Alors, pour commencer, je dirais que je ne vois pas le fantastique annoncé par la 4ème et par l'éditeur dans ce roman. Si vous cherchez un roman fantastique, passez votre chemin. Ensuite, je dirais aussi que je ne comprends pas vraiment la place de ce roman dans la collection Doado du Rouergue ; sur le site de l'éditeur, il est noté qu'il est destiné aux grands ados (+ de 15 ans), mais j'entends vraiment le choix de l'avoir passé en littérature générale dans sa version poche. J'ai avancé dans ma lecture en me disant que les personnes de la BDP qui l'avaient mis en rayon ado ne l'avaient potentiellement pas lu mais s'étaient arrêtées à la collection pour le mettre au secteur jeunesse. Sans qu'il soit complètement improbable qu'un ado choisisse de le lire, je crois qu'il aurait mérité sa place dans un rayon adulte (est-ce que ça viendrait de l'idée qu'à partir du moment où on a un personnage principal adolescent, le roman doit se classer en jeunesse /ado ?).
Bref ! Nous arrivons au village avec Célia, un peu paumés, comme elle, tous seuls. Elle vient réinvestir la maison héritée de sa grand-mère suite à des problèmes financiers, et sa mère doit la rejoindre un peu plus tard avec un camion de déménagement. Mais l'accueil du village semble conditionné par de vieilles légendes, inconnues de la jeune fille. Elle sera rapidement confrontée à l'antipathie des habitants et à une violence tantôt dissimulée, tantôt flagrante.
Petit-à-petit, dans les pas de sa grand-mère, dans l'amitié d'Alice (anagramme de Célia d'ailleurs), dans la dissonance et l'adversité face aux habitants, dans l'absence de sa mère, Célia lève le voile sur une vieille histoire si pesante que tout un village en porte encore les stigmates.
Dans mon souvenir, le style de
Stéphane Servant n'était pas aussi riche de détails. Dans le Coeur des louves, tout est disséqué à l'extrême : les souvenirs, les émotions, les descriptions… Ce qui peut en un sens amener beaucoup de poésie et d'introspection, mais aussi alourdir un peu le récit. Les cent dernières pages sont généreuses en termes d'actions et de révélations, mais le démarrage reste un peu long. Je n'irais peut-être pas jusqu'à dire « longuet » non plus, parce que cette minutie permet d'en apprendre énormément des personnages et de s'investir profondément dans l'intrigue. Mais je peux voir aussi que certains lecteurs s'y sont perdus, ce que je comprends tout à fait. Dans ses romans suivants, l'auteur fait l'économie de ce perfectionnisme, ce qui, je pense, permet une immersion plus simple du lecteur au coeur de l'intrigue sans la charger pour autant.
Encore une fois, j'ai retrouvé dans ce roman l'engagement sans faille de l'auteur. Récemment, je lis surtout des romans écrits par des femmes, et je suis souvent déçue des hommes qui écrivent des personnages féminins (il y a plein de choses qui ne s'inventent pas quand on est allié féministe). Ici,
Stéphane Servant a su, je trouve, saisir parfaitement la psychologie d'une jeune femme face au sexisme ordinaire mais aussi extraordinaire : les personnages les plus développés sont des femmes, et à chaque réaction de l'une d'elles, j'ai oublié qu'elles s'exprimaient sous la plume d'un homme. L'auteur semble particulièrement touché par la condition féminine et la violence des hommes. Dans ce roman, il pousse la cruauté de ces derniers à la démesure, du petit garçon au vieil homme, en considérant pour chacun ses motivations, son histoire, son environnement. Et le tout fonctionne si bien qu'il en devient terrifiant. Les personnages féminins aussi sont d'une intensité rare : ballottées par leur histoire, celle de leurs aïeules, elles sont vraies de leur folie, elles incarnent leurs traumatismes. Et il se dégage d'elles une force que seuls celles et ceux qui ont vécu des événements similaires peuvent connaître. Je suis donc, une fois de plus, soufflée par la sensibilité et la lucidité de
Stéphane Servant face à des problématiques que je n'aurais jamais crues crédibles dans la voix d'un homme.
L'engagement féministe de l'auteur n'est pas le seul qui se dégage de cet incroyable volume. Comme dans Sirius, ou Félines, on ressent aussi son attachement profond pour la Nature dans son ensemble. Les environnements du village, la forêt, la montagne, le lac, la grotte semblent être des personnages à part entière eux aussi. Forts de descriptions précises et riches, ils sont intrinsèquement liés aux humains, indissociables de leurs destins. Les animaux ont également une grande place dans le récit. le chien du vieux Tonio, les loups, et surtout les louves ont la part belle. Sont démêlées les questions de nature /culture, l'absence de notion de bien ou de mal, l'attachement et la loyauté des animaux. Il s'agit donc d'une Nature que les hommes cherchent à dompter, par le massacre des loups, la scierie, mais aussi avec laquelle les femmes savent vivre, dont elles connaissent les ressources et au coeur de laquelle elles se laissent danser avec les loups.
Ode à notre animalité, plaidoyer pour la figure de l'Étranger, fable écologique et sociale, le Coeur des louves m'apparaît comme un chef d'oeuvre. Il a parfois été dur à lire, parce que j'avais peur de la folie des hommes, mais souvent j'ai été curieuse de la suite, mise en appétit par des personnages et des paysages délicieusement construits. Je ne saurais trop que conseiller cette lecture. J'espère que sa sortie en poche lui procurera un nouveau souffle !
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