Trois jours avant l'anniversaire de ses 16 ans, Kevin Katchadourian exécute, avec son arbalète, neuf personnes au sein de son école, la Gladston High School. Les victimes ont été attirées et enfermées dans le gymnase de l'école, sont retrouvées criblées de flèches, vidées de leur sang alors que l'auteur attend tranquillement la police.
Voici un roman que je ne suis pas prête d'oublier. J'ai découvert "
Il faut qu'on parle de Kevin" de
Lionel Shriver via Babelio. Les critiques des babelionautes m'ont donné envie de le rechercher et de le lire. Ce n'est pas une histoire vraie mais elle colle tellement à la réalité qu'elle pourrait prétendre au documentaire.
Tout le récit est une correspondance à sens unique entre une maman et son mari. Eva relate les dix-huit années d'existence de leur fils, l'auteur de la fusillade du collège. Avec lucidité, elle relate l'enfance de Kevin, revit étape par étape l'évolution de leur relation jusqu'au terrible JEUDI, dans l'espoir de comprendre, de pardonner et peut-être de se pardonner. Elle écrit à Franklin, son mari, papa de Kevin et lui raconte sa version.
A l'époque, Eva partage sa vie avec Franklin, amoureux dévoué qui n'imagine pas son avenir sans progéniture. Elle, la trentaine, directrice d'une collection de guides de voyages à succès, ne se sent pas attirée par la maternité. L'idée même d'avoir un enfant la terrorise.
A la naissance de Kévin, le rejet est bilatéral.
Kevin est un étrange bébé apathique, aux yeux froids et absents, hermétique à l'amour maternel. Eva, troublée par le rejet dont elle fait l'objet, ne parvient pas à aimer ce petit garçon. Elle s'oblige dans ses moindres gestes et paroles avec lui, agit avec son fils de façon raisonnée, jamais par amour. En retour, elle a un enfant amorphe, passif, qui se transforme progressivement en un être sournois et malfaisant. Les répercussions sont subtiles, l'enfant attire par son comportement la froideur et le rejet tandis que la mère empêche de son côté la complicité et la confiance.
L'enfant devient un adolescent introverti, inconsciemment surprotégé par un père qui cherche à compenser le manque d'attention de la maman. Eva le voit comme un manipulateur machiavélique, s'inquiète de sa maturité implacable, s'angoisse de la rage froide, contrôlée, monstrueuse qu'elle sent poindre sous son aspect normal et est la seule à mesurer sa perversité, sa méchanceté.
Accrochez-vous… En première partie, Eve se mue en narratrice égocentrique, dissèque ses sentiments à n'en plus finir. J'ai été exaspérée, faute de comprendre où elle voulait en venir. Ensuite, la tendance s'inverse, j'ai assimilé sa lente incarcération, pourtant consentie, dans cette vie abhorrée. Sa recherche sincère de toute explication, son approche psychologique approfondie, cohérente et acide. Chaque comportement est décortiqué, chaque mot écrit est disséqué, dans un souci d'authenticité totale, quitte à choquer... C'est une analyse minutieuse de sa relation avec son fils, mais aussi par contrecoup, de ses relations avec son mari et sa fille. Les questions sont claires, les réponses le sont beaucoup moins.
Qui n'a jamais cherché le mode d'emploi de l' « enfant » ? le métier de maman est difficile. Je sais que l'enfant peut, ne ressembler en rien à ce que l'on a imaginé, rêvé. Toute maman peut s'identifier à Eva, quelques soient ses relations avec ses enfants.
Lionel Shriver pousse le lecteur à s'interroger. La mère est-elle fautive ? L'enfant est-il naturellement mauvais ? le récit accumule les sujets tabous, égratigne l'idéal familial, fait réfléchir sur la parentalité, la maltraitance au sein de la cellule familiale, la malveillance enfantine, l'inné et le vécu, la culpabilité.
Le pire est dit sans verser dans les scènes meurtrières, sans propos obscène, sans description glauque, le rythme est donné par les raisonnements implacables d'Eva.
Seulement en fin de livre, on comprend jusqu'où ira Kevin dans la recherche passionnée de l'amour de sa mère. C'est terrible.
C'est un livre « coup de poing » dont on ne sort pas indemne.