Laurent Seksik s'est fait une spécialité des biographies romancées de personnages célèbres, racontées sous un angle méconnu de leur vie. Il s'est déjà penché sur les derniers jours de
Stefan Zweig ou encore sur le fils psychotique d'
Albert Einstein. Cette fois il s'attaque à un monument de notre littérature dans «
Romain Gary s'en va-t'en guerre » en se focalisant sur la figure oubliée du père du seul auteur à être doublement primé au Goncourt,
Romain Gary - de son vrai nom Roman Kacew.
Le roman retrace deux journées décisives (26 et 27 janvier 1925) de la vie du jeune Roman où des révélations importantes sur ses origines et sa famille lui seront dévoilées.
Roman, âgé de onze ans, vit alors dans sa vie natale, Vilna, dans l'Empire Russe, devenue après la Première Guerre Mondiale Wilno en Pologne, et aujourd'hui Vilnius en Lituanie. La ville était à l'époque surnommée « La Jérusalem du Nord » tant les Juifs y étaient nombreux (plus de 100 000 personnes).
Son père, une figure qui a été longtemps fantasmée dans ses écrits, s'appellait Arieh Kacew et était fourreur. 1925 est l'année où il quittera son épouse, Nina, pour vivre avec sa jeune maîtresse, qui est enceinte de lui. Abandonnée par son mari, étranglée par les dettes liées à la faillite de son commerce, Nina, qui a déjà perdu son fils issu d'un premier mariage, décide de quitter Wilno avec Roman afin d'offrir un meilleur avenir au seul fils qui lui reste. Cette décision, sans qu'elle le sache encore, leur sauvera la vie à tous les deux…
Si «
Romain Gary s'en va-t-en guerre » est bel et bien un roman, on a parfois l'impression de lire une pièce de théâtre (on imagine très bien ce livre adapté sur scène) : une intrigue se déroulant sur une courte durée, avec peu de personnages récurrents (Roman, le père, la mère, le voisin qui achète les livres de la mère…) et une unité de lieu (l'essentiel du roman se passant dans l'appartement de la mère).
Le livre de
Laurent Seksik dévoile les deux grands mystères de la vie de
Romain Gary, deux personnes qu'il a plus tard complètement niées dans ses écrits autobiographiques : son père et son demi-frère du côté maternel (son « frère utérin » comme le veut le terme consacré). Il a longtemps prétendu que son père était un grand acteur russe, Ivan Mosjoukine, qui ne l'avait pas reconnu – alors que ses parents étaient bien mariés à sa naissance et que leur union aura duré plus de quinze ans. Il a également occulté la deuxième famille de son père, avec les deux enfants qui naîtront de cette union, Pawel et Walentina. On découvre également que la mère de Romain avait eu un fils d'un premier mariage, mort à 20 ans, et qui avait donc vécu avec Romain durant les premières années de sa vie. Lui aussi a complètement été occulté dans les écrits de
Romain Gary, comme s'il ne devait rester que sa mère et lui.
On soulignera d'ailleurs que le titre est trompeur car le récit n'évoque pas l'engagement de
Romain Gary durant la Seconde Guerre Mondiale mais quelques jours de 1925 où la vie de celui qui s'appelait encore Roman Kacew bascule. Construit comme une enquête, le livre s'appuie principalement sur les recherches effectuées en Lituanie en 2014 de
Laurent Seksik qui a réussi à exhumer des archives nationales des documents sur la jeunesse de
Romain Gary, sur sa mère, son père, et ce fameux demi-frère : actes de naissances, passeports, papiers relatifs à l'activité commerciale du père…Le passeport demandé en 1925 par Mina Kacew a donc été retrouvé, et elle y figure avec le jeune Roman.
Malgré tout, ce livre est bien un roman. Même s'il est basé sur une recherche documentaire et des faits bien réels, cela ne représente que quelques heures dans la vie du jeune
Romain Gary. 24 heures déterminantes dans la vie de l'enfant qu'il était. le tout avec en arrière-plan l'histoire de l'extermination des juifs de Pologne. le silence de
Romain Gary sur son père prend un autre sens lorsqu'on sait que celui-ci a été assassiné par les nazis, comme toute sa famille et la population de Wilno.
Ne vous attendez pas à une biographie de l'écrivain car «
Romain Gary s'en va-t-en guerre » de
Laurent Seksik est avant tout un roman sur la jeunesse du célèbre auteur et ce mystère entourant la filiation paternelle. En filagramme, c'est également une ode à la paternité et l'importance d'un père pour sa progéniture.
Laurent Seksik a d'ailleurs dédié ce roman à son propre père, qui est mort alors qu'il écrivait les pages sur la disparition du père de Gary.
En somme, un livre abouti tant par son contenu fort bien documenté que sa force littéraire qui ne souffre que de deux bémols : le choix de ce titre, complètement décalé par rapport au contenu du livre, et le dernier chapitre, qui se déroule en 1943 et nous a semblé en trop – ce serait sans doute une bonne scène finale dans une pièce de théâtre, mais dans ce livre, il tombe comme un cheveu sur la soupe !
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