A neuf heures, nous quittâmes Wiesbade; je fermai les yeux, afin de pouvoir jouir pleinement, du fond de l'âme, du premier regard que je jetterais sur le vieux « Vater Rhein » si majestueux !
Lorsque je rouvris les yeux, le fleuve s'étalait devant moi, calme, silencieux, serein et fier comme un dieu antique, et, autour de lui, se développait cette immense plaine fertile et fleurie, entourée de monts et de vallées, au milieu desquels se trouve le paradis des vignes.
En 1832, une idée néfaste traversa l'esprit du jeune artiste dont le talent de pianiste se développait chaque jour : pour augmenter et assouplir ce talent, il résolut de lui faire surmonter déplus grandes difficultés, et il attacha, pour l'immobiliser, an doigt de sa main droite. Il ne travailla donc plus qui avec neuf doigts. Le résultat de cet essai fut déplorable : le doigt demeura paralysé, et Schumann fut forcé de renoncer, pour toujours, à se faire entendre en public : son piano ne lui servit plus qu'à se jouer, à lui-même, les compositions qui devinrent le seul but de sa vie artistique.
Clara ne résistait à son père que lorsqu'il s'agissait de son avenir, irrévocablement uni par elle à celui de l'homme qu'elle aimait « d'un cœur qui n'aimerait qu'une fois. » Avec son merveilleux talent, elle faisait connaître les compositions qui l'enthousiasmaient, tout en suivant avec docilité l'infatigable imprésario qui l'éloignait systématiquement de Leipzig et la faisait voyager de tous côtés, pour donner des concerts qui étaient autant de triomphes.
Robert Schumann. Les deux grenadiers, par Armand Mestral.