Je rentre d'un voyage livresque à Lagos au Nigeria, avec des frissons, la chair de poule en fait. J'y ai côtoyé le chagrin des enfants abandonnés, la pauvreté, la peur, les abus sexuels, l'égoïsme, la manipulation des hommes d'Eglise, la corruption, les châtiments corporels des élèves. Mais aussi les légendes Yoruba. Et j'ai beaucoup appris sur un pays dont j'ignorais tout.
C'est toujours utile d'ouvrir un livre, et parfois primordial d'ouvrir les yeux sur la misère de ceux dont le destin n'intéresse à priori pas grand-monde ici.
L'autrice soulève une vraie question : les tricheurs gagnent-ils toujours à la fin ?
C'est l'histoire de quatre enfants (des jumelles et leurs deux petits frères) issus de la classe moyenne nigériane, pour qui la vie plutôt agréable va se transformer en un éclair en une survie, une lutte de chaque instant suite au départ-abandon de leurs parents. « Si la tristesse te retourne la tête quand tu es vieux, que peut-elle faire à un petit garçon ? »
Dans cette histoire hallucinante pour nous occidentaux mais somme toute assez banale au Nigeria,
Tola Rotimi Abraham a choisi de donner à tour de rôle la parole à chacun des enfants. Ils donneront leur point de vue sur leurs expériences, leur ressenti, leur tentative de reconstruction entre 1996 et 2015.
« Notre cerveau était resté bloqué en mode survie, et cela nous poursuivrait toute notre vie ».
Comment une cellule familiale stable peut-elle exploser aussi facilement ? L'autrice nous livre froidement la réponse : une mère qui perd son emploi auprès du ministre suite au limogeage de celui-ci, un père beau-parleur sans le sou qui échoue dans toutes ses entreprises. Elle ajoute à ça un cruel égoïsme parental apparent –expliqué par de nombreuses blessures mais non pardonnable – et une lettre d'adieu déposée un matin sur la table du salon… et le tour est joué ! Les enfants se retrouvent sans rien, propulsés chez une grand-mère pauvre : la route toute tracée vers une vie agréable vient de laisser place à un chemin caillouteux, dangereux, plein de brigands…
Devant la pauvreté financière et affective qui les submerge, mieux vaut encore être né garçon. Andrew et Peter vont souffrir de maltraitance scolaire, d'humiliations et de coups, de colère, de manque d'affection.
« L'odeur du chagrin me collait à la peau ».
Mais pour leurs grandes soeurs Bibike et Ariyike, les choses prennent un tour encore plus affreux. Fini l'école ! Au boulot ! (petit boulot bien sûr). Elles n'auront de cesse que de gagner leur indépendance financière, chacune à sa manière, afin de nourrir la famille et de permettre des études aux garçons.
Mais la gente masculine rôde comme une bête féroce autour de tout ce qui ressemble à une fille. le sexe est imposé, partout, dans TOUS les milieux, tout le temps. Une seule façon pour elles de s'en sortir, le monnayer plutôt que de le subir gratuitement.
« Toutes les femmes sont la propriété d'un homme, certaines de plusieurs……..J'avais attendu trop longtemps pour choisir mon propriétaire, j'avais tergiversé par ignorance, alors j'avais été choisie » (Bibike)
« Je ne peux pas oublier ce sentiment, l'impression d'être un vieux chiffon sale qu'on peut utiliser et jeter « (Ariyike)
Beaucoup se tournent vers l'Eglise néo-pentecôtiste, le christianisme « born again », les prétendus sauveurs, les révérends hautement charismatiques, prêcheurs éloquents qui se révèlent vite des manipulateurs, pervers, hypocrites, certains même de beaux escrocs. le sens de l'entreprise est souvent plus présent que l'Esprit Saint …
Pourquoi alors ? Mais parce qu'elle promet la prospérité, la réussite, le bien-être matériel et spirituel… et plus si affinités !
L'autrice a choisi de mettre l'Eglise au coeur de son roman. Au coeur de la détresse, de la dépendance, de la maltraitance.
Un beau premier roman avec son intrigue, écrit dans un style direct, telle la dureté qui ne fait pas mille palabres et ne s'encombre pas de sentiments.
Je soulève une dernière question : à quand le permis de mettre des enfants au monde ?
« L'égoïsme est normal, il est humain. »