Les reliques de Wyrm - Tome 1 : La fumée de Mélana

— Le château de la Loire a été attaqué. Lyon est tombé ! Il ne reste plus rien ! Ils sont tous morts !

La voix de Teressa déraillait au fur et à mesure que les mots s’échappaient. Le froid terrible de la panique s’insinuait petit à petit en Katalista.

— Doucement, Tess, parle plus lentement, j’ai du mal à te suivre. Qui est mort ?

— Ta mère, Marie, tous les Le Clair…

La voix de Teressa se brisa. Elle ne parvenait plus à mettre des mots sur les événements de la journée. Sous le choc, Katalista bascula sur ses talons. Son esprit divaguait, vidé par cette nouvelle. Des émotions contradictoires l’envahissaient : le soulagement, la haine, la délivrance, la peur, l’espoir et le doute. Elle les avait détestés. Elle les haïssait tous autant qu’ils étaient. Même maintenant, elle rêvait de les tuer de ses mains. Son enfance avait été ponctuée par la violence. Les mauvais traitements que sa mère, ainsi que sa famille, lui avait infligés l’avaient emplie de frayeur. Car si elle était née en possédant une grande puissance magique, elle n’était parvenue à l’utiliser que fort tard. Trop tard au goût de sa mère qui, ne voyant pas en elle sa digne héritière, avait fait le choix cruel de la bannir de la famille, tout en sachant que ce serait une condamnation à mort. Le jour de son exil était gravé en elle à jamais, pour rien au monde elle n’en laisserait ce souvenir investir son esprit, ni maintenant, ni jamais. Alors elle lutta pour revenir dans le paysage enneigé. Ce fut la main froide de Teressa sur son visage qui la ramena complètement dans le présent. Katalista la remercia en pensée avec gratitude, puis elle remarqua les légers tremblements de la paume posée sur sa joue et l’expression affolée de Teressa. La Prima ne comprit pas immédiatement ce qui effrayait si subitement la sorcière, quand elle aperçut autour d’elle des étincelles dorées qui crépitaient furieusement sur le blanc pur du paysage. Elles apparaissaient, disparaissaient, dansaient, virevoltaient dans un bal gracieux et envoûtant, mais terriblement dangereux s’il ne prenait pas fin rapidement. Piégée par ses émotions, Katalista avait accidentellement relâché le rigoureux contrôle qu’elle exerçait sur sa magie. Libérée, l’impétueuse énergie s’échappait de sa prison charnelle pour se concentrer en flux palpables. À leur jonction, là où les vagues de magie s’entrechoquaient, les étincelles fusaient et explosaient.

Le froid mordant qui régnait en altitude assaillit l’escadron dès son arrivée. Katalista rajusta son écharpe et répartit ses effectifs en trois groupes. Ils s’élancèrent dans la neige, chacun dans une direction. Grâce à l’imprégnation de magie dans leur chair, les chevaux progressaient vite et facilement dans ce paysage rude du Montana. Onze ans s’étaient écoulés depuis que Katalista avait revendiqué les Terres Sauvages comme siennes après avoir voyagé pendant des décennies aux quatre coins du monde avec ses sœurs de sang. Fait surprenant, ce territoire était libre depuis des siècles. Nombre de sorcières à l’indéniable puissance avaient tenté de se l’approprier, mais la magie sauvage les avait détruites, mentalement et physiquement. Les Primas ayant essayé de s’implanter ici avaient commis deux erreurs fâcheuses. Vouloir tout contrôler était dans la nature de ces femmes, or la magie sauvage qui courait sur ici était incontrôlable. Il leur aurait fallu laisser leur âme danser avec elle, une danse subtile et ancestrale pour espérer l’embrasser pleinement. Si l’on résistait, si l’on tentait de la soumettre, elle vous submergeait et vous traînait dans la folie. Telle avait été la première erreur de ces Primas. Deuxièmement, les envahisseuses de l’époque n’avaient pas considéré l’existence des nœuds telluriques, lieux où la magie sauvage se concentrait et qu’affectionnait tout particulièrement Hécate. Ériger sa demeure sur ces emplacements, sans demander l’autorisation à la déesse, revenait à une condamnation à mort. L’esprit s’effritait, le corps faiblissait et l’âme se consumait sous la volonté de la mère des sorcières. Pour obtenir ces terres, Katalista avait prié la déesse comme elle le pratiquait depuis son enfance. Par suite de ses nombreuses dévotions, Hécate lui avait fait un grand honneur en s’adressant directement à elle à travers une vision, et l’avait autorisée à devenir la Prima de ses terres. Katalista avait alors choisi d’implanter en toute logique son domaine privé au Yellowstone, point d’intersection de ses trois territoires, le Montana, l’Idaho et le Wyoming, et nœud tellurique primordial.

La peur lui vrillait le ventre, mais Camille continuait de courir. Sa respiration haletante et son cœur tambourinant résonnaient à ses oreilles. Un seul but animait chacun de ses mouvements, hantait chacune de ses pensées. Elle franchit les magnifiques jardins à la française qui agrémentaient l’un des plus remarquables châteaux de ce pays, désormais ravagé par les combats. Elle filait, ses longs cheveux châtains fouettant son visage blême. Agile, elle esquivait tantôt un coup d’épée affûtée, tantôt une boule d’énergie magique crépitante. Elle progressait tant bien que mal au milieu de ce carnage, faisant son possible pour ne pas penser aux morts qu’elle dépassait, et au sang qu’elle foulait. Brusquement, un guerrier en armure de plates se dressa devant elle. Il portait sur le plastron les armoiries de l’envahisseur. Camille n’eut aucune hésitation ; d’un mouvement fluide, elle se coula le long de l’épée à deux mains, passa sous le bras tendu, et dégaina sa dague. D’un geste précis, elle poignarda son ennemi entre les côtes et atteignit le cœur. Mort sur le coup, il s’écroula à ses pieds, mais elle n’avait été pas assez rapide. Sa hanche droite lui causait une souffrance terrible, le tissu imbibé de sang collait à sa peau. Elle tituba, mais elle devait persévérer. Grâce à un entraînement rudement inculqué, elle parvint à repousser la douleur dans un recoin de son esprit et poursuivit sa route. Bien qu’elle ne soit pas une guerrière et qu’elle préfère la compagnie des livres aux maniements des armes, elle avait été obligée de suivre une formation martiale dès son enfance. Pour la première fois, elle s’en réjouissait. Arrivée devant la porte principale du château, une faiblesse plus intense que les autres la força à prendre appui sur les battants de bois. Prenant une profonde inspiration, Camille releva la tête, serra les dents, et s’obligea à reprendre sa course. Elle ne pouvait abandonner ! Ce bref moment de trouble faillit lui coûter la vie.

« Une raison plus déroutante et bien plus dangereuse le poussait à galoper à bride abattue. Cette femme était devenue comme une drogue pour lui. Elle s'était insinuée sous sa carapace pour se loger dans chaque centimètre de sa peau, dans chaque goutte de son sang.
Sa magie appelait celle latente qui sommeillait en lui. Ces sensations intenses grisaient cet homme habitué à ne rien ressentir, ni douleur, ni peur, ni joie, ni envie. »

« La première relique forgée par Wyrm, ait été confiée aux Amérindiens par une descendante. Pour une raison inconnue, elle a dérobé les trois reliques et les a dissimulées dans des lieux tenus secrets. Malheureusement, je n'ai pu découvrir quelle tribu avait eu l'honneur de protéger cet inestimable artefact. »