Comment passer trois jours avec les Impressions, Curtis Mayfield et quelques autres dont Donny Hathaway ou
Gladys Knight ? Lire
Curtis Mayfield-Move On Up de
Nicolas Sauvage paru il y a quelques semaines au Boulon est une réponse.
L'auteur retrace l'émergence et l'évolution de la soul dans le paysage musical américain, et parallèlement comment Curtis Mayfield y gagne sa place, depuis ses premiers pas sur scène et ses premières compositions au sein des Impressions en 1958 à 16 ans, groupe dont il prend la direction quelques années plus tard. Ces premières années, dont j'ignorais à peu près tout, sont explorées en profondeur et révèlent la naissance de l'incroyable chanteur et musicien qu'est Curtis Mayfield. Au fur et à mesure du livre et de ses chapitres très denses (d'autant plus denses que les alinéas sont rares), on voit bien poindre d'un côté l'enrichissement des compositions de C. Mayfield, la manière dont il élève la soul vers quelque chose de plus rutilant, de plus florissant ; et d'un autre côté, la naissance au milieu des années 60 de sa conscience politique et de son engagement pour les droits civiques. La chanson We're A Winner, véritable chef-d'oeuvre, en est un des meilleurs exemples.
N. Sauvage plonge dans les tréfonds de la discographie, dissèque tous les albums (y compris l'incontournable Curtis/Live !), commente des chansons avec enthousiasme, honnêteté et érudition. Il s'intéresse également à tout ce qui touche au travail de producteur et de patron du label Curtom (voir la très bonne compilation Curtom Story).
Encore plus que dans son livre sur Morrissey,
Nicolas Sauvage se concentre sur la musique de C. Mayfield, même après l'essoufflement qualitatif vers la fin des 70s. Il ne s'attarde que très rarement sur sa vie privée, à part dans les ultimes pages, entre le tragique accident qui laissera C. Mayfield lourdement handicapé et sa disparition prématurée en 1999 à seulement 57 ans. Néanmoins quelques éléments biographiques auraient pu être distiller pour contextualiser.
Le nom d'un autre soul man de l'époque revient régulièrement,
Marvin Gaye et Curtis Mayfield ont tous deux des parcours singuliers, ils avancent parallèlement, l'un à Detroit l'autre à Chicago, ils s'écoutent et s'influencent mutuellement, s'admirent sûrement. Tous deux sortent la soul des petits costumes bien repassés pour l'emmener vers des ailleurs plus aventureux et raffinés. Cependant, et contrairement à M. Gaye, C. Mayfield a une place paradoxale, son oeuvre irrigue et influence des pans entiers de la musique, des groupes et artistes aussi divers que
Bob Marley, Paul Weller, les Housemartins par qui j'ai découvert People Get Ready des Impressions, Lambchop, récemment les Ironsides et Curtis Harding, et beaucoup d'autres. Mais, malgré cette impressionnante succession, C. Mayfield n'est pas une star comme l'est, à juste titre, M. Gaye. Il a pourtant signé de véritables chefs-d'oeuvres avec des albums solo tels que Curtis, Back to the new world, la musique du film Super Fly, ou This is my country et The young mod's forgotten story des Impressions.
C'est le troisième livre en à peine un an (après Morrissey et les Smiths) que je lis et chronique de
Nicolas Sauvage, la précision historique y est constante, ce qui est notable ici se trouve dans l'écriture, un peu plus chaleureuse que dans ses précédents livres.