AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,3

sur 1390 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Voici peut-être l'un des meilleurs livres que j'ai jamais lus.
Pourtant j'ai détesté chacune de ses pages.
Il n'y a pas une lueur d'espoir dans ce roman. Dès les premières pages, on sait que Kevin a assassiné ses camarades de lycée. La longue narration de sa mère conduit inexorablement le lecteur vers un épilogue auquel il ne peut échapper - et qui s'avèrera plus cruel encore qu'on l'avait imaginé.

Lionel Shriver ose briser deux tabous. le premier est celui de l'innocence de l'enfant. Les enfants commettent parfois des atrocités. On les en dédouane en en cherchant la cause dans une éducation inefficiente. Mais la cause est plus immédiate : ils font le mal car ils sont, parfois, mauvais.
Second tabou : l'amour maternel inconditionnel. Lionel Shriver ose décrire une mère qui n'aime pas son enfant, s'en méfie et mène avec lui une guerre de chaque instant.

Dans la société contemporaine où l'enfant est roi, ces sujets sont tabous. La littérature et plus encore le cinéma sont souvent englués dans une bien-pensance mielleuse sacralisant l'enfant et l'amour maternel.
"Il faut qu'on parle de Kevin" - magistralement porté à l'écran par Lynne Ramsay - constitue un puissant et douloureux antidote à ce conformisme bien-pensant.
Commenter  J’apprécie          18812
Ah Kevin, un sale petit bonhomme dès sa plus tendre enfance. du genre à crier sans cesse, à refuser le sein maternel, à faire fuir toutes les nounous, même les plus motivées. Disons-le sans détour : Kevin n'est pas aimable, Kevin a toujours été repoussant. Alors peut-on légitimement imaginer qu'Eva sa mère ait une quelconque responsabilité dans la folie meurtrière de son fils pour ne pas l'avoir vraiment désiré et s'être sentie incapable de l'aimer ? Son absence d'amour maternel est-il la cause de tout ou Kevin est-il né foncièrement mauvais ?

A ces questions Lionel Shriver tente des réponses en remettant en cause magistralement le rôle qu'une mère est censé remplir et les sentiments qui doivent l'animer, faute de quoi, elle risque de voir ses enfants devenir des détraqués. Pourtant chacun sait, ou presque, que l'amour maternel ne va pas toujours de soi. C'est un lien qui souvent se tisse (ou pas) au fil des jours. de même on sait certains enfants « indomptables », des graines de voyous, voir des incarnations du mal (cf Rosemary's baby), en dépit de toute l'affection dont ils sont l'objet.
Commenter  J’apprécie          790
Plus je lis Lionel Schriver, et plus j'apprécie son écriture si particulière. J'ai vraiment eu du mal avec ce style un peu alambiqué et assez froid au début, mais finalement je trouve qu'ici il sied parfaitement au propos : une mère qui échange par lettres avec son mari avec lequel elle ne vit plus, au sujet de leur fils Kevin. Un charmant ado de 18 ans qui a massacré deux ans auparavant neuf de ses petits camarades de classe et un employé de cafétéria passant malencontreusement dans le coin au mauvais moment. Pourquoi a-t-il commis cet acte monstrueux ? Parce que c'est un monstre justement ? Ou parce que c'est la mode à cette époque-là, en 1998 ? Effectivement au cours du roman on se souvient avec effarement de toutes ces tueries perpétrées par des adolescents, dont celle de Colombine...
Ou est-ce que sa mère est fautive, n'ayant jamais eu le fameux déclic censé se produire à la naissance de son enfant, provoquant l'amour maternel ? Tout au long du roman, elle s'interroge, se remémorant le long cheminement qui a abouti à ce fameux JEUDI 8 avril, le jour où la vie de la famille a basculé. Et pour commencer, l'avait-elle réellement désiré, cet enfant, ou n'a-t-il été qu'une concession au désir de son mari de fonder une famille ? Et ensuite, comment aurait-elle pu mieux aimer ce bébé braillard, aux apprentissages plus que laborieux (du moins en apparence), semblant se complaire dans la médiocrité mais d'une sournoiserie sans pareille ? Et osons le dire, profondément méchant et manipulateur, car oui, cela existe des gosses méchants de nature, même s'ils ne manquent de rien (à part peut-être d'un peu d'amour maternel, et encore, pas toujours) et n'ont aucune déficience visible.

Difficile d'éprouver de l'empathie envers un personnage, Eva, la mère et narratrice est extrêmement lucide sur son propre manque d'affect envers son fils, les seuls moments où elle se montre aimante c'est quand elle parle de sa relation avec Franklin, le mari auquel elle écrit. Même si elle elle semble avoir été bien plus maternelle avec sa fille Celia, j'ai été dérangée par le peu de protection qu'elle met en place après avoir vu ce dont Kevin était capable. Et ne parlons pas de Kevin, dont l'attitude est tellement abjecte, que ce soit avant ou après son crime, qu'elle en presque caricaturale. Il me semble quand même difficile à croire, après tous les signes avant-coureurs, qu'aucun proche ou médecin n'ait décelé le potentiel de nuisance de ce gosse. Mais aujourd'hui même, allumant ma radio, j'ai entendu une histoire tout aussi atroce, concernant aussi un jeune ayant déjà commis des actes criminels et soi-disant très surveillé (!)...donc plus grand-chose ne m'étonne, hélas.

J'ai été complètement fascinée par ce récit, plein de digressions (ce qui m'agace en général, mais pour le coup ça ne m'a pas gênée). Je n'avais pas du tout anticipé la fin, n'ayant pas vu le film ni lu beaucoup de critiques, j'ai abordé ce roman vierge de tout à-priori. Même si je n'ai pas du tout compati avec Eva, je n'ai pu m'empêcher de me demander comment j'aurais réagi à sa place, si par malheur j'avais eu un enfant comme Kevin. Qui sait, j'aurais peut-être eu un geste maladroit ? Ou je l'aurais vendu sur internet, entier ou en pièces détachées ? Mais non, je ne suis pas une psychopathe, moi ! Et mes enfants non plus, dieu merci !



Commenter  J’apprécie          5039
Trois jours avant l'anniversaire de ses 16 ans, Kevin Katchadourian exécute, avec son arbalète, neuf personnes au sein de son école, la Gladston High School. Les victimes ont été attirées et enfermées dans le gymnase de l'école, sont retrouvées criblées de flèches, vidées de leur sang alors que l'auteur attend tranquillement la police.

Voici un roman que je ne suis pas prête d'oublier. J'ai découvert "Il faut qu'on parle de Kevin" de Lionel Shriver via Babelio. Les critiques des babelionautes m'ont donné envie de le rechercher et de le lire. Ce n'est pas une histoire vraie mais elle colle tellement à la réalité qu'elle pourrait prétendre au documentaire.

Tout le récit est une correspondance à sens unique entre une maman et son mari. Eva relate les dix-huit années d'existence de leur fils, l'auteur de la fusillade du collège. Avec lucidité, elle relate l'enfance de Kevin, revit étape par étape l'évolution de leur relation jusqu'au terrible JEUDI, dans l'espoir de comprendre, de pardonner et peut-être de se pardonner. Elle écrit à Franklin, son mari, papa de Kevin et lui raconte sa version.

A l'époque, Eva partage sa vie avec Franklin, amoureux dévoué qui n'imagine pas son avenir sans progéniture. Elle, la trentaine, directrice d'une collection de guides de voyages à succès, ne se sent pas attirée par la maternité. L'idée même d'avoir un enfant la terrorise.

A la naissance de Kévin, le rejet est bilatéral.
Kevin est un étrange bébé apathique, aux yeux froids et absents, hermétique à l'amour maternel. Eva, troublée par le rejet dont elle fait l'objet, ne parvient pas à aimer ce petit garçon. Elle s'oblige dans ses moindres gestes et paroles avec lui, agit avec son fils de façon raisonnée, jamais par amour. En retour, elle a un enfant amorphe, passif, qui se transforme progressivement en un être sournois et malfaisant. Les répercussions sont subtiles, l'enfant attire par son comportement la froideur et le rejet tandis que la mère empêche de son côté la complicité et la confiance.

L'enfant devient un adolescent introverti, inconsciemment surprotégé par un père qui cherche à compenser le manque d'attention de la maman. Eva le voit comme un manipulateur machiavélique, s'inquiète de sa maturité implacable, s'angoisse de la rage froide, contrôlée, monstrueuse qu'elle sent poindre sous son aspect normal et est la seule à mesurer sa perversité, sa méchanceté.

Accrochez-vous… En première partie, Eve se mue en narratrice égocentrique, dissèque ses sentiments à n'en plus finir. J'ai été exaspérée, faute de comprendre où elle voulait en venir. Ensuite, la tendance s'inverse, j'ai assimilé sa lente incarcération, pourtant consentie, dans cette vie abhorrée. Sa recherche sincère de toute explication, son approche psychologique approfondie, cohérente et acide. Chaque comportement est décortiqué, chaque mot écrit est disséqué, dans un souci d'authenticité totale, quitte à choquer... C'est une analyse minutieuse de sa relation avec son fils, mais aussi par contrecoup, de ses relations avec son mari et sa fille. Les questions sont claires, les réponses le sont beaucoup moins.

Qui n'a jamais cherché le mode d'emploi de l' « enfant » ? le métier de maman est difficile. Je sais que l'enfant peut, ne ressembler en rien à ce que l'on a imaginé, rêvé. Toute maman peut s'identifier à Eva, quelques soient ses relations avec ses enfants.

Lionel Shriver pousse le lecteur à s'interroger. La mère est-elle fautive ? L'enfant est-il naturellement mauvais ? le récit accumule les sujets tabous, égratigne l'idéal familial, fait réfléchir sur la parentalité, la maltraitance au sein de la cellule familiale, la malveillance enfantine, l'inné et le vécu, la culpabilité.

Le pire est dit sans verser dans les scènes meurtrières, sans propos obscène, sans description glauque, le rythme est donné par les raisonnements implacables d'Eva.

Seulement en fin de livre, on comprend jusqu'où ira Kevin dans la recherche passionnée de l'amour de sa mère. C'est terrible.

C'est un livre « coup de poing » dont on ne sort pas indemne.


Commenter  J’apprécie          4612
Kevin, le fils d'Eva et de Franklin, à 3 jours de son 16ème anniversaire, le 8 avril 1999, massacre, au sein de son lycée, 9 personnes : 7 camarades de classe, une enseignante et le serveur de la cafétéria.
Eva tente de comprendre comment il a pu en arriver à une telle horreur ; elle le fait sous forme de lettres à son mari, dont elle est séparée, du 8 novembre 2000 au 8 avril 2001, dans une forme de thérapie. Nous n'aurons que le point de vue de la mère.
Eva retrace ce que fut sa jeunesse, le couple qu'elle formait avec Franklin lorsqu'ils n'étaient que tous les deux. Elle ne souhaitait pas d'enfant car sa vie était agréable, avec un travail épanouissant ; elle ne se sentait pas prête à être mère ; c'est pour faire plaisir à son mari qu'elle accepte l'idée d'un enfant alors qu'elle a 37 ans. Mais dès la naissance, un rejet mutuel s'installe : Kevin refuse le sein et Eva ne ressent rien pour Kevin alors qu'on le pose sur sa poitrine. Les 18 années qui suivent vont être un combat sans trêve entre mère et fils, le fils refusant tout ce qui vient de sa mère, détruisant tout ce qui peut être important pour elle, la mère ne pouvant créer de lien avec son fils, malgré des efforts, le prenant en grippe. Une petite fille, Celia, naît alors que Kevin à 7 ans et Eva ressent enfin le sentiment maternel. Mais rien ne s'arrange, bien au contraire. On sent, de façon palpable, la peur d'Eva, face à son fils, qu'elle sent et sait dangereux.

Ce livre est bien sûr un réquisitoire contre la violence de la société américaine, où chacun est libre de détenir des armes et de potentiellement s'en servir, et en particulier contre les massacres en milieu scolaire qui frappent régulièrement et dramatiquement les États-Unis. C'est aussi une peinture du système éducatif : le père est très à l'écoute, copain plutôt que père, permissif, la mère est plus stricte ; nous pénétrons également dans une école Montessori dont les faiblesses sont soulignées.
Mais c'est surtout un roman qui interroge sur ce qu'est être une femme, une épouse, une mère et ce qui est attendu dans chacun de ces rôles par la société. Il brise principalement deux tabous profondément ancrés dans notre inconscient : celui de l'instinct maternel inné et celui de l'enfant, par essence, innocent. Ce livre est une illustration fictionnelle mais convaincante d'une théorie défendue par Elizabeth Badinter : « on ne naît pas mère, on le devient » (ou pas), paraphrasant la célèbre formule de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». le sentiment maternel ne serait pas inné mais acquis, imposé subrepticement aux femmes par la société au fil des siècles.
Le personnage incarné par Eva est d'une sincérité absolue en ce qu'elle admet et revendique ses émotions, ses sentiments même si ce ne sont pas ceux qui sont attendus culturellement. Elle fait montre de beaucoup de courage car il est toujours douloureux d'aller à contre-courant de la pensée générale. Elle se révolte contre l'idée que, si quelque chose ne va pas chez un enfant, c'est forcément de la faute de la mère même si la culpabilité de n'avoir pas su communiquer avec son fils l'habite.
« Il faut qu'on parle de Kevin » est percutant, dérangeant et fait profondément réfléchir sur tous les sujets évoqués. L'écriture est brillante, l'ironie mordante, la fin est glaçante. J'ai eu du mal à rentrer dans le roman car le rythme est lent mais cependant nécessaire pour établir la profondeur psychologique des personnages, quelques longueurs auraient probablement pu être évitées, mais j'ai fini par me laisser happer par le destin d'Eva et je ressors secouée de ma lecture.


Commenter  J’apprécie          180
Je ne m'attendais pas à ce que l'histoire de ce roman soit si intense. Ce livre que j'ai dans ma PAL depuis au moins trois ans, me semblait moins sombre et pose la question de l'amour maternel. Que se passerait- il en cas de rejet de l'enfant pour sa mère. C'est une réalité qui arrive parfois. L'enfant rejette le sein de sa mère préférant le biberon. Et quand en plus, l'enfant n'accepte que son père pour le nourrir, comment doit réagir la mère. Elle va sans nul doute rejeter l'enfant à son tour, déçue de ne pas être aimée comme elle le souhaitait. Mais n'est- ce pas dû au fait que l'enfant a senti dans le ventre de sa mère qu'il n'était pas désiré. Telle est la question à laquelle personne ne peut réellement répondre. Encore que, des psy s'amusent bien à trouver des explications mais qu'en est-il vraiment ? Comment être sûre. Certes, l'enfant ressent les émotions de sa mère durant la gestation alors pourquoi ne pas imaginer qu'il réagit en rejetant celle qui ne le désirait pas.
Kevin, tout petit a des réactions bizarres. Il n'interagit avec personne, fait dans ses couches jusqu'à ses six ans, se comporte bizarrement en refusant tous les jouets, voire même en les détruisant. Plus tard, son comportement empire mais son père toujours prêt à prendre sa défense, ne voit rien. Seule la mère remarque l'étrange comportement de Kevin. Il refuse les câlins, les repas, très vite il va essayer de pourrir la vie de sa mère.
Mais comment expliquer qu'à l'âge de 16 ans, ce jeune garçon se décide à tuer 11 personnes avec un sang froid incroyable. Aucun regret, aucun remords. Est-ce la faute de ses parents ? Toute la question est là.
Bien que cette histoire soit purement fictive, j'en tremble encore. Durant toute ma lecture, je me suis sentie mal, détestant ce que devenais cet enfant, plaignant ces parents d'avoir engendré un tel monstre. Et pourtant, ce qu'il a fait n'etait- il pas un appel au secours, une désespérance d'amour sincère de sa mère
Commenter  J’apprécie          151
Je connaissais le sujet de ce livre avant de le commencer : un jeune garçon commet un carnage dans son lycée quelques jours avant ses 16 ans. Sa mère revient sur les événements :

Voici ma lecture sur 4 jours

JOUR 1
Une femme, Eva la cinquantaine, écrit à son mari Franklin.
Le sujet de ses lettres : essayer de comprendre comment Kevin, leur fils de 16 ans, est parti pour le lycée avec une arme et a tué 7 lycéens, un prof et une personne de la cantine. (2 survivants lors de cette attaque)
L'horreur absolue pour des parents ! Ceux de l'enfant assassin et ceux des victimes…

JOUR 2
L'auteur dissèque dans ses lettres ce qui s'est passé depuis le début «Tomber enceinte » jusqu'au jour fatal le fameux « JEUDI », et ce de façon chronologique.
L'écriture est très directe, très abrupte, sans concession : ni pour elle (elle n'a jamais réellement désiré cet enfant), ni pour son mari (mais on n'a pas la réponse du mari aux lettres) ni pour le fameux Kevin, ni pour la société américaine pour laquelle il est normal que les armes soient en vente libre …

L'auteure (Lionel Shriver est le pseudo de Margaret Ann Shriver) alterne des passages dans le passé et des compte-rendus des visites qu'Eva rend à son fils incarcéré.
Son fils dès la maternelle présente une incapacité à se sociabiliser …Pour la mère, elle craque et en arrive à le brutaliser : une seule fois lorsqu'il a 6 ans (et porte encore des couches !).

En parallèle, Eva en dit plus sur son enfance : sa mère est agoraphobe, son père est mort en 1945 avant sa naissance, la grande partie de la famille de son père est morte pendant le génocide arménien … Qu'elle est lourde cette enfance qui n'en était pas une : cela rend Eva plus compréhensible : comment aimer un fils alors qu'elle même a été si peu aimée…

JOUR 3
Le mari et père de Kevin est totalement absent. Je crois qu'elle écrit à un mort. Les face-à-faces en prison avec son fils sont très durs : on sent la haine qu'il a pour l'humanité entière et sa mère en particulier : il est fier de son carnage (et ne regrette qu'une chose que la tuerie de Columbine, qui s'est produite juste après, ait fait plus de morts que « sa tuerie à lui ».)

JOUR 4
Kevin est de plus en plus antipathique, jusqu'au carnage final, qui est raconté de façon presque chirurgicale …
Un livre effrayant…et marquant…
Kevin est-il né psychopathe ou l'est-il devenu parce qu'il a été négligé affectivement par sa mère et son père ? A chacun de se faire son avis…
Commenter  J’apprécie          143
Voilà un roman que j'ai découvert lors de son adaptation cinématographique : j'adore Tilda Swinton et l'affiche m'avait forcément tapé dans l'oeil ! le thème abordé dans ce roman n'est pas un sujet facile et en tant que mère, j'avoue qu'il m'attirait autant qu'il m'effrayait. Il m'aura fallu un peu de temps et une critique enthousiaste de Stoner pour me décider à le lire enfin !

Car dans ce roman, l'auteure se penche sur un thème difficile : les tueries commises par des adolescents, notamment aux Etats-Unis. L'angle d'approche de ces drames est dur et sans concession puisque le récit nous est conté au travers de lettres écrites par Eva Khatchadourian, la mère de Kevin, jeune adolescent incarcéré pour une de ces tueries. Et dans ses lettres, Eva va remonter le fil du temps, s'interroger sur le pourquoi de ce drame, les raisons, les signes, les erreurs. Elle se pose la question de ses sentiments à l'égard de son fils et sans doute n'a-t-elle pas été une mère aimante et attentive. Mais cela peut-il suffire à expliquer l'horreur commise par son fils ?

Je trouve que ce qui fait la force et l'intensité de ce livre est le style, la plume de Lionel SHRIVER. Je suis admirative de la façon avec laquelle l'auteure a été capable d'imaginer et de restituer les pensées et les sentiments d'Eva. C'est magnifiquement bien écrit, empli d'une tension sous-jacente mais bien palpable, d'une émotion juste et mesurée, d'une tristesse et de regrets à peine voilés. Je retiens la lucidité et l'honnêteté avec lesquelles Eva revient sur les faits, sur son histoire et celle de son fils, comment elle perçoit Kevin, la méchanceté, la duplicité, la froideur et l'intelligence qu'elle pressent en lui dès son plus jeune âge, sans toutefois aller jusqu'à imaginer ce dont il finira par se rendre coupable. Et à l'inverse, l'aveuglement dont est capable Franklin, le père, son impossibilité à croire Eva dans l'analyse de différents événements impliquant Kevin, dont certains sont pourtant graves. Tout cela est magnifiquement mis en scène par l'auteure qui livre dans cette série de lettres écrites par Eva, les souvenirs, les anecdotes, les incidents, les réflexions, le tout raconté avec le recul du crime commis par Kevin bien sûr, mais avec une sincérité et une clairvoyance émouvantes. La fin, la véritable fin se laisse deviner ; elle est évidemment terrible et ce qui en ressort est que Kevin n'était vrai et sincère qu'avec sa mère, et que c'était là, l'expression, la preuve de ses sentiments pour elle, de l'amour qu'il lui portait, malgré elle et peut-être même malgré lui.

Un seul petit bémol : le dernier tiers, voire le dernier quart, du livre m'a semblé un peu long et certains passages, très détaillés, un peu redondants, auraient pu être raccourcis sans nuire à la qualité et à l'émotion du récit. Mais exception faite de ce bémol, c'est un livre choc mené par une écriture puissante et vraie ; une lecture qui m'a un peu malmenée, beaucoup interrogée et qui m'a beaucoup plu ! Bref, c'est un livre à lire !
Commenter  J’apprécie          136
Aucun doute sur le sujet de ce livre : il s'agit de Kevin, qui, la veille de ses seize ans, a perpétré un massacre dans son établissement scolaire, comme il en existe malheureusement tant d'autres aux États-Unis. le récit qui nous est donné à lire et la dissection de ce qui a mené jusqu'au drame. Si le titre annonce la nécessité d'une discussion, en vérité, Eva, la mère de Kevin, et la seule à s'exprimer. le roman prend une forme épistolaire à sens unique, puisqu'il est constitué des lettres qu'Eva adresse à Franklin, le père de Kevin. Elle revient sur leur vie de couple et sur son expérience de la maternité tout en cherchant sa part de responsabilité.

Ce format donne une impression de voyeurisme, d'être plongé dans cette famille sans l'avoir vraiment cherché. Dans le même temps, il nous est difficile de lâcher le livre, car nous voyons l'histoire se tisser sous nos yeux. La connaissance du dénouement donne de la force au récit, elle amorce un mouvement inexorable et nous rend, nous, lecteurs, tout à fait impuissants. La construction du récit amène aussi des surprises, car Eva passe sous silence des éléments importants que l'on découvre au fur et à mesure de la chronologie du roman. Il est agréable de découvrir une histoire sans sentir que l'autrice nous donne toutes les informations dès le début d'une manière qui pourrait être artificielle.

Il faut qu'on parle de Kevin est profondément déstabilisant dans ce qu'il donne à voir. Lionel Shriver brise le tabou de l'instinct maternel en mettant en scène une héroïne qui regrette la naissance de son fils et n'éprouve aucun amour pour lui. Eva en vient à être jalouse et même haineuse vis-à-vis de Kevin. Une dynamique de rivalité se crée entre eux et va avoir des répercussions sur la relation de couple d'Eva et de Franklin. Car Kevin se comporte très différemment avec sa mère et avec son père. Quand il est cynique et méprisant avec la première, il est enthousiaste avec le second. Dès lors, Franklin, qui couvre son fils d'amour et projette sur lui son idéal de famille américaine, remet en doute la parole d'Eva même lorsque des accidents se produisent et que tout désigne Kévin comme coupable.

Ce dernier point est intéressant, car nous n'avons que le point de vue d'Eva qui revient sur des éléments passés. Nous pouvons raisonnablement penser que sa mémoire peut être défaillante et qu'elle peut mal interpréter des événements qu'elle lit inéluctablement sous le prisme du drame qui s'est produit. Cela amène un drôle de sentiment chez le lecteur vis-à-vis d'Eva, qui apparait au demeurant comme une narratrice peu sympathique, que ce soit par son caractère ou par ce qu'elle met sans concession sous nos yeux. Cela, ajouté à ce qu'implique la forme épistolaire que j'évoquais, m'a donné l'impression d'être partie prenante de l'histoire, comme si, petit à petit, je nouais moi-même une relation avec l'Eva narratrice. Car finalement, le propos n'est pas de savoir s'il faut ou non la croire et avoir une confiance aveugle dans son récit, il est avant tout question de son expérience personnelle. À ce titre, il ne fait aucun doute que le discours que pourrait faire Franklin serait bien différent, sans être pour autant ni plus vrai ni plus faux que celui d'Eva.

Lionel Shriver montre une certaine partie des États-Unis, notamment à travers le personnage de Franklin, américain intimement convaincu de la grandeur de son pays. Son aveuglement quant à la situation de son foyer — à moins que ce soit plutôt qu'il ne souhaite pas ouvrir les yeux — ne peut être vu que comme une critique d'une société bien en peine de prendre le problème des tueries scolaires au corps.

Le style de l'autrice est clinique. Les faits sont analysés et présentés un par un, ce qui fait écho à plusieurs passages dans lesquels Eva présente ce qui s'est passé ce JEUDI (pour reprendre sa tournure) comme étant le résultat d'une succession d'actions et d'événements distincts.

C'est de cette façon également que fonctionne Kevin, comme pour montrer que pour Eva, faire le chemin en arrière afin comprendre ce qu'il s'est passé nécessitait d'enter dans la tête de son fils. Il est présenté comme une personne froide et calculatrice dès sa naissance. C'est un garçon très intelligent qui met ses capacités au service de sa perversité et de sa malfaisance. Les dialogues entre sa mère et lui sont particulièrement percutants car on perçoit tout le contrôle qu'il peut avoir. À travers ce personnage, Lionel Shriver nous amène à nous questionner sur la part d'acquis et d'inné dans ce qui constitue un individu. Aurait-il agi différemment s'il avait reçu plus d'amour maternel ?

Il faut qu'on parle de Kevin est un grand roman. Il me restait en tête entre chaque session de lecture, et c'est encore le cas aujourd'hui, alors que je l'ai fini il y a quelques jours. L'autrice met indubitablement à mal son lecteur avec ce récit introspectif glaçant. Il a été adapté à l'écran par Lynne Ramsay en 2011 avec Tilda Swinton et Ezra Miller dans les rôles principaux.
Lien : https://monrockingchair.word..
Commenter  J’apprécie          120
J'ai été surprise par la finesse et la précision de l'analyse psychologique de l'auteure. En créant ses personnages, elle a eu à coeur de creuser leurs incohérences, leurs motivations, leurs peurs, leurs faiblesses, et Eva (la narratrice, mère de Kevin) décortique méthodiquement sa relation à son mari, s'efforce de remettre précisément chaque rouage à sa place.
Cela prend du temps. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce roman n'est clairement pas un roman d'action. Personnellement, j'ai été happée par cette analyse, m'y reconnaissant à plusieurs reprises (tout particulièrement dans Eva, mais dans les autres aussi). Eva, en effet, est quelqu'un de fier qui renie sa féminité et a besoin de se lancer continuellement des défis. C'est quelqu'un de cosmopolite, qui aime passionnément un homme très différent d'elle – et la chanceuse ! Il le lui rend bien… – une personne qui aime comprendre et qui ne juge pas sur l'instant, mais après avoir mûrement réfléchi et englobé tous les paramètres de la situation.

Comment un enfant se transforme-t-il en tueur ?
C'est la question à laquelle elle tente de répondre – en vain. Car le postulat de l'auteure, c'est qu'il y a une nature en chacun de nous. On nait avec, on vit avec et on meurt avec. L'expérience de la maternité d'Eva montre que Kevin était monstrueux dès la sa naissance, que chacun de ses gestes, de ses cris, était destiné à nuire… Et cependant, sa mère était la seule à se rendre compte du mal qui exsude de cette petite personne – et comme c'est elle qui raconte l'histoire, on éprouve cet affreux sentiment d'incompréhension. Cassandre des temps modernes.
Mais si elle se trompait ?
Elle y a pensé plusieurs fois : pourrais-je avoir tort et Franklin aurait-il raison d'aimer son fils ? Voire même : n'est-ce pas à cause de moi, de mon désamour que mon enfant est aussi mauvais ? le roman apporte une ébauche de réponse :
Je n'aime pas le postulat de ce roman. Pas du tout. C'est beaucoup trop fataliste pour me plaire, et je préfère me dire que chacun d'entre nous se construit jour après jour et peut choisir de ce qu'il devient – à condition de le vouloir et de faire des efforts. Tout le monde peut mal tourner, il suffit d'être mal entouré.
À l'inverse, tout le monde peut devenir quelqu'un de meilleur.

La raison pour laquelle j'ai mis une note si basse pour un livre que j'ai pourtant vraiment aimé, c'est donc à cause de ce point de vue fataliste auquel je n'adhère pas du tout (Kevin aurait pu naître dans n'importe quelle famille de n'importe quel milieu, cela n'aurait rien changé)

Malgré ses 600 et quelques pages, Il faut qu'on parle de Kevin se lit très bien et plutôt vite. Certaines réflexions trainaient un peu en longueur, certaines facilités étaient un peu trop présentes . Cependant, ce roman aborde des thèmes forts : l'amour maternel n'est pas une gageure, l'innocence des enfants ne les empêchent pas de commettre des actes terribles (sans aller jusqu'au meurtre, beaucoup rackettent, lynchent et violentent gratuitement leurs camarades), même l'amour le plus profond ne protège pas du divorce, même la meilleure éducation n'empêchera personne de mal tourner.
Un roman enrichissant, mais que je ne pense pas relire. C'est le genre d'histoire qui est meilleure quand on la découvre.
Commenter  J’apprécie          115




Lecteurs (3573) Voir plus



Quiz Voir plus

Freud et les autres...

Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?

3
4
5
6

10 questions
434 lecteurs ont répondu
Thèmes : psychologie , psychanalyse , sciences humainesCréer un quiz sur ce livre

{* *}