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sur 857 notes
Un très bon Shakespeare, une bonne découverte que je vous conseille vivement. Si le talent du dramaturge y trouve encore toute sa place, cette histoire est un peu différente des autres et c'est aussi bien. Pas de crise politique comme dans Jules César ou Antoine et Cléopâtre, pas d'histoire d'amour comme dans Roméo et Juliette, pas de trahison comme dans Othello ou MacBeth, juste une histoire familiale qui se rapprocherait davantage d'Hamlet.

Le roi Lear a trois filles. Sentant la fin de ses jours proches, il décide de partager son royaume à ses filles et de léguer ses pouvoirs. Afin de déterminer le partage, il demande à ses filles de décrire l'amour qu'elles portent à leur père. Si les deux aînées Gonéril et Régane se confondent en compliments exagérés qu'on perçoit aisément comme de l'hypocrisie, la benjamine Cordélia refuse de rentrer dans ce jeu impropre et se déclare plus simplement, plus sincèrement mettant en doute les paroles de ses soeurs. Elle subira alors la colère et la déception de son père et sera bannie tout comme l'ami fidèle du roi Kent qui essaya de s'interposer et de faire ouvrir les yeux à Lear. le roi de France attendrit par la sincérité de Cordélia la prend alors pour épouse.
Les ducs d'Albany et de Cornouailles, les maris des aînées héritent donc du royaume. Par ce geste, le roi Lear entend bien recevoir en échange le gîte et l'affection de ses filles. Mais celles-ci à la longue refuseront de s'occuper de leur père vieillissant aux manies et aux volontés exacerbées. le roi Lear, touché dans son amour propre se rend alors compte de l'erreur qu'il a commise et ne supportant pas l'attitude de ses filles va peu à peu sombrer dans la folie. Cependant il ne sera pas délaissé, Kent, déguisé, le suivra en tant que serviteur sous le nom de Caius et n'aura de cesse de le soutenir et de l'aider.
En parallèle, le duc de Gloucester vit aussi un drame familial. Edgar son fils légitime est manipulé par Edmond le fils bâtard qui désire par ce biais hériter du royaume. Edgar prend la fuite et perdra aussi la tête, se faisant appeler Tom. Kent, le roi Lear et Edgar finiront par se retrouver et traverseront ensemble les dernières épreuves qui nous amèneront aux dernières pages du livre.

Je vous ai sélectionné quelques extraits issus de différents actes qui je l'espère vous mettront l'eau à la bouche…. Bonne lecture :

Kent : Que Kent soit discourtois quand Lear est insensé ! Que prétends-tu vieillard ? Crois-tu donc que le devoir ait peur de parler, quand la puissance cède à la flatterie ? L'honneur est obligé à la franchise, quand la majesté succombe à la folie. Révoque ton arrêt, et, par une mûre réflexion, réprime cette hideuse vivacité. Que ma vie réponde de mon jugement ! La plus jeune de tes filles n'est pas celle qui t'aime le moins : elle n'annonce pas un coeur vide, la voix grave qui ne retentit pas en un creux accent.

Lear au duc de Bourgogne : Telle qu'elle est, messire, avec les infirmités qu'elle possède, orpheline nouvellement adoptée par notre haine, dotée de notre malédiction et reniée par notre serment, voulez-vous la prendre ou la laisser ?

Gloucester : Ces dernières éclipses de soleil et de lune ne nous présagent rien de bon. La sagesse naturelle a beau les expliquer d'une manière ou d'autre, la nature n'en est pas moins bouleversée par leurs effets inévitables : l'amour se refroidit, l'amitié se détend, les frères se divisent ; émeutes dans les cités ; discordes dans les campagnes ; dans les palais, trahisons ; rupture de tout lien entre le père et le fils. Ce misérable, né de moi, justifie la prédiction : voilà le fils contre le père ! le roi se dérobe aux penchants de la nature : voilà le père contre l'enfant ! Nous avons vu les meilleurs de nos jours. Machinations, perfidies, guets-apens, tous les désordres les plus sinistres nous harcèlent jusqu'à nos tombes…

Le Fou : Quelle merveilleuse parenté peut-il y avoir entre toi et tes filles ? Elles veulent me faire fouetter si je dis vrai ; toi, tu veux me faire fouetter si je mens. Et parfois je suis fouetté si je garde le silence. J'aimerais mieux être n'importe quoi que fou, et pourtant je ne voudrais pas être toi, mon oncle : tu as épluché ton bon sens des deux côtés et tu n'as rien laissé au milieu. Voilà venir une des épluchures.

Lear (parlant de Gonéril) : Ecoute, nature, écoute ! Chère déesse, écoute ! Suspends ton dessein, si tu t'es proposé de rendre cette créature féconde ! Porte la stérilité dans sa matrice ! Dessèche en elle les organes de la génération, et que jamais de son corps dégradé il ne naisse un enfant qui l'honore ! S'il faut qu'elle conçoive, dorme de fiel son nourrisson, en sorte qu'il vive pour la tourmenter de sa perversité dénaturée ! Puisse-t-il imprimer les rides sur son jeune front, creuser à force de larmes des ravins sur ses joues, et payer toutes les peines, tous les bienfaits de sa mère en dérision et en mépris, afin qu'elle reconnaisse combien la morsure d'un reptile est moins déchirante que l'ingratitude d'un enfant…

Le Chevalier : En lutte avec les éléments courroucés : le roi somme le vent de lancer la Terre dans l'Océan, ou d'élever au-dessus du continent les vagues dentelées, en sorte que tout change ou périsse. Il arrache ses cheveux blancs, que les impétueuses rafales, avec une aveugle rage, emportent dans leur furie et mettent à néant. Dans son petit monde humain, il cherche à dépasser en violence le vent et la pluie entrechoqués. Dans cette nuit où l'ourse aux mamelles taries reste dans son antre, où le lion et le loup, mordus par la faim, tiennent leur fourrure à l'abri, il court la tête nue et invoque la destruction.

Edgar (seul, constatant la folie du roi) : Quand nous voyons nos supérieurs partager nos misères, à peine nos malheurs nous semblent-ils ennemis. Celui qui souffre seul, souffre surtout par imagination, en pensant aux destinées privilégiées, aux éclatants bonheurs qu'il laisse derrière lui ; mais l'âme dompte aisément la souffrance, quand sa douleur a des camarades d'épreuve. Comme ma peine me semble légère et tolérable, à présent que l'adversité qui me fait courber fait plier le roi !... Il est frappé comme père et moi comme fils !... Tom, éloigne-toi ; sois attentif aux grands bruits, et reparais dès que l'opinion qui te salissait de ses outrageantes pensées, ramenée à toi par l'évidence t'aura réhabilité. Advienne que pourra cette nuit, pourvu que le roi soit sauvé !

Kent a envoyé une lettre à Cordélia, il demande au Chevalier si elle a été émue.
Le Chevalier : Pas jusqu'à l'emportement : la patience et la douleur luttaient à qui lui donnerait la plus suave expression. Vous avez vu le soleil luire à travers la pluie : ses sourires et ses larmes apparaissaient comme au plus beau jour de mai. Ces heureux sourires, qui se jouaient sur sa lèvre mûre, semblaient ignorer les hôtes qui étaient dans ses yeux et qui s'en échappaient comme des perles tombant de dieux diamants… Bref, la douleur serait la plus adorable rareté, si tout pouvait l'embellir ainsi. […] Alors elle a secoué l'eau sainte de ses yeux célestes et en a mouillé ses sanglots ; puis brusquement elle s'est échappée pour être toute à sa douleur.

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Lire le théâtre, c'est artificiel ? Qui est l'imbécile qui a pu proférer une telle sottise ? Lire Shakespeare, une déception ? Lire le roi Lear est essentiel (le voir aussi sans doute, bientôt, précipitamment). Ce tragique sans tragédie, sans la raison qui endort la tragédie française, les longs blabla de Racine et les idées fixes et datées de Corneille, ce rire au milieu de l'horreur, quand le fou suit le roi de ses railleries dont le comique même fait horreur, ce roi qui devient fou, ridicule à souhait, souffrant atrocement. Ce mélange que j'avais vaguement pressenti dans Othello infecte ici le langage lui-même, où les plus absurdes et drolatiques bavardages côtoient les plaintes les plus amères, les pénètrent pour les rendre plus cruelles encore, où les subterfuges les plus efficaces de la comédie servent le drame, l'élèvent à un rang plus universel, plus humain, plus léger que dans la pâle tragédie classique française.

Cette tempête de sentiments qui souffle sur scène (mais est-il possible qu'une scène de théâtre contienne tout ça ?), cette tempête de mots, toujours concrets, inattendus, destructeurs, désordonnés, justes, rafraîchit l'esprit engoncé. Il ne manque que le véritable spectacle. Quand même.
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Dans la Grande-Bretagne des temps préchrétiens, le roi Lear, âgé, décide de confier à chacune de ses filles une partie de son royaume, et de les départager par une joute verbale afin de connaître les sentiments qu'elles lui portent. Les deux aînées, par leurs flagorneries, parviennent à duper leur père. La benjamine, Cordélia, préfère jouer cartes sur table, et sa réponse déchaîne l'ire de son père qui la chasse et la déshérite. Et les conséquences seront dévastatrices. le théâtre de William Shakespeare est unique et inimitable. Toutefois, le Roi Lear, à bien des égards, se rapproche beaucoup de la tragédie grecque: nous retrouvons le topos de l'illustre famille royale confrontée aux écrasantes forces d'un destin implacable, et certaines scènes de la pièce rappellent Oedipe cheminant aux côtés de sa fille Antigone, et la mort de cette dernière... Je pourrais également vous parler des intrigues de cour qui viennent ponctuer la pièce, d'un fils illégitime complotant dans l'ombre afin d'évincé tous ses adversaires...

Mais quel portrait de souverain la pièce abrite-t-elle? S'agit-il d'un orgueilleux aveugle, et blessé? Ou bien d'une chute dans la folie? Je garde encore en mémoire la réplique du fou à Lear (acte I, scène 5): "Tu ferais un bouffon parfait". Car, au début de la pièce, Lear nous est présenté comme un être dont l'intellect s'étiole. "Qui est-ce qui peut me dire qui je suis?", demande Lear dans le premier acte. le fou (dont les paroles traduisent une certaine sagacité) lui répond: "L'ombre de Lear"!

Toujours est-il que le Roi Lear est une pièce somptueuse et stupéfiante: la traduction de François Victor Hugo rend justice à la plume de Shakespeare, malgré quelques exubérances. On est sidéré par les scènes qui se déroulent dans les plaines balayées par des ouragans; la pièce oscille entre la tragédie et l'élégie. William Shakespeare nous met en garde contre les dangers d'une ambition démesurée, d'un orgueil pernicieux qui pourraient nous conduire à notre propre perte. Je dois avouer que cette pièce se lit comme un roman: les coups de théâtre étaient si nombreux que je ne me suis nullement ennuyé! Je ne compte plus les fois où je suis resté sidéré devant l'évolution des personnages, les découvertes qui s'accumulaient et la tournure des événements. le lyrisme m'a surpris. Oui, oui, le lyrisme peut tout à fait se manifester au théâtre : que dire de ces tirades exaltées, de la prépondérance de la thématique de la filiation ? On pourrait même affirmer que la pièce est en avance sur son temps, car on y retrouve des éléments qui rappellent le courant Sturm und Drang (tempête et passion, en Allemand); le courant Sturm und Drang s'est développé en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle et prônait un retour à la nature au détriment de la civilisation. Et dans le roi Lear, lorsque nous assistons à la déchéance du roi, ce dernier va trouver refuge sur une lande hostile et isolée, tant la trahison de ceux auxquels il faisait confiance le dévaste. J'aime beaucoup l'idée de changer de décor au fils des scènes qui est typique de William Shakespeare : cela me donne la sensation que l'intrigue n'est pas figée.
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Un souffle puissance d'une ampleur évocatrice qui force l'admiration
Décrié sur le style tant sur la forme grandiloquente peut être jugée outrancière
Le roi Lear reste éternellement marquant
Remarquable par ses énonciations détaillées sublimes de tous les travers toutes les arrière pensées qui composent la trame de l'âme humaine
oscillant sur le balancier des sentiments et passions humaines les plus démesurées
Le roi Lear un traité de l'être humain hésitant entre raison et effervescence de ses passions
et ses conclusions
Shakespeare face aux démons qu il met en scène en les décrivant ET décryptant magistralement
Un maître une référence reconnue a priori à juste titre
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Le Roi Lear est un réel noeud d'interrelations. Un récit complexe sur la croissance et le déclin, la jeunesse et la vieillesse : la force et la faiblesse.
Car si la pièce nous offre des apogées de bonheur, de réconciliations mais aussi de traîtrise et d'irascibilité entre les générations, Shakespeare se refuse in fine à la morale en questionnant plutôt des sujets brûlants et intemporels : l'ancien et le nouveau, la notion de progrès, notre façon de vivre.
Le Roi Lear n'est donc pas seulement le récit tumultueux du déclin d'un roi Lear névrosé et singulier ; il est aussi celui de l'affaiblissement pluriel d'une jeunesse foudroyée et d'une vieillesse coléreuse.
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Une tragédie toute shakespearienne où plusieurs drames peuvent avoir lieu à peu de choses près et où certaines âmes humaines font preuve d'une bassesse inimaginable. "Ripeness is essential", l'essentiel c'est la maturation et on voit effectivement plusieurs personnages se transformer au cours de la pièce comme le Roi Lear ou Edgar qui acquièrent tous deux une grandeur d'âme touchante et permettent ainsi de s'unir à Kent, Cordélia ou Albany pour que le bien triomphe face aux traîtres
C'est une lecture qui impressionne, ça change des feel good - et ça fait du bien de lire une vraie oeuvre clé de la littérature ! Ce qui est aussi impressionnant c'est de se dire que cela a été écrit il y a plus de 400 ans, parfois j'avais l'impression que ça aurait presque pu être actuellement !
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Devenu vieux, le roi Lear décide de remettre son royaume et sa couronne entre les mains de ses filles. Seulement, au lieu de diviser son royaume en 3 parts égales, il veut doter chacune en proportion de son amour pour lui. Tandis que ses deux aînées lui offrent de grandiloquentes déclarations, la plus jeune, Cordélia, ne trouve rien à lui dire pour exprimer ses sentiments. le roi Lear la rejette et donne son royaume à ses deux autres filles. Mais celles-ci ne tardent pas à dévoiler leurs vrais visages. Humilié, le vieux roi préfère errer en pleine campagne par une nuit de tempête abominable plutôt que de se soumettre aux conditions de ses filles. Il n'a plus auprès de lui que le duc de Kent qui, bien qu'il l'ait banni pour avoir voulu prendre la défense de Cordélia, est revenu se mettre à son service sous une fausse identité, et un misérable mendiant qui est en réalité le fils du Comte de Gloucester, poursuivi à cause des fausses accusations de son frère bâtard. le roi Lear trouvera-t-il du secours auprès de Cordélia, devenue reine de France ?

De Shakespeare, je ne connaissais vraiment que La Nuit des Rois. On dirait bien que c'est sa pièce la plus légère car, en cherchant un titre pour le Challenge solidaire "Des classiques contre l'illettrisme", je ne trouvais que des tragédies toutes plus "tragiques" les unes que les autres. Avec son résumé de conte de fées, le roi Lear pouvait me faire espèrer une fin plus heureuse. J'en ai été pour mes frais. Même sans spoiler la fin, on peut dire que l'intégralité de l'intrigue baigne dans la tragédie. Les personnages pataugent dans le malheur, la trahison et la folie de la première à la dernière scène. le roi Lear n'est pas exactement le feel good book recommandé pour l'été.
Je ne suis pas très fan de tragédies en général mais le Roi Lear m'a laissé un sentiment de malaise que je n'ai pas éprouvé avec les quelques pièces de Racine que j'ai lues. Il me semble que, chez Racine, l'héroïsme des personnages fait mieux passer la pilule de la tragédie. S'ils meurent à la fin, c'est pour ne pas trahir leurs principes. Chez Shakespeare, en tous cas dans cette pièce, les personnages sont seulement victimes de la méchanceté, de la trahison... On sent une vision très déprimée et déprimante du monde et une interrogation sur les causes du mal (l'hérédité, les étoiles ?). Shakespeare donne l'impression que l'homme se traîne de désillusion en désillusion dans un monde abandonné de(s) dieu(x). En terminant cette pièce, je ne me sentais pas dans un état d'esprit des plus guillerets. Ce n'est sans doute pas le but de ce texte. Il est sûrement passionnant d'analyser le propos de Shakespeare dans le Roi Lear mais, comme "lecture plaisir", faut reconnaître qu'on peut trouver plus distrayant.
Une dernière remarque plus sur le style. Bien sûr, la traduction ne permet pas à nous autres pauvres lecteurs francophones de savourer la "langue de Shakespeare". Cela mis de côté, je n'ai pas été très emballée par le texte que je trouvais parfois confus et difficile à suivre. Surtout pour les élucubrations du fou, de Tom le mendiant ou de Lear lorsqu'il perd la carte.

En résumé : Une pièce qui commence comme un conte de fées mais qui finit dans le sang, les larmes et la folie. Une vision tragique et fataliste de l'existence humaine, parfaitement déprimante.

Challenge solidaire 2019 "Des classiques contre l'illettrisme"
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J'ai lu cette pièce juste avant d'aller la voir jouer par la troupe de la Comédie Française dans la mise en scène de Thomas Ostermeier. Je me suis dit que j'allais attendre de voir la pièce pour écrire une note de lecture plus riche, mais maintenant que je l'ai vue, j'ai du mal à faire la part de ce que je pense de la pièce et de la mise en scène et cette note s'avère plus difficile à écrire que prévu. Je me lance tout de même…
Il semble que cette pièce divise les amateurs de théâtre, certains en faisant un des chefs d'oeuvre de Shakespeare, d'autres la considérant comme une oeuvre mineure, voire ratée. Je suis très probablement dans le premier groupe. En effet, la lecture de cette pièce m'a happée, les personnages ne m'ont pas quitté, ni pendant le temps qu'a duré ma lecture ni depuis que je l'ai vue jouer il y a quelques jours. le trio formé par le roi Lear et ses deux filles aînées, Goneril et Régane, est voué à la catastrophe, on le sait d'entrée. Mais voir les forces qui conduisent à cette catastrophe se mettre peu à peu en place et l'étau se resserrer sur les personnages est glaçant et fascinant. A un moment, un des personnages, Gloucester je crois, dit que « Ce que les mouches sont pour des enfants espiègles, nous le sommes pour les dieux : il nous tuent pour leur plaisir. » (Acte IV, scène 1), mais ici ce n'est pas vrai : les personnages sont bien eux-mêmes les artisans de leur propre perte. Les raisons en sont multiples, et celles que j'ai vues à la lecture diffèrent de celles que Thomas Ostermeier a mis en avant dans sa mise en scène. On peut citer pêle-mêle la difficulté de se voir vieillir, les appétits de la jeunesse, la jalousie, le pouvoir, l'amour. Ostermeier met peut-être aussi en scène une sorte de fatalisme, mais qui est plus le fait d'une société patriarcale aux codes bien établis et, même si Goneril et Régane veulent exercer le pouvoir différemment, dès qu'elles sont confrontées à des difficultés, elles ne savent réagir qu'en fonction des codes qu'elles connaissent, elles n'ont pas encore la liberté nécessaire pour inventer cette autre forme de pouvoir qu'elles appellent peut-être de leurs voeux (bon, pour être honnête, cette analyse n'est pas de moi, c'est une des comédiennes qui en parlait, bien mieux que moi d'ailleurs, dans le petit documentaire qui nous était présenté avant la représentation).
Finalement, le Roi Lear peut apparaître comme une pièce assez simple, mais elle me semble plus complexe que le premier abord peut le laisser croire, et elle se révèle finalement riche d'interprétations multiples qui se complètent plus qu'elles ne se contredisent. Et autour de ce trio très sombre, gravitent des personnages qui assombrissent encore la pièce, avec Edmond notamment, caractère détestable et faux mais ressort indispensable de l'intrigue, et d'autres qui l'égayent un peu, comme le Fou qui dit des choses graves avec détachement et Kent, qui est capable de débiter des chapelets d'injures à côté desquels le capitaine Haddock n'est qu'un enfant de choeur.
Je ne sais pas pourquoi il est si facile de lire Shakespeare, mais voilà qu'encore une fois j'y prends un immense plaisir, en même temps que j'ai été captivée, que, moi qui ne suis ni dans l'âge tendre des filles de Lear et dans la décadence du Roi, je me suis identifiée tour à tour à chacun des personnages, outragée comme Lear qui perd son rang de son propre fait mais qui ne peut en supporter les conséquences, comme Goneril et Régane qui tentent d'imposer leur marque et leur pouvoir tout neuf, qui sont courtisanes quand il le faut, mais filles de leur père aussi, et qui tiraillées entre leurs devoirs divers et contradictoires, comme Goneril aussi lorsqu'elle se fait insulter par son père de la plus horrible des manières (quelle tirade que celle-là!), comme Cordélia aussi peut-être, trop fière pour dire des paroles sur commande et qui, du haut de sa fraîche jeunesse refuse les compromis. Entrée dans cette pièce sans beaucoup en savoir, j'en suis sortie secouée, et pleine des richesses d'une lecture (et d'une représentation théâtrale) magnifique.
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Il était une fois un roi vieillissant et fatigué qui avait trois filles, la plus jeune étant sa préférée. Il leur dit un jour : «  Mes filles, j'ai partagé mon royaume en trois, mais d'abord dites moi qui de vous trois m'aime le plus. » Les deux aînées, viles flatteuses, jurent d'un amour infini pour leur père chéri mais la cadette, « plus riche d'amour que de paroles » se refuse à toute flagornerie. Elle le paiera de son exil. Sitôt dotées de leur héritage, les deux soeurs se révèlent de vraies harpies qui refusent de s'occuper de leur vieux père...
Dans ce même royaume, un comte avait deux fils, l'un légitime l'autre batard , un gentil, un méchant. Et le comte se laisse embobiner par le méchant...

Raconté comme cela, le roi Lear a tout du conte de fée ! On peut même imaginer les trois soeurs sous les traits d' Anastasie , Javotte et Cendrillon !

Mais nous sommes dans une pièce de Shakespeare et le conte de fée vire très vite au drame. On retrouve alors les thèmes chers à l'auteur : tragédie familiale, rivalités, intrigues, ambitions, complot, trahison, folie et morts violentes. Une série de personnages détestables pour quelques innocentes victimes : ne survivront que deux personnages secondaires .

Je n'avais jamais vraiment lu cette pièce et ai pris un certain plaisir à cette peinture de l'ingratitude et l'hypocrisie humaine , des ambitions dévastatrices qui prennent le pas sur les sentiments filiaux ou familiaux, d'un monde où sincérité et fidélité ne paient pas .C'est très sombre et malheureusement intemporel ....

Challenge Solidaire 2021
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Magnifique tragédie. Inutile d'ajouter aux éloges sauf pour dire aux amateurs qu'il en existe une étonnante adaptation cinématographique transposée dans l'univers japonais. Il s'agit de "Ran", un des plus beaux films d'Akira Kurosawa. Pour ceux qui ne l'auraient pas vu. le film est très long mais de toute beauté. Photographie couleur de toute beauté; adaptation scénaristique magistrale.
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