Fin octobre 1932. Maigret reçoit au Quai des Orfèvres la lettre anonyme suivante, transmise à toutes fins utiles par la Police municipale de Moulins (Allier). « Je vous annonce qu'un crime sera commis à l'église de Saint-Fiacre pendant la première messe du jour des morts ». Saint-Fiacre : là où il est né, le pays de son enfance heureuse, où son père, régisseur du Domaine des Saint-Fiacre, est enterré, où la Comtesse l'a financièrement aidé à faire des études. Un petit bourg, son église, son château, son auberge (Le commissaire y couche ; humble, il se refuse aux chambres du Domaine), une Comtesse (dont enfant il fut secrètement amoureux) aux bords de la ruine, ses habitants, son curé, son médecin ...
… et la Comtesse, le Jour de la Toussaint, décède de mort naturelle sur son prie-Dieu, son missel entre ses mains. Maigret, sur place, est perplexe jusqu'à ce qu'il découvre, entre les pages, une coupure de journal qui annonce le suicide de son fils. C'est une fausse nouvelle. On la savait malade du coeur… un crime quoi qu'on en pense.
La suite appartient au récit …
Maigret erre, nostalgique, sur les traces de son passé. Mais, de ce qu'il se souvient, rien n'est vraiment conforme à ses souvenirs, d'autant que le drame en cours perturbe ses perceptions. Saint-Fiacre, un microcosme social renouvelé, un huis-clos, recroquevillé sur lui-même au coeur d'un hiver précoce. Repli des choses et des êtres au coeur d'un froid à pierre fendre, chacun dans sa propre solitude.
Le fils, Maurice de Saint-Fiacre, un impécunieux arrogant, qui porte haut et beau mais a le cul bien sale ; qui, là-bas à Paris, dit t'on, mène grand train aux frais de sa mère ; qui, de temps à autre, dette d'importance aux trousses, revient pour racler ce qui reste de tableaux de prix, de livres rares, de mobiliers précieux, de bijoux de valeur ... Une voiture de sport, de gros cigares, de bons vins, des petites pépées grand luxe ; et, avec çà, pas un sou en poche et sa main dans celle des autres. Bref, un salopiot d'une espèce profondément détestable, aux pourboires généreux d'un argent qui n'est pas le sien. Un « fin de règne » grand teint, fieffé menteur, embobineur, m'as-tu-vu et fanfaron… mais qui, acculé, reprendra peut-être de dignes couleurs aristocratiques ? … de quoi se racheter une conduite ?
Le régisseur et son fils. Ce dernier est en quelque sorte l'alter-ego de Maigret (ce qu'il serait devenu s'il n'avait pas quitté la région). En ville, c'est un caissier de banque, derrière son comptoir, à jouer au Monsieur-cravate, bien propre sur lui, poli, disponible et obséquieux. Et qui, dit t'on, fut un brin opportuniste en étant, un temps, au mieux avec la comtesse …
Un curé d'antan, taiseux, engoncé dans sa foi, coincé par le secret lié à la confession, les péchés de chair de la Comtesse d'une part, la dilapidation de ses biens par les gigolos successifs de l'autre.
Un toubib de famille entre incompétence professionnelle, imprévoyance et parties de chasse.
L'amant de coeur de Madame la Comtesse. Celui en cours, escorté par son avocat ; n'est t'il pas le coupable idéal ? Critique d'art à défaut d'autre chose. Un être falot qui n'a que l'avantage de la jeunesse.
La Comtesse. Une veuve plus en mal d'affection qu'en désir de chair ; une bigote sur le tard, malheureuse et indifférente à tout (si ce n'est à son fils et ses problèmes d'argent). Une fortune qui ne lui est plus rien depuis que le comte n'est plus. Elle a couché sur testament, par devant notaire, le premier gigolo d'occasion venu ; dépit que tout cela.
L'affaire Saint-Fiacre est l'un des Maigret les plus connus (3 adaptations ciné recensées : avec Gabin, Jean Richard,
Bruno Cremer). L'un des plus atypiques, aussi. Maigret, nostalgique d'un temps enfui, ballotté par les évènements en cours, n'est pas en prise avec la réalité, son passé interfère avec le présent. Il délègue, sans s'en rendre vraiment compte, l'enquête officieuse à un suspect sur lequel semblent peser beaucoup d'indices.
L'épilogue se rapproche de la résolution d'une énigme de Cluedo : la bibliothèque, le revolver chargé sur la table à égale distance de six suspects tour à tour sur la sellette (l'un deux devra se suicider). Chacun lance ses dés, qui pour se disculper, qui pour accuser. Trois cartes dans la pochette noire attendent : l'église, l'article de presse et le meurtrier. Une autre façon de voir le roman est de considérer le roman comme policier façon
Agatha Christie.
Les dialogues du film de
Jean Delannoy (1959, avec Gabin) sont signés
Michel Audiard. Son empreinte linguistique particulière est palpable et reconnaissable. Gabin surtout, dans le rôle de Maigret, y trouve des propos ronds, chantants, alertes et percutants, métaphoriques. L'effet
Simenon s'efface. Perturbant.
L'impact de l'acteur sur le film est plus important que le personnage de papier sur le roman, il y prend plus de place. Gabin, lors de l'épilogue Cluedo, ne s'efface plus à l'arrière-plan, n'est plus le figurant dans l'attente mais le commissaire qui lève le voile et accuse, pousse une beuglante homérique à l'encontre du coupable ; lui qui ne jugeait jamais règle ses comptes, avec férocité. L'intention première de Delannoy fut, sans doute, d'offrir à Gabin un écrin idéal à son jeu d'acteur, un bouquet final éblouissant, un feu d'artifice qui libère dans la colère les tensions retenues face à l'ignominie d'un acte qui, à y réfléchir, est pleinement criminel.
Les deux fins sont différentes quant au sort réservé au meurtrier ; la Justice passera dans le film tandis que le roman renvoie aux seules consciences, offre une fin ouverte qui mortifie le Commissaire (mais que faire d'autre ?).
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