Vacances
Le ministère de l'Information pour lequel je m'égratigne chaque soir au barbelé des émissions radiophoniques en langues étrangères, m'apprend que cette année encore il n'est guère possible de me donner de vacances. O la soudaine félicité ! Je tremblais de paraître aux cérémonies de nos repos rituels ; (…)
J'ai besoin chaque nuit de devenir tous les hommes et tous les pays. Dès que l'ombre s'assemble, je m'absente de ma vie et ce métier dont on m'a fait cadeau me sert de prétexte à des repos plus profonds, plus efficients que tous les sommeils. Bientôt, les Japonais, les Chinois, les Russes, les Arabes font au-dessus de ma vie leur petit bruit, m'encouragent à quitter tous mes enclos ; dégoûté de ce pensionnat qu'est la fade existence individuelle, je fais le mur ; avec la seule parole d'autrui je m'assure de merveilleuses débauches nocturnes dans une cité de vaste liberté où plus rien du moi ne m'espionne. C'est surtout vers les cinq heures du matin que je happe mes plus vraies vacances : mon corps, depuis longtemps je l'ai précipité dans un Niagara de néant ; qu'importe si blanchoie par instant l'écume de la rage ?
Lettre indésirable n°1
Preuves un peu trop lourdes de la dégénérescence humaine.
Il m'est parvenu que de singuliers citoyens français m'ont dénoncé à vous comme n'étant pas du tout au nombre de vos approbateurs.
Je puis , messieurs, vous confirmer ces propos et ces tristes écrits. Il est très exact que je vous désapprouve d'une désapprobation pour laquelle il n'est point de nom dans aucune des langues que je connaisse (ni même sans doute dans la langue hébraïque, que vous me donnez envie d'étudier).Vous êtes des tueurs, messieurs ; et j'ajouterai même( c'est un point de vue auquel je tiens beaucoup) que vous êtes des tueurs ridicules ; Vous n'êtes pas sans ignorer que je me suis spécialisé dans l'écoute des radios étrangères ; j'apprends ainsi de précieux détails sur vos agissements ; mais , le propre des criminels étant surtout d'être ignorants, me faudra-t-il perdre du temps à vous signaler les chambres à gaz motorisées que vous faites circuler dans les villes russes ? Ou les camps, où, avec un art achevé, vous faites mourir des millions d'innocents en Pologne ?
(...) Ce qu'il fait ? Grands dieux !
(...) Ce qu'il fait ? Grands dieux ! mais tout simplement il écrit. Ce qu'il est ? Mais tout simplement un écrivain qui, s'il possède un talent, est par-là même justifié ; son rôle, son but, sa mission est de créer de la pensée et de l'art, quoi qu'il arrive , et surtout « s'il arrive quelque chose » ; bien écrire, penser juste, fort et simple, composer de beaux poèmes, dispense de se chercher tumultueusement d'autres buts. La pierre de touche du véritable écrivain est que dans tous les cas il puisse se sentir libre, ce qu'il s'assurera très aisément s'il évite de faire dépendre son rôle humain d'un rôle politique. » (…)
Domaine terrestre
Dans un temps où l'homme
Dans un temps où l'homme est soumis à de telles épreuves je ne suis qu'un privilégié dont le chant ne saurait, en ce moment être sincère. Je dois avouer que mes poèmes ont une qualité, une seule : c'est qu'ils sont poignants ; mais cela je le dois à tant d'autres : j'ai eu la chance d'être né dans le peuple, d'avoir entendu de simples gens improviser sans en avoir conscience des chants épiques authentiques comme du granit ; il me fut donné de converser longuement avec les plantes et les bêtes ; aujourd'hui ma chance est encore plus grande d'avoir pour femme un être qui est entièrement poésie.(...) Si mes poèmes valent quelque chose, ils sauront attendre. Qu'ils se préparent patiemment pour un ordre universel et général !
Armand ROBIN – L’anarchiste de la grâce (France Culture, 1989)
Une compilation de cinq émissiosn de radio des « Chemins de la conaissance », par Roger Dadoun, diffusée du lundi 2 octobre au vendredi 6 octobre 1989 sur France Culture. Invités : Gérard Meudal, Antoine Berman, Mireille Guillet, Alain Bourdon et Georges Monti.
L’émission « Surpris par la nuit », par Frédéric Acquaviva, diffusée le 22 mars 2007 sur France Culture.