La vie en prose
Réunissant « Rurales, urbaines et autres » [Ed. Fourbis, © 1991] et « Au crayon » [Ed. Farrago, © 1999], « Comme si rien ne pressait » [La Dogana, © 2010] complètent sur une centaine de pages les carnets du poète Jean-Luc Sarré qui courent ainsi de 1990 à 2005. Remarques et scénettes puisées au quotidien, les observations d’un peintre naturaliste s’enchaînent avec fluidité et se délivrent en finesse. Proches de l’haïku et de l’aphorisme, les phrases courtes travaillées à l’os mettent en relief des mots simples qui acquièrent en bouche une résonance particulière : « Certains fréquentent des gouffres, je ne longe, c’est vrai, qu’un fossé mais pour qui redoute la douleur plus que la mort, l’épreuve n’a rien de dérisoire ». L’humour pointe parfois comme un scalpel, opérant dans la grisaille des jours la sanie des turpitudes. Si les trente premières pages contiennent en germe les saillies, les griefs et les émerveillements de l’auteur, elles n’emballent pas encore complètement le lecteur dans les papiers froissés du poète. Le deuxième opus du recueil est plus en verve, percutant et incisif. Publié une décennie plus tard, « Au crayon » tient la bonne distance entre la banalité du quotidien et son effarante universalité : « Heurter légèrement une passante puis s’éloigner, avec, durant quelques pas, une épaule nue et fragile contre soi ». Le lecteur peut engranger un bon fagot de chauffe avec les phrases concises et ciselées de l’auteur pour faire dorer et pétiller des joies à petit feu. La finesse des observations est un régal substantiel que l’on a envie de garder en bouche mais il sera impossible de se les approprier pour les réutiliser tant elles ont été travaillées avec les nerfs et le sang du poète. Ainsi en va-t-il des écrits essentiels qu’il faudrait réciter à la virgule près sous peine d’en amoindrir la force.
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Midi. Le printemps est bien là, avec lui, le parfum des poivrons grillés (famille sépharade du troisième). Autrefois, dans les quartiers populaires, l’odeur – même en semaine – des plats qui mijotaient. La cuisine, elle aussi, avait le temps.
Une feuille de platane qui roule longuement sur sa tranche avant de s’immobiliser, inclinée contre un mur, comme un vélo.
Il ne cesse de tomber du haut de sa bêtise, acquiert de plus en plus d’énergie ; il serait vite réduit en bouillie si la chute n’était sans fin.
« Tu deviens fou » me suis-je dit, alors qu’en traversant l’allée, j’évitais d’écraser les fourmis, ce qui me conférait une étrange démarche.
Il porte les clés à la ceinture, à la façon d’un geôlier mais ce sont celles de ses propres cellules : bureau, logement, voiture.