Périlleux de résumer ce livre, l'auteur dit souvent qu'il déteste la question « de quoi ça parle ? », j'ai peur de commettre un sacrilège. Disons pour faire simple que c'est la quête d'un jeune auteur, qui part sur les traces d'un livre introuvable, le labyrinthe de l'inhumain, de T.C Elimane, auteur qui n'a laissé presque aucun indice sur sa route. Ce faisant, il va croiser le chemin d'autres personnes qui vont lui raconter leur vie (et dans leur récit, d'autres personnes racontent aussi leur vie, il y a un enchâssement de récits). Et donc, c'est un peu la métaphore de la littérature, ou de l'art plus généralement, ce chemin qui se démultiplie. Et c'est en même temps une vision désabusée du sort qu'on réserve à l'art : « Mais chercher la littérature, c'est toujours poursuivre une illusion. Chercher la littérature, c'est chercher la merde ». On voit que le narrateur se sent comme une bête d'un ancien temps, avec ses compagnons de plume, qu'il sent l'absurdité de parler des heures de l'art quand dehors, ce n'est plus le temps, ni l'envie, il sent la futilité (et en même temps cette futilité irrigue toute sa vie). C'est aussi un livre sur la question noire, qu'est-ce qu'être un écrivain noir en France, selon les époques : être ramené à sa couleur autant dans les années 30 que de nos jours (le fait d'être décrit comme « une étoile montante » aussi réducteur que le «
Rimbaud nègre » qu'on assigne à T.C Elimane en son temps. D'ailleurs, on montre à un moment la difficulté de briller, de « devenir des savants dans la culture qui a dominé et brutalisé la leur ».) Et cette impossibilité, (et ce désir qui se perpétue) c'est ça,
la plus secrète mémoire des hommes.
Il y a quelque chose des mythique aussi dans ce roman. le mythe orphique avec l'histoire du père de Siga et de Mossane : son échec à la ramener vers lui rappelle celui d'Orphée à ramener Eurydice dans le monde des vivants. D'ailleurs, elle reste coincée dans cette entre-deux, cette terre qui gronde, qui palpite ( c'est peut-être là où le roman m'a moins plu, j'ai plus de mal avec les récits allégoriques, d'en saisir les enjeux, de marchander avec leur apparente simplicité. J'ai préféré les moments dans le présent. ) Et là où c'est assez fort, c'est que le narrateur semble anticiper cette impression plus loin dans le livre, en parlant d'une lettre qu'a laissé T.C. Elimane « c'est de la merde crypto-symboliste. C'est une mystagogie risible, une parodie de mauvais goût d'un prophète ou de
Maître Eckhart ou d'un charlatan évangéliste congolais […] ». Et on lui répond « Tu dis ça, parce que tu ne comprends pas, ou pire, parce que tu crois comprendre sans savoir ce que tu crois comprendre. […] ça peut te sembler merdique, ou hermétique, mais chaque phrase ici dit quelque chose de précis. Même sous une forme ambigüe et chiffrée. ».
On ne sait pas ce qu'on lit ! Parfois, on se demande si on n'est pas en train de lire ce Labyrinthe de l'inhumain, cette « oeuvre avec des fragments de celles des autres. » et l'auteur « un génie du collage ». Il y a toute une réflexion sur l'innutrition, sur le plagiat.
L'auteur aspire à une littérature qui transcende l'intelligence et l'émotion. Est-ce le cas dans
La plus secrète mémoire des hommes ? C'est un livre intelligent, on n'en doute pas, mais je ne me suis pas sentie impliquée. Je suis le cheminent de Diégane, cette quête impossible, on traverse le temps et l'espace, les voix, surtout, c'est un livre qui appelle à notre intelligence (je pressens des sens que je ne saisis pas à la première lecture). D'un autre côté, je ne ressentais pas grand-chose, pas d'engagement envers les personnages, trop fragmentés (peut-être trop dans l'exposition aussi, trop dans le récit). Autre raison possible : le fait que le livre se découpe en plusieurs « histoires » (avec les mêmes personnages, mais souvent un point de vue différent) : c'est la même sensation que passer d'un rêve à l'autre, ou de se réveiller soudainement (avec la part de frustration, et la difficulté de replonger aussi facilement dans le récit). C'est souvent bien à la moitié de chaque histoire qu'on comprend en quoi elles se recoupent (on ressent du plaisir à ce moment-là, et peu après, on est extirpé vers autre chose). le livre nait, meurt, se réincarne sans cesse, c'est sa force et sa faiblesse (poétesse du dimanche, z'avez vu), et pour cette raison, il faut le lire.