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« A quoi sert d'écrire ? A ne pas vivre mort. »

Dans ce 6e volume de Dernier royaume, Pascal Quignard a fait le choix d'écrire précisément sur la mort et la « barque silencieuse » dont il est question est évidemment celle de Charon, qui n'est pas sans rappeler la « barque d'os » d'un Jaccottet. En quatre-vingt-six courts chapitres, Pascal Quignard mêle anecdotes historiques, récits, contes et mythes, autofiction même et il recrée une fois encore cette atmosphère propre à Dernier royaume. Il y décrit pléthore des rites qui entourent la mort, poussant parfois si loin le souci du détail qu'il explique au lecteur, avec une précision d'entomologiste, à quel rythme les chairs se décomposent, à quel moment les os se désunissent. Certaines pages sont pesantes mais vite ponctuées d'épisodes divertissants qui ne sont pas sans rappeler les romans terrifiants, notamment le Moine de Lewis dans la traduction d'Artaud. Inoubliable comtesse de Hornoc, triste petit crâne qui chante.

Certains aristarques ont pu reprocher à Quignard d'être bouffi d'érudition alors qu'il n'en est rien ; les vastes connaissances partagées ici servent au contraire les motifs du deuil et de la perte, sans jamais les occulter. Pascal Quignard n'a rien d'un mandarin, il tient plutôt du gardien de phare qui, nourri de lectures. Il n'hésite pas à confronter son lecteur à la peur du vide, à l'accompagner dans les questionnements qu'il fait émerger : « Tout destin humain est : l'inconnu de la mise au monde confié à l'inconnu de la mort. » C'est un livre dont on ressort avec l'impression d'avoir avancé.

Au fil du texte, l'écrivain fait ressortir tous les liens qui se tissent entre la mort et les mots. Comme les morts, les mots manquent à celui qui écrit. La lecture, quant à elle, renvoie à la solitude de l' »autre monde » mais elle constitue aussi une « retrouvaille possible avec l'interne ». Selon Quignard, tout être est à la recherche de l'antre originel du giron de la mère et souffre de cette perte. Chez D'aubigné par exemple, dont la mère mourut de l'avoir mis au monde, cette désolation est souvent exprimée, de même que la conscience d'être né d'un « sein-sépulcre ». Quignard ne fait pas mention de D'Aubigné mais cette conscience aiguë de la naissance qui laisse l'homme aller seul vers sa fin leur est commune.

La « barque silencieuse » qui glisse au fil des pages sans jamais faire frissonner l'onde met des mots sur bien des tabous. C'est une ode à la solitude, qui rappelle, citant Barthes que « la seule chose qu'un pouvoir ne tolère jamais c'est la contestation par le retrait. » C'est aussi le texte d'un défenseur acharné de la liberté individuelle qui répète à l'envi avec Epictète que « la porte est ouverte » car, pour lui, « le suicide est certainement la ligne ultime sur laquelle peut venir s'écrire la liberté humaine ». C'est enfin le plaidoyer d'un athée radical pour qui ne pas croire est l'expression ultime de la liberté de l'individu.

« Je nomme athée celui qui vit sans dieux, dont l'âme est sans foi, dont la conscience est exempte de peur, dont les moeurs ne s'appuient pas sur des rites, dont la pensée est sauve de tout référence à dieu, diable, démon, hallucination, amour, obsession, dont la mort est accessible à l'idée de suicide, dont l'après-mort est néant. »

Il faut lire ce livre de Quignard, ne serait-ce que pour cet incipit magnifique et presque testamentaire, qui livre une très juste définition du littéraire : « J'aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Qu'est-ce qu'un littéraire ? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens. »
Lien : http://www.liberlibri.fr/?p=..
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Il n'est pas sûr que ma chronique serve à quoi que ce soit, mais je me lance quand même. J'ai lu (puis relu) cet ouvrage de Pascal Quignard, surtout celui-ci, avec ravissement, avec la même impression que nous laisse la lecture De Stendhal, celle d'être plus intelligents que nous n'étions en ouvrant le livre (selon les mots d'un critique stendhalien). Mais alors, d'où vient que, le volume refermé, il ne reste absolument rien de cette lecture, de ce ravissement ? Dois-je accuser ma mauvaise mémoire ? Faut-il que je lise moins, que je fasse un jeûne de lecture pour être plus profondément marqué par peu de livres mieux choisis ? Ces solutions ne sont pas à exclure, mais une autre me vient à l'esprit : lire Quignard, et voguer sur la Barque des Ombres, c'est marcher dans une Antiquité renouvelée, rafraîchie, tragique, relue littéralement par un moderne qui joue sans cesse - en poète - avec l'étymologie des mots : c'est une redécouverte. La multiplicité des anecdotes émiettées émerveille, et le récit tellement personnel qui en est fait. C'est comme un film plein de surprises, de sketches et d'aventures dont il ne resterait rien à la fin, peut-être parce que les principes unificateurs de l'ouvrage - formels souvent - échouent à lui donner de la cohérence et la force de s'imprimer dans les esprits. Par opposition, le livre sur Lycophron, Cassandre et les pensées de Zétès, d'une forte unité, transmet quelque chose au lecteur qui reste gravé dans sa mémoire. Ici, l'anecdotique charme, emporte, émerveille, éparpille l'attention, et disparait. Mais c'est peut-être moi qui ne suis pas à la hauteur de l'ouvrage.
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Je lis avec ce livre un deuxième tome du Dernier Royaume - après les Ombres errantes. Pascal Quignard nous livre son besoin d'être libre et quelques pistes pour y parvenir faites de réflexion et d'érudition. J'ai été au départ rebuté par tant de références aux "classiques" et à des passages par moi inconnus de l'Histoire. Mais au bout du compte ma lecture s'est transformé pour moi aussi en quête : qui ? où ? pourquoi ? comment ? quand ? La mort ? La naissance ? La vie.
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Paru en 2009, la barque silencieuse est un recueil de textes autour du passage de la naissance et de la mort, un livre comme une constellation, faite d'étoiles brillantes et de trous noirs.

Les étoiles brillantes de ce recueil nous content les destinées de l'homme entre deux rives, de la voix d'un conteur qui entraîne dans le rêve, avec des récits qui empruntent à la mythologie ou à l'histoire des grands hommes ; elles nous content la solitude comme état premier de l'homme, celui d'avant la naissance, et le retrait, dans la lecture notamment, comme reconnaissance de l'extase de notre première solitude. Elles forment enfin une ode à la liberté et à la tolérance, même si cette liberté est celle du suicide.

Les trous noirs, eux, trop douloureux et narcissiques pour l'incurable optimiste que je suis, nous entraînent dans des visions obsédantes du sexe sanglant de la naissance et de la mort, dans une animalité morbide, une perception de la vie comme un mal-être à cause de la naissance décrite comme abandon originel.

« Il est possible qu'un pays où on puisse ne pas aimer les dieux, fumer du tabac en attendant un train, boire du vin sur une terrasse dans la rue, se promener sans papiers d'identité, dire ce que l'on pense partout, n'existe plus dans ce monde. […]
Chasser des animaux, pêcher des poissons, boire de l'eau, s'allonger où le soleil brille, suivre les rives des fleuves, longer les plages des mers devint inaccessible sans monnaie, sous mes yeux, durant le temps où je vivais. »
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« J'aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Qu'est-ce qu'un littéraire ? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens. »

Ainsi commence le sixième tome de « Dernier royaume », un recueil qui, selon l'auteur récemment entendu, n'est pas près de finir.
Or c'est de finitude dont nous parlons ici. de la mort et de ces derniers instants, de l'altérité du temps et aussi de ces moments où l'on éprouve ce qu'il est convenu d'appeler des instants de bonheur car la mort peut aussi être un plaisir, le dernier plaisir sexuel.

«Le trait de l'orgasme est temporel : c'est la perte de conscience de la durée.
Ce trait est aussi celui de la lecture. »

Pascal Quignard me semble un des dernier humanistes et nous fait partager son érudition tant littéraire qu'historique, philologique, poétique, mythologique et même philosophique (et j'arrête, je n'ai plus mots en « -ique » !) ainsi que sont évoquées les traditions et superstitions qui entourent la mort
Dans la barque allégorique, on passe d'un temps à l'autre, d'une célébrité à l'autre, ainsi de Louise Brulé à Mallarmé aux philosophes latins, grecs ou chinois jusqu'à Henriette d'Angleterre dont la mort si bien mise en mots par Bossuet, confiant à madame De La Fayette, au seuil du trépas : « Mon nez s'est déjà retiré. » et ignorant qu'elle se référait à une superstition inuit.
Chaque chapitre est un monde clos sur lui-même, de même la solitude du lecteur (« in angulo cum libro ») et celle du mourant. La mort apparaît ici comme à un retour à l'état d'avant la naissance, enfermé dans un cocon rassurant :

« Nous avons besoin de narrations parce que chaque naissant fut un héros complétement perdu. »

Au début du chapitre, on est au début d'une histoire, d'un trait poétique ou d'une méditation nouvelle parce que les livres et la lecture régénèrent le héros que nous sommes de traverser la vie. Ainsi on se place, dans ce livre, du côté des athées : athées déçus et constatant comme Nietzsche : « Dieu est mort, nous l'avons tué. » ou athées presque militants comme Stevenson qui signait toujours ses lettres par « l'Athée ». On va même jusqu'à suggérer que Jésus s'est suicidé puis qu'il dit dans l'évangile de Saint Jean qu'il se « dessaisit de sa vie. »

« C'est Gentillet qui posa à la fin du XVIe siècle qu'être athée et être littéraire étaient synonymes.
Les athées sont des lettrés. »

À l'instar De Voltaire, les athées veulent par leur lucidité « ecr l'inf », « écraser l'infâme », le fanatisme, bien sûr. Et nous voilà en résonnance avec note actualité.
Alors pourquoi une étoile en moins que d'habitude ? Moins de surprise peut-être, moins d'émerveillement aussi mais toujours autant de plaisir à lire cet auteur et impatience de retrouver le tome suivant.

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Décidément je préfère les vrais romans de Quignard même si le titre de ce livre "La barque silencieuse" est très beau et suffisamment évocateur. Ce texte est bien écrit mais les propos sur la mort sont trop sinistres pour que je puisse y trouver un intérêt. Je n'ai pas réussi à le terminer. Il y a sans doute des moments plus propices pour lire ce genre d'ouvrage ou alors il faut lire les cinq précédents pour apprécier la série complète de Pascal Quignard intitulé "Le dernier royaume".
C'est donc une mauvaise pioche pour moi mais sans conséquence sur mon jugement de l'auteur que j'ai apprécié par ailleurs.
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Un roman captivant, qui fait ressortir la grande culture de Pascal Quignard.
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