Ce tome fait suite à
Deadly Class, tome 6 (épisodes 27 à 231) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre l'historique relationnel entre les personnages. Il comprend les épisodes 32 à 35, initialement parus en 2018, écrits par
Rick Remender, dessinés et encrés par
Wes Craig, avec une mise en couleurs réalisée par
Jordan Boyd. Il contient les couvertures originales de Craig, ainsi que les couvertures variantes de
Jason Shawn Alexander, Jeff Stokley, Rory Hensley,
Matteo Scalera.
Marcus Lopez Arguello est en train de réfléchir à quel point l'être humain a tendance à penser sa vie en chapitre bien séparé, sauf que la limite entre chaque chapitre est difficile à définir, qu'on a tendance à romancer son passé, que lorsque le passé est oublié, une partie de soi est oubliée. Là maintenant, tout de suite, il est face à Viktor et chacun d'entre eux tient une arme à feu, alors que Brandy est étendue au sol, avec une blessure au ventre. Marcus s'apprête à tirer quand un groupe de ninjas en costume de cuir avec des pointes fait irruption dans la pièce. Finalement, Marcus et Viktor se battent dos à dos, et Brandy trouve la force de retirer le poignard fiché dans son ventre pour s'en servir contre un yakuza. À l'extérieur de la maison, Maria et Quan se retrouvent face à un groupe de yakuzas armés jusqu'aux dents. Maria, en bikini, fonce sur le plus proche et lui éclate les bijoux de familles et la pomme d'Adam d'un seul mouvement. Un peu plus loin, Helmut, Petra, Zenzele et Tosahwi se battent contre un autre groupe de yakuzas, du même gang. Ils décident de battre en retraite et se regroupent avec Quan et Maria. À l'intérieur, Marcus se dit que leur combat contre les yakuzas ressemble à un comics de
Frank Miller et qu'il devrait se mettre à penser en éclats de staccato.
Après un carnage sanglant, Marcus et Viktor sont à nouveau prêts à se battre l'un contre l'autre, quand Brandy leur fait remarquer qu'il vaudrait mieux qu'ils se sortent de cette souricière. Pendant ce temps-là, l'autre groupe s'est séparé pour être plus difficile à attraper : Zenzele et Tosahwi se sont cachés dans un placard de cuisine, mais Zenzele semble souffrir d'un choc post traumatique. Petra & Helmut continuent de s'enfuir en courant dans la rue, mais Helmut est touché au flanc par une balle tirée par un policier. Quan et Maria ont trouvé refuge dans une cantine vide. Maria organise le piège à tendre aux poursuivants tout en prévenant Quan qu'il a intérêt à avoir une bonne explication sur le fait que les yakuzas connaissaient son nom. Viktor, Brandy et Marcus se frayent un passage pour sortir du motel, massacrant toujours plus de yakuzas. Ils se lancent tous les trois dans la mêlée, Marcus pensant que sa vie n'aurait pas de sens sans Maria. Ils parviennent enfin dans une ruelle déserte et décident que Brandy doit partir à la recherche d'un médecin pendant Marcus et Viktor continuent à aller de l'avant.
La fin du tome précédent promettait un bon règlement de compte entre Marcus Lopez Arguello et Viktor, du genre duel, avec un avantage à Marcus. Mais au fil des tomes, le lecteur a bien relevé que le scénariste promet régulièrement ce genre de duel à mort, sans pour autant qu'il se solde par une mort. Malgré tout,
Rick Remender montre à plusieurs reprises que ça ne va pas pouvoir longtemps continuer comme ça. Brandy a reçu un coup de couteau en plein ventre. Zenzele est en train de perdre les pédales, tenant des propos incohérents, perdue dans des traumatismes profonds. Helmut est lui aussi touché au ventre et doit tenir ses boyaux pour qu'ils ne se retrouvent exposés à l'extérieur. Marcus et Viktor s'envoient des énormes mandales dans la tronche de toutes leurs forces. C'est sûr : plusieurs d'entre eux vont rester sur le carreau, au moins inconscients, peut-être fatalement blessés.
Wes Craig montre le sang qui macule les vêtements (en particulier le débardeur de Brandy), le sang qui coule des écorchures à la tête de presque tous les protagonistes, la violence des coups que se portent Marcus et Viktor de toutes leurs forces, le craquement des vertèbres cervicales de Petra, avec un effet sonore atroce. Mais en fait, non : chaque personnage aussi blessé qu'il soit continue de se battre et d'aller de l'avant. Ils ne semblent pas ressentir la douleur plus que ça. Brandy se relève, finit par se battre comme une lionne, pas le moins du monde incommodée par sa blessure au ventre. Mais quand même…
Quand même rien du tout. Viktor a cogné comme un sourd sur Macus, le frappant plusieurs fois à la tête avec ses énormes paluches, et Marcus hallucine peut-être un peu, mais rien de plus grave. D'un autre côté, c'est cohérent avec ce que montre
Wes Craig. Les adolescents affrontent paquets de yakuzas, après paquets de yakuzas, les dézinguant sans grande difficulté si ce n'est de devoir se frayer un passage parmi les assaillants ou leurs cadavres. le lecteur y voit une parodie, entre les ninjas en cuir et leurs dents taillées en pointe, et les rectangles noirs devant les yeux des yakuzas pour qu'ils ne soient pas reconnaissables. Il relève en passant la mention aux comics de
Frank Miller faite par Marcus. Il sourit franchement en voyant le dessin en double page avec Marcus, Viktor et Brandy tombant suivant la diagonale de haut en bas et de gauche à droite, reprenant une image iconique de la minisérie de
Wolverine (1982) écrite par
Chris Claremont et dessinée par
Frank Miller. C'est patent :
Rick Remender écrit une parodie où le plaisir est dans la surenchère d'affrontements, et
Wes Craig dessine en phase avec cette approche. du coup, il est impossible de ne pas sourire en voyant cette adolescente élancée en bikini qui resserre une corde entravant un groupe de ninjas en cuir qui s'embrochent les uns les autres sur les pointes acérées de leur costume. le lecteur se sent sur le point d'encourager à haute voix Marcus ou Viktor alors qu'ils se mettent dessus avec toute la fougue de la jeunesse et toute l'énergie possible, sans aucune retenue. Il admire la souplesse de Brandy quand elle enserre le corps de Zenzele par un mouvement gracieux. Il sourit encore bêtement en voyant voler 4 doigts tranchés net d'un coup de lame effilée. D'un côté, ils sont bel et bien perdus pour le pauvre personnage ; de l'autre, ça va il n'a pas l'air de trop souffrir malgré le sang qui s'écoule (certainement l'effet de l'adrénaline).
Le plus fort, c'est que malgré cette exagération narrative de tous les instants dans les combats, le lecteur ressent de l'inquiétude pour le sort des principaux personnages, alors même qu'aucune blessure ne semble pouvoir réellement les faire souffrir, les diminuer physiquement, ou même ne serait-ce que les ralentir. Craig &
Remender combinent de manière surnaturelle une narration quasi parodique, parfois artificielle (Marcus disant ses quatre vérités à Viktor agenouillé devant lui sur la plage), et une tension dramatique très élevée. La vie de ces adolescents est paroxystique et la narration également. Il ne fait aucun doute que ces adolescents souffrent : tuer leurs ennemis finit par peser psychologiquement, être définis par leur capacité à assassiner les mine. Les auteurs savent mettre en oeuvre une cruauté d'un raffinement exquis. le lecteur découvre ce qui est arrivé à Zenzele, ce qui s'est passé avec ses parents, et c'est immonde, plusieurs degrés au-delà d'écoeurant.
Remender revient là à un de ses thèmes de prédilection : les violences faites aux enfants, et les traumatismes qui en découlent. Dans ce tome, il se retient un peu sur les références aux années 1980 : Nancy et
Ronald Reagan,
Frank Miller, les Monthy Python, Black Flag, Scorpions. Par contre il continue de développer des réflexions sur la nature de l'existence, et des relations avec les autres.
Rick Remender commence très joliment avec la propension de l'individu à se représenter sa vie comme un roman dont il est le personnage principal qui passe d'un chapitre à l'autre, tout en ayant conscience que son appréhension de la vie est limitée par ses connaissances. Il profite du fait que pendant ce temps-là,
Wes Craig raconte l'histoire avec fougue en montrant ce que font les personnages, avec des constructions de page incroyables (par exemple celle où les cases sont disposées de manière à donner que l'impression que la planche elle-même se réduit vers un point de fuite). Il ouvre le deuxième épisode sur le constat de la recherche obsessionnelle de quelque chose. Les exagérations de
Wes Craig évoquent un monde merveilleux et enfantin, avec une mise en en couleurs pastel de
Jordan Boyd, accentuant cette sensation de paradis perdu. de son côté, le scénariste évoque comment un individu obsédé par un objectif perd tout sens de la mesure, en vient à ne considérer sa vie que sous l'angle de cet objectif qui lui échappe. le troisième épisode s'ouvre en plein combat, sans ces réflexions sur l'expérience de la vie : elles viennent après. À nouveau, le duel entre Marcus et Viktor reprend et cette fois-ci Marcus a le dessus. Tout d'un coup un spectre apparaît (il était déjà apparu dans le tome précédent) pour faire un petit discours à Marcus. le dispositif narratif est artificiel au possible et pourtant ça marche. le lecteur comprend que Marcus soit victime d'une hallucination après tout ce qu'il s'est pris dans la tête et les propos de Billy. Il peut aussi se dire que c'est l'inconscient de Marcus qui s'exprime, qui tire les leçons de toutes les épreuves qu'il a affrontées. La suite est tout aussi pertinente et sensible alors que Marcus prend conscience qu'il tient exactement le même discours que son ennemi, et que le monstre qu'il a en face de lui n'est qu'une représentation pour justifier de le massacrer sans remords.
Tome après tome,
Rick Remender et
Wes Craig placent la barre plus haut sans aucune concession : des aventures sanglantes et exagérées, des adolescents allant d'un paroxysme à l'autre, une conscience allant grandissante de l'effet du système sur leur vie, de la ressemblance de soi avec les autres, du degré d'égocentrisme, tout ça dans une série de péripéties débridées et politiquement incorrectes. du grand art.