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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Cinq étoiles... quel hommage dérisoire. Comment peut-on prendre au sérieux un monde où les stériles et les obscurs sans-goût peuvent s'arroger le droit d'"évaluer l'art" au moyen de croix, de barres, d'étoiles ou de motifs de n'importe quel genre? Tout ça, comme disait Jean Dutourd, ce sont des "conneries américaines". Or quoi de plus français, donc d'anti-américain, que ce stupéfiant chef-d'oeuvre de Jacques Perret qui renoue sous l'effet d'un invicible élan vital avec la grande tradition picaresque et baroque du Francion de Charles Sorel et du Roman comique de Scarron? Un cortège de personnages truculents et d'événements hauts en couleur traverse de ses éclairs la grisaille physique et le désarroi moral d'un prisonnier de guerre transféré à Berlin par la "Grosse Rèche". C'est un roman proprement cataclysmique: dans le bouleversement tellurique du vieux monde, on entend rire un colosse, et ce colosse, c'est Perret.

Nimier avait été écoeuré qu'on ait accordé le Goncourt 1948 à Curtis plutôt qu'à Perret. Cela signait pour lui la mort de cette "farce de chez Drouant". Résigné et philosophe, il avait conclu que la "luxuriance" de Perret "s'accordait mieux avec une époque de création qu'avec une période d'inventaire prudent".

De minimalisme en minimalisme, on est passé entre 1950 et 2010 de de Gaulle à Hollande et de Jacques Perret à Pierre Perret (celui-ci - immortel auteur du "Zizi" - ayant eu, par rapport à l'autre, l'honneur et l'avantage de donner son nom à des établissements de l'Instruction publique). Quant au grand Jacques, je ne sais pas ce qui est le plus consternant: que ce soit la lamentable adaptation de Renoir qui fasse l'objet d'un article sur Wikipedia plutôt que le livre ou bien la présentation qu'en font les éditions Gallimard... Enfin, paraît que c'est l'progrès.
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Dés juin 1940, le caporal Jacques Perret, avec son escouade, a été fait prisonnier par les Allemands et cette expérience, deux ans en tant que prisonnier de guerre, il nous la rapporte scrupuleusement, prenant son temps, n'épargnant aucun détail.

Passé le choc de l'humiliation, passé l'hiver rigoureux, et bien qu'il commence à ressentir sa" piaule" avec les copains comme un deuxième chez-soi, Jacques Perret, en grand sceptique, a vite compris que leur sort n'intéresse personne et que pour la quille, il faudra repasser. Il en a un peu marre d'entendre les Allemands répéter "Ach! Krieg, gross malheûr" sur un ton compatissant ou vengeur.

Saboter le travail obligatoire ne lui suffit plus : l'idée de l'évasion le taraude, se construit, puis se reconstruit après l'échec, dans une belle obstination.

Dans la boue, la faim, le froid, il y a des hommes dont Jacques Perret dresse des portraits attentifs, exigeants, nuancés, drôles. Il sait faire entendre leur espoir, qui a sérieusement besoin de l'étayage de la solidarité, de l'humour, de l'irrévérence pour ne pas sombrer. Ces hommes échangent mégots et bons tuyaux, errent entre ennui et nostalgie, travail et rébellion, courageux, malins, solidaires.

720 pages compactes me direz-vous? Oui, il s'agit bien d'une espèce d'encyclopédie exhaustive de la condition du prisonnier de guerre, livrée en 93 chapitres dans une écriture serrée, et on pourrait redouter l'opus étouffe-chrétien. Mais il n'en est rien tant la prose est foisonnante et inventive, alternativement gouailleuse ou emportée, le propos tout à la fois critique et magnanime. La pertinence, associée à l'impertinence de l'observation et de la réflexion, élèvent l'intensité de la lecture et la rendent fascinante, jamais fastidieuse.

J'ai lu, l'émotion au bord du coeur, le rire au bord des lèvres, comme je regarderais un numéro de cirque : quelque chose de scrupuleusement travaillé, longuement élaboré, totalement affûté, qui, dans un habit scintillant, allie le consciencieux et l'inventif, l'épopée et la précision, l'humour et le romantisme, l'application quotidienne et l'envolée extraordinaire.

il faut lire ce livre festif d'intelligence et de verve, ne pas s'effrayer de son effervescente monstruosité, se repaître de sa noirceur et de sa drôlerie. On y fera connaissance de Jacques Perret, un homme que certains éléments biographiques et trois pages sur les Juifs ne devraient pas forcément nous rendre sympathique. Mais il incarne, comme son livre, l'ampleur de la complexité humaine : c'est un aventurier poète, un combattant incessant, un ami fidèle, un observateur humaniste.





pour attraper de bon fou rire aux enterrements il faut avoir grandi dans le respect des choses de la mort
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« Un coeur chouan brodé sur sa vareuse, un tromblon à l'épaule, Perret entra donc en Résistance en sifflotant une chanson royaliste accompagné de " quelque ombre choisie comme Pharamond, Charette, Louis le Gros ou Gaston de Foix ", comme il le raconte dans Bande à part. » C'est en lisant cette phrase dans un long article fourre-tout sur l'anarchisme de droite que je découvrais l'existence de Jacques Perret. Cette petite phrase m'avait interpelé : j'aime les originaux, je décidais donc de lire ce Caporal épinglé. Ironie, légèreté, lucidité, absence de tragique, sens de l'observation, fantaisie, gaîté, raffinement du ton et gouaille populaire mélangés... le tout baigné dans un grand bain d'autodérision : ce fut une grande découverte, comme on en fait peu dans une vie de lecteur.

Jacques Perret est, pour moi, l'esprit français par excellence et le caporal épinglé peut-être son meilleur livre.
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« Jacques Perret était un homme contre, un homme du refus. Rien de ce qui était français ne lui était étranger. Folliculaire de la réaction, écrivain du transcourant « plume Sergent-Major », styliste hors-pair qui buvait avec soin afin d'éviter tout faux-pli dans le jugement, il eut la faiblesse de ne jamais dire non à l'aventure et au voyage. Il tenait la littérature pour un art d'agrément qui aurait pris tournure de gagne-pain. Il aimait Aymé et aussi Bloy, Blondin, Conrad, Dos Passos; il en tenait pour le duc d'Anjou et la dimension sacrificielle de la messe selon saint Pie V. J'avais été à sa rencontre à la fin de ses jours, dans son appartement près du Jardin des Plantes où il cachait son bonheur d'être Français. Il avait quelque chose du Jacques Dufilho de Milady et du Crabe-tambour, les traits comme les idées, mais en moins âpre, plus doux. Dans sa chambre, il y avait deux cadres : dans l'un, le grand Turenne ; dans l'autre, son grand frère. »

Voilà ce qu'en 2011 Pierre Assouline écrivait sur son blog à propos de l'auteur du Caporal Epinglé. Je ne saurais dire mieux ou plus, donc je vais me taire, mais avant, je vous dis :
- Lisez Perret ! Il n'est pas trop tard ! Lisez le « Caporal », lisez « Bande à Part », lisez « le Vent dans les Voiles »…
- Bon, on veut bien, mais pourquoi ?
- Parce que la langue y est continuellement éblouissante, les aventures souvent extraordinaires, l'humour toujours prêt, la litote aristocratique, la distance jamais loin, la France plutôt vieille (au bons sens du terme), le politique rarement correct, ….
En cadeau, je vous offre les premières lignes du Caporal Epinglé, récit écrit entre 1943 et 44, publié en 1947, qui rata de peu le Goncourt de cette année pour obtenir l'Interallié.
J'ai fini. Je me tais.

"C'est fini les histoires de boue glorieuse.
Nous sommes quatre, couchés ventre à fesse dans un paquet de mouscaille sous une couverture mal tendue qui fait une poche d'eau suintante. Crevés de faim, de fatigue et de dégoût, nous nous ratatinons dans une somnolence sordide. Ne pas bouger ; serrer les épaules, bloquer les mâchoires, raidir le derrière, crisper le venter et crisper aussi la tête si possible. La retraite, la défaite, le chahut des derniers combats, la grande rafle, on verra plus tard à comprendre. Pour l'instant c'est la faim et la pluie. Ne pas remuer la boue. Contre la misère faire le mort. Mon voisin a logé ses fesses dans le creux de mon estomac pourvu qu'il ne bouge pas, le clapotis me remonterait jusqu'au nombril..."

Puisque vous semblez avoir encore un peu de temps, laissez-moi vous donner les dernières lignes de ce récit. Mais il faut bien auparavant que je vous résume les 499 Pages de l'édition d'origine. (nrf-Gallimard 1947)
Donc, le caporal est épinglé lors de la débâcle de juin 1940. Avec une bonne partie de l'armée française, il est emmené en captivité en Allemagne. Il y vit avec une philosophie temporaire des temps longs et difficiles, faits de froid, de faim latente, de corvées, de rigolades et de camaraderie. Et puis de temps en temps, levant du large le prend et, sur un coup de tête ou après mure préparation, il s'évade. Quatre fois. Et quatre fois il est repris. Mois de cachots, de brimades et de réflexions douces-amères. Et puis, après deux ans sans qu'il ait pu donner de nouvelles, sans qu'il en ait reçu, la cinquième tentative le mène, sur les boggies d'un wagon, jusqu'à la gare de l'Est. Métro jusqu'à Censier-Daubenton. C'est encore la nuit.

"Derrière moi, les catalpas, Saint-Médard et la Mouffetard ; en face, le tabac Mirbel ; à droite, le marchand de couleurs, tout cela très assoupi, mais bien en ordre. On ne s'était pas aperçu de mon absence, j'avais décroché du quartier et j'y rentrais en douce avant l'aube, sur la pointe des pieds. C'est ainsi qu'un prisonnier doit rentrer, sans Marseillaise et sans discours.
Rue de la Clef, la porte cochère était entr'ouverte, j'en franchis le seuil avec une joie bien lucide et le désir aussitôt refoulé d'aller embrasser la concierge dans son lit. Lente ascension des quatre étages, degré par degré, escalier d'or, royal paiement de mes peines, ah ! fichtre non, je n'étais pas volé. Devant notre porte, dans le profond silence de toute la maison dormante, j'entendais mon coeur qui forçait la cadence comme une grosse bombe de liesse à son dernier tictac.
Coups de sonnette et coups de sonnette. Silence. Puis au bout du couloir une porte qui s'ouvrait et, sur le plancher craquant, un pas nu. Contre la porte, une voix qui savait déjà :
-C'est toi ? "
À chaque fois que je les lis, ces dernières lignes... Ah ! Ces dernières lignes ...

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: « Je ne pense pas que personne aujourd'hui ait, plus que Jacques Perret, le sens du mot juste, du mot dru, cocasse, juteux, imprévu. » nous dit Pierre Gaxotte à propos de l'auteur, qui dans ce livre de 500 pages (trouvé dans la réserve d'une bibliothèque municipale!) nous fait partager son expérience personnelle des stalags et des camps disciplinaires interrompue par trois tentatives d'évasion. ( le caporal épinglé) Environ deux millions de prisonniers français furent en effet expédiés en Allemagne dans les camps de travail après l'Armistice de 40.Je suis presque gênée de dire que ce fut pour moi une lecture jubilatoire malgré la souffrance rétrospective qu'ont dû endurer ces hommes . Mais ici tout est dérision ou l'application du dicton : «  faire à mauvaise fortune bon coeur. « Dans les descriptions que fait l'auteur la vie est très rude mais finit par s'organiser agréablement et même les sentinelles et les gardiens allemands semblent étrangement inoffensifs. Pas un mort, aucune violence, une ambiance bon enfant même si-le lecteur n'est pas dupe-l'auteur manie avec brio le second degré.
C'est un peu Fernandel et Steve Mc Queen réunis dans respectivement «  la vache et le prisonnier » et «  la grande évasion ».
Mais quelle langue! L'auteur maîtrisant tous les registres de la langue française fait jaillir les mots de son imagination et passe très vite de l'argot du soldat de 2ème classe à des phrases philosophiques à l'imparfait du subjonctif. le vocabulaire est aussi d'une richesse extrême et permet au lecteur de voir les scènes décrites comme si il y était.
Mais c'est aussi un document - témoignage qu'il ne faudrait pas trop prendre à la légère.
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à lire de toute urgence - une bouffée d'optimisme, avec beaucoup d'humour
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à lire de toute urgence - une bouffée d'optimisme, avec beaucoup d'humour
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Mon premier coup de coeur, il y a bien longtemps...
Lien : http://alain-regis.dumeste@w..
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