Coup de flambe au cœur

- Toi et moi, on la boucle désormais...Pas d'autre solution...si on essayait de se dénoncer, ça deviendrait de la diffamation pure et simple. Plus moyen de prouver quoi que ce soit. Tu as cru décrocher la timbale mais c'est comme au tiercé. Tu n'avais que les deux premiers...Dans le fond, ça ne te coûte rien !...Tu pourras continuer ta petite vie peinarde...ça vaut mieux que le gnouf !
Péniblement, elle s'extrait de son fauteuil et fait deux pas puis soudain se casse en deux en se retenant au secrétaire.
- Le cœur, dit-elle d'une voix rauque... Il flanche... J'ai des pilules dans le tiroir du buffet...donnez-les-moi.
Me voilà saint Bernard. Je vais au buffet et j'ouvre le tiroir. Tout un fouillis, mais j'entends qu'on en ouvre un autre précipitamment et je me retourne :
- Ne bougez pas, Vallier.
La vache m'a possédé ! Redressée, le visage tendu, l’œil étincelant, elle me braque avec un petit browning. Un sourire sardonique retrousse ses lèvres.

D'ailleurs, en fait de banquet, Madeleine ne s'est pas foulée...Des patates rondes et du fromage de chèvre. Un peu frugal, mais c'est l'habitude, ici.
Comme boisson, de la piquette du pays. J'en avais oublié le goût. Raide comme un cent de clous.

- Qu'est-ce que tu as ?...Tu es tout pâle.
- Ne fais pas attention.
Je garde mes mains gantées derrière mon dos. Marie entre la première :
- Referme.
Oui...puis je m'adosse au battant. Une angoisse intolérable me mord le ventre pendant que, du regard, je fais le tour de la carrée.
Un mobilier tape-à-l’œil. Un cran au-dessus de Lévitan. Deux lits jumeaux. Accouplés, mais c'est tout de même chacun pour soi.
Marodet doit avoir ses jours. En fin de semaine ou le second dimanche du mois. Fatal que sa moukère soit affamée. Un des deux lits est déjà ouvert...
- Marcel...Qu'est-ce que tu as ?...Tu me fais peur...
Je dois...Trop tard pour reculer, maintenant...Ma main plonge sous ma veste et ramène le Lüger...
- Marcel !...

La pauvreté, c'est une sorte d'esclavage et j'ai voulu m'en arracher sans tomber dans le piège de cet autre esclavage qu'on appelle les avantages sociaux...Mendigoter l'aumône des administrations, ce n'est pas sortir de son trou...ça fait seulement qu'on s'y trouve plus à l'aise.

Parfumée ! Autant qu'une bonniche en vadrouille, mais pas d'un parfum tocard acheté au litre...Sa robe ne sort pas d'un Uniprix non plus. En épousant l'instituteur, elle a fait un sérieux bond en avant dans l'échelle sociale.