Canetor n'a vraiment pas de chance. S'il aimait se plaindre, on pourrait le confondre avec Calimero. Même tête noire, seule la casquette a remplacé la coquille qui sert de couvre-chef à son cousin plaintif. Mais au fait, de quelles malédictions a-t-on assommé
Canetor lors de sa naissance ? En voici une petite liste, loin d'être exhaustive :
- N'avoir pour seul amour qu'une
Canetorette stupide, abreuvée aux conseils insipides de ses magazines féminins, et monomaniaque du ramassage de pâquerettes.
- Perdre encore espoir en la gent féminine à cause d'une soeur
Canetorine hautaine et méprisante. Impossible de partager la moindre conversation avec elle car l'étroitesse de son esprit est telle qu'elle n'arrive à en extirper que de vieilles rengaines populaires («L'habit ne fait pas le moine ») avec lesquelles elle s'emmêle parfois les pinceaux (« Il faut manger pour être belle et non pas être belle pour manger »).
- Perdre les plus belles heures de sa journée à effectuer une profession insipide, mal considérée et mal payée.
- Etre poursuivi jusque dans ses rêves par les terreurs anodines de cette vie transparente, d'autant plus anxiogène que personne d'autre à part
Canetor ne semble la trouver terrifiante.
Car, en effet, la pire des malédictions de
Canetor est peut-être celle-ci : être le seul personnage canardesque un peu normal dans ce monde animalesque bigarré mais complètement crétin
Canetor représente l'abnégation : lorsque tous s'agitent autour de lui, dans la réalisation de leurs actes les plus stupides, dans la profusion continue de leurs propos incohérents, lui s'immobilise et se tait. Pauvre petit canard se prend de plein fouet l'ingratitude, pour la plus grande joie des spectateurs alentours.
Dans les premières pages, la lecture est réjouissante. le graphisme surprend agréablement et convient à l'expression atone du
Canetor et aux figures stéréotypées de ses congénères. Les situations sont absurdes et rappelleraient presque l'humour des
Monty Python. Mais n'exagérons pas : jamais ce pauvre petit canard ne parviendra à leur hauteur. Et au fil des pages, on commence à comprendre pourquoi…
Canetor est mou, prévisible… même pas lâche (il aurait pu nous faire rire en tentant de s'échapper des situations saugrenues qui s'offrent à lui), il se contente simplement de ne rien faire. L'acharnement virulent dont il fait l'objet pourrait conduire à une infinité de réactions possibles, mais
Canetor se contente d'attendre bêtement que l'on tourne la page et que l'on passe à une autre histoire où, une fois encore, il ne se produira rien.
Les dernières planches sont longues et se présentent dans la continuité du début de l'album. On a l'impression d'être confronté à des running-gags qui font leur effet une fois, deux fois, mais peut-être pas trois. Dommage, dommage : après s'être identifié au petit
Canetor, après avoir eu l'espoir de trouver en lui un confident capable de comprendre notre angoisse à évoluer dans un monde qui paraît souvent indéchiffrable, on en vient à se détacher son stoïcisme surnaturel qui finit par faire de lui un vulgaire canard en plastoc.
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