
Accroché sous un wagon
Personne ne passe des jours et des nuits dans le ventre d'un camion
Avec rien à bouffer que du papier journal
A moins que chaque kilomètre parcouru
Compte plus qu'un simple voyage.
 
Personne ne rampe sous des barrières
Personne ne veut être battu
Ni recevoir de la pitié
 
Personne ne choisit les camps de réfugiés
Ni les fouilles à nu
Qui laissent ton corps brisé
Ni la prison
Mais la prison est plus sûre
Qu'une ville en feu
Et un seul garde
Dans la nuit
C'est mieux que tout un camion
De types qui ressemblent à ton père
 
Personne ne peut le supporter
Personne ne peut digérer ça
Aucune peau n'est assez tannée pour ça
 
Alors tous les :
A la porte les réfugiés noirs
Sales immigrants
Demandeurs d'asile
Qui sucent le sang de notre pays
Nègres mendiants
Qui sentent le bizarre
Et le sauvage
Ils ont foutu la merde dans leur propre pays
Et maintenant ils veulent
Foutre en l'air le notre
 
Tous ces mots-là
Ces regards haineux
Ils nous glissent dessus
 
Parce que leurs coups
Sont beaucoup plus doux
Que de se faire arracher un membre.
Ou les mots sont plus tendres
Que quatorze types entre tes jambes
Et les insultes sont plus faciles
A avaler
Que les gravats
Que les morceaux d'os
Que ton corps d'enfant
Mis en pièces.
 
Je veux rentrer à la maison
Mais ma maison est la gueule d'un requin
Ma maison est le canon d'un fusil
Et personne ne voudrait quitter sa maison
A moins d'en être chassé jusqu'au rivage
A moins que ta propre maison te dise
Cours plus vite
Laisse tes vêtements derrière toi
Rampe dans le désert
Patauge dans les océans
 
Noie-toi
Sauve-toi
Meurs de faim
Mendie
Oublie ta fierté
Ta survie importe plus que tout.
Personne ne quitte sa maison
A moins que ta maison ne chuchote grassement à ton oreille
Pars
Fuis moi
Je ne sais pas ce que je suis devenue
Mais je sais que n'importe où
Vaut mieux qu'ici.
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🇺🇸 « Au début, on ne peut qu'essayer
De nommer les choses, une
A une, platement,
Les énumérer, les dénombrer,
De la manière la plus
Banale possible,
De la manière la plus précise
Possible,
En essayant de ne rien
Oublier » (p.45)

🇺🇸 Ellis Island. Last stop pour des millions de personnes qui ont fui leur pays pour rejoindre la terre aux innombrables possibilités, dès le milieu du XIXème siècle. Ellis Island fait partie de ces lieux qui existent mais qui, en même temps, ne « sont » pas ; symbole de l'exil, ultime étape d'un exode souvent douloureux, Ellis Island, surnommée « l'île des larmes » est comme une porte sur un monde nouveau ; avant d'y entrer, on est italien, français, polonais, irlandais ... Et si l'on a la chance de répondre correctement aux 29 questions qui nous sont posées, si l'on n'est ni souffrant ni malade, si le juge donne son accord, alors on en sort américain. Welcome to the United States of America.

🇺🇸 L'île des larmes... A ceux qui se sont vus refuser l'entrée sur le territoire, deux options s'imposent : l'attente ou le retour. L'échec.

🇺🇸 Extrêmement court mais d'une puissance incroyable, ce récit est un véritable trésor. George Perec questionne ici « l'errance, la dispersion, la diaspora ». Ce qui l'intéresse dans cet endroit où quelques fonctionnaires tenaient entre leurs mains le destin de millions de personnes, c'est l'absence de substance, la vacuité de l'endroit, il n'y a rien de tangible, de palpable, il n'y a que l'histoire de ces hommes et de ces femmes, leurs récits, leur mémoire. On ne visite pas cet endroit, on le ressent profondément, il fait écho à d'autres sentiments, d'autres troubles, d'autres fuites, les nôtres, plus intimes, plus enfouies.

🇺🇸 Ce récit fut publié en 1980. Mais il n'a pourtant jamais été plus actuel.

🇺🇸 Comprenez : sometimes we just need to look back.
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Quelle est donc la blogueuse qui a commis un billet sur ce livre?
Dès que j'ai terminé de le lire, j'ai commenté : IL ME LE FAUT! et je l'ai téléchargé immédiatement.D'où est venu cette urgence?
A cause du sujet, je suis sensible aux migrations, c'est encore un sujet d'actualité. A cause de Pérec que j'ai lu autrefois et beaucoup aimé, et de Bober. Ils me semblent très proches.J'ai lu ce court texte (74 pages) d'un souffle, une soirée, sans une pause.
Émotion pure
Lien : http://netsdevoyages.car.blog.
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Georges Perec écrit ce texte majeur en 1979 alors qu'il prépare un documentaire sur Ellis Island avec Robert Bober. C'est la lecture du récent ouvrage de ce dernier qui m'a remise sur la piste des mots de Perec. Il n'y a bien sûr pas de hasard à cet écrit pour son auteur.
Comme il l'a fait avec W, Perec projette sur Ellis Island, la quête infinie de son identité.
A travers les mots de Georges Perec, au fil des chiffres et des objets, c'est une mécanique broyeuse qui prend forme. Celle d'un accueil à la chaîne, déshumanisé et désincarné. C'est pourquoi l'auteur définit ce lieu comme un « non lieu », une forme de cul de sac .
Lire « Ellis Island » aujourd'hui permet au lecteur d'identifier d'autres non-lieu, comme si Ellis Island au début du vingtième siècle avait initié une marche funèbre pour tous les exils à venir.
Allégorie de l'errance et de la dispersion, c'est dans les mers d'Europe et d'ailleurs que nous portent aujourd'hui les mots de Perec. Les chiffres ont changé d'échelle, les lieux ne sont plus les mêmes mais la négation des vies est toujours là, sous d'autres formes, à Calais, Lampedusa, Lesbos ou ailleurs.
Un texte visionnaire et universel.
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lu en 15mn mais j'y penserai longtemps. Ce texte court de Perec est toujours d'actualité si le lieu a changé; le tri des migrants ne se fait plus à Ellis Island mais partout où ce que la violence et la misère font fuir. Ils croyaient à l'eldorado...aux rues pavées d'or...L'exil est toujours aussi douloureux quand il est inévitable; l'accueil est toujours inférieur à ce qu'on imaginait.
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