Philippe Musil ne disposait pas de la même échelle du temps que nous autres, simples mortels. Son unité de mesure était son classement dans le palmarès des meilleures ventes de roman. Il vivait le présent au moment de l'apogée, puis au fur et à mesure qu'il était doublé dans la liste par les parutions plus récentes, il voyait rétrécir le temps qu'il lui restait à vivre comme on regarde sa peau de chagrin, à ceci près que la sienne lui couvrait le corps et qu'il vivait dedans. il se sentait de plus en plus à l'étroit, étouffant graduellement, jusqu'à périr tout à fait quand il sortait du palmarès. il s'éprouvait alors décédé, par effet de miroir, ne parvenant à engendrer aucune nouvelle histoire qui tienne debout, et l'échec quotidien l'enfonçait plus profondément dans sa tombe virtuelle.
LES COUPS DE CŒUR DES LIBRAIRES - 11-02-2024