Depuis la lecture de «
La Promesse de l'aube»,
Romain Gary me fascine. Sa vie, sa mort, ses souvenirs d'enfance, ses affabulations, la mystification Emile Ajar, son parcours incroyable. Destin atypique. Homme fascinant.
S'attaquer au monument insaisissable qu'est
Romain Gary est un exercice périlleux.
Dans «
Romain Gary s'en va-t-en guerre » – titre vraiment, vraiment médiocre – de
Laurent Seksik, nous suivons trois protagonistes durant 24 heures, dans le ghetto de Wilno, en janvier 1923 (soit trois ans avant le départ pour Nice) : Roman Kacew, âgé de 10 ans, sa mère Mina et son père Arieh. C'est la rupture de ses parents, la fin de l'enfance et des illusions.
Laurent Seksik a choisi cet instant car, selon lui, « C'est cette séparation qui intervient à l'âge de 10 ans et demi qui lui a sauvé la vie et qui nous a donné un grand écrivain français. »
Sauvé la vie, oui, car cette rupture a donné l'impulsion à sa mère de quitter le ghetto, et ne pas connaître le même sort, 19 ans plus tard, que les 60 000 juifs de Wilno qui seront tous exterminés (dont toute la famille de Roman, son père, sa nouvelle épouse et ses deux autres enfants).
Ce roman n'est pas une biographie, c'est une interprétation des faits, de la vérité. L'interprétation de
Laurent Seksik. À laquelle je n'ai malheureusement pas adhéré. J'ai trouvé sa vision de Mina, la mère de Roman Kacew, peu flatteuse. On la devine instable, hystérique, à la limite de la maniaco-dépression. Son envie de la France est obsessive, d'une façon maladive, pas raisonnée. Difficile d'imaginer que Mina dispose de la ténacité, de la volonté, des ressources que demandent un déracinement pareil.
On sent l'adoration de
Laurent Seksik envers
Romain Gary, Roman Kacew. On devine le futur génie dans cet enfant de 10 ans. L'auteur lui prête une lucidité et une clairvoyance, auxquelles j'aimerai croire, mais dont je doute fortement.
« Au-delà d'un continent voué au désastre, il cherchait les lisières d'un monde d'espérances ».
La partie finale est tellement improbable qu'elle décrédibilise tout le roman. On n'y croit plus. J'ai l'impression de m'être fait avoir.
La lecture est agréable, facile. L'écriture est fluide. Dommage que l'émotion soit souvent muselée par le style peu original. Je m'attendais à beaucoup mieux. Il me manquait la verve de Gary.
Ce roman est une interprétation, une vision, parmi tant d'autres, de ce qui aurait pu être l'enfance de
Romain Gary. Ce conteur avait tellement bien brouillé les pistes, qu'on en veut presque à
Laurent Seksik de cette désacralisation. En voulant se l'approprier, en voulant coucher sur papier son amour pour son idole,
Laurent Seksik l'a "normalisé".
Au-delà de
Romain Gary, ce qui transparaît de ce roman, c'est le sentiment, au regard de ses autres écrits, que
Laurent Seksik est surtout obsédé par le judaïsme d'avant-guerre. Et qu'en s'appropriant les combats et réactions de certains Juifs face à l'horreur nazie –
Stefan Zweig se suicide,
Romain Gary rejoint la France Libre, Einstein migre au États-Unis, mais à quel prix ? -,
Laurent Seksik tente – peut-être ? je conjecture- de comprendre, d'accepter le passé et d'immortaliser ces combattants de la liberté.
Et c'est cette quête que je trouve fascinante.
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