Nous avons tous des secrets

Triste certitude qui nous laisse toujours un goût amer dans la bouche. Surtout quand ce sont des personnes que nous aimons. Lorsque cela se produit, nous ne pouvons rien y faire. Et cela arrive le plus souvent avant que nous ne réalisions qu’elles ne sont déjà plus là. C’est une réalité avec laquelle on apprend très vite à vivre et contre laquelle on ne peut pas lutter. La vie est conçue de cette manière. Elle est cruelle, impitoyable. Imparfaite.

Je fais une recherche rapide sur ce journaliste. Il a fait beaucoup de reportages à travers le monde et en particulier dans des zones sensibles. C’est une sorte de baroudeur. Un aventurier. Le genre d’individu dont je me méfie en général. Il s’est spécialisé dans les faits divers, les crimes atroces, barbares. C’est donc bien le style de personne que j’évite de rencontrer.

Quand les médias racontent son histoire, j’ai toujours peur que l’on parle également de moi. Thomas Gauthier s’interroge sur le lien qui unit ces deux affaires : Clara Jourdan/Lise Brunel. J’ai l’impression qu’il est le seul à croire à un truc pareil. Son texte est plutôt bien écrit et il est un peu différent des autres papiers que j’ai déjà pu lire sur le meurtre de Lise. En général, les journalistes de ces articles racoleurs s’attardent toujours sur la manière dont elle est morte. C’est malheureusement plus vendeur. Ils balancent toutes les horreurs qu’elle a subies, enfin ce qu’ils en savent, les informations que la police a bien voulu leur divulguer, mais ils ne parlent jamais de sa vie.

J’ai tout à coup l’impression d’entendre ma mère chanter quelque part dans la maison, de sentir sa présence. Je suis à nouveau une petite fille. Je me retrouve à l’époque où tout allait encore bien. Je suis soudain apaisée, revigorée. Presque heureuse. C’est une sensation étrange ; c'est un peu comme si tout s’arrangeait finalement. Je lisse mes cheveux en arrière, les yeux toujours fermés. Des larmes se mêlent à l’eau qui coule sur ma peau.
Je sais que les choses ne peuvent pas se dérouler ainsi. On ne peut pas revenir en arrière. Ça serait trop facile.

Comme moi, les gens se demandaient comment une telle atrocité avait pu se produire dans leur ville et surtout qui avait bien pu faire ça. Ce genre d’horreur était difficile à concevoir. Est-ce que le visage du meurtrier pourrait nous être familier ?
Cette seule idée me terrifiait. Le tueur ne pouvait pas être une personne dont nous pourrions apprécier la compagnie. Ça devait être forcément un individu qui aurait choisi Lise par hasard et l’aurait assassinée sans aucun mobile, simplement parce qu’elle se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment.