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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ecrit en 1933, après plusieurs mois passés en Afrique Equatoriale, le « Coup de lune » a pour cadre Libreville.
Simenon rompt avec la littérature coloniale ingénue : à Libreville il y a des insectes, des mouches tsé-tsé, des serpents et des léopards, des maladies tropicales, des « nègres » nus, l'alcoolisme des blancs « qui s'imposaient une vie âpre, parfois périlleuse, pour ce qu'en France on appelle avec emphase la mise en valeur des colonies. »

Un jeune homme, Joseph Timar, pistonné par son oncle, est nommé dans une concession de bois, dans la grande forêt. C'est un ingénu, il ne connait rien de la réalité à laquelle il doit faire face. A son arrivée à l'hôtel Central de la capitale du Gabon, le désenchantement fait suite aux drames. Il est, depuis le premier jour, « désemparé, vexé, triste, vidé, vanné, écoeuré ».
Un meurtre, qui s'ajoute à un autre.
Un mort de paludisme, fièvre dont vient de mourir le mari d'Adèle, la tenancière du Central.
Les avances de la veuve, nue sous une robe en soie noire.
Alors il boit, suivant en cela les coutumes.
Il boit, comme les autres colons, il est terrassé par le paludisme, fièvre alternant des sueurs intenses à un froid brûlant.
Timar a bien sûr cherché le dépaysement, « il l'avait cherché dans le pittoresque, dans le panache des cocotiers, la chanson des mots indigènes, le grouillement des corps noirs ». Or la réalité africaine lui fait toucher du doigt son incapacité à se sentir faisant partie, soit des officiels, qui le reçoivent pourtant bien avec verres de whisky, soit des coupeurs de bois ( le Gabon étant recouvert par une des grandes forêts primaires, où okoumés, ébène et acajou sont coupés , les billes de bois dérivent le long du fleuve jusqu'au port de Libreville, pour être chargés sur des bateaux, direction France. )Il ne se retrouve nulle part.

André Gide qui avait publié son « Voyage au Congo » en 1927 et considérait Simenon comme le plus grand écrivain de l'époque, lui écrira ensuite: « Je viens de relire le Coup de lune et je puis témoigner en connaissance de cause de la prodigieuse exactitude de toutes vos notations, je reconnais tout, paysages et gens ».
L'exactitude est telle que la tenancière de l'hôtel Central se reconnaît, fait un procès à Simenon pour diffamation, réclame la saisie des livres et le versement de   francs de dommages et intérêts.
Et perd le procès.
Simenon a écrit avec le coup de lune (ou coup de bambou), un grand roman sur les terres équatoriales, et en particulier, sur cette fièvre ravageuse qui vous abat et vous terrasse, « il avait eu froid comme jamais de sa vie il n'avait imaginé qu'on put avoir froid. Et pourtant, il était trempé des pieds à la tête, il claquait des dents, il criait ! », sur cette ambiance délétère de chaleur angoissante, sur la beauté absolue de la nature, sur les accords entre elle et les rameurs de pirogue. Paysages et gens sont brossés dans leur vérité, au plus près de la réalité gabonaise.
La fièvre aidant, puisque le palu vous met dans un état de semi-coma, Timar se sent partagé de façon aussi ambivalente envers l'Afrique et ses blancs alcolos, qu'envers la veuve / araignée en soie noire, dont finalement il comprend les manigances et les trahisons .
Presque, il va presque comprendre cette terre d'Afrique « qui jusqu'ici n'avait provoqué en lui qu'une exaltation malsaine. »
« L'Afrique, ça n'existe pas » conclut-il. Simenon, lui, aux slogans véhiculés par l'Exposition coloniale : « l'Afrique vous parle » avait répondu « L'Afrique, elle vous dit merde »


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Climax

Je n'ai pas fini de lire, rien à foutre
Je ne considère pas que c'est un chef d'oeuvre, rien à foutre non plus
Avis à tous les poivrots, les allumés, les endimanchés, en bref, nous tous qui
à un moment donné avons du mal à redescendre..
Nul besoin de revenir d'Afrique pour comprendre ce qu'il y a de profonde humanité dans la difficulté à quitter un état d'ivresse généralisé, de torpeur maladive pourtant entretenue avec soin afin que chacun puisse y succomber à nouveau comme le poison nécessaire d'idéaux plus alambiqués
(Je laisse sciemment de côté la question de la colonisation, de la misogynie.., elle suit tranquillement son cours de nos jours et à moins d'une sobriété absolue de notre part ne risque pas de devenir un jour inactuelle..)
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Selon mes sources, car j'ignorais l'expression jusqu'à ce que je la découvrisse chez Simenon, le "coup de lune" serait comparable, sous les latitudes équatoriales, à ce que nous nommons ici "coup de blues", aggravé cependant par la tendance à la boisson qui caractérise le comportement des Blancs en Afrique et en Extrême-Orient ainsi que par les attaques éventuelles de maladies telles que la dengue, par exemple. Un "coup de lune" peut donc se révéler très grave pour ceux qui en sont atteint, d'autant que, paraît-il, il vous tombe dessus sans prévenir, avec une brutalité qui vous met hors service pour pas mal de temps - si ce n'est pour le reste de votre existence.

Ce "coup de lune" en tous cas n'a pas manqué sa cible en choisissant le héros du roman, Joseph Timar, jeune homme de bonne famille (néanmoins appauvrie) mais ayant conservé d'excellentes relations, comme cet oncle qui, bientôt, deviendra sénateur. C'est d'ailleurs celui-ci qui lui a procuré un poste au Gabon, alors colonie française, dans une société nommée la Sacova. Tout frétillant et des étoiles plein les yeux et la cervelle, notre jeune homme qui, en plus, n'est pas mal de sa personne, a fait directo ses bagages pour Libreville où il va se retrouver complètement à la masse bien avant, il faut le souligner, d'avoir subi l'assaut de la terrible Hécate.

S'il nous dresse un tableau saisissant de l'Afrique coloniale française, des moeurs des Noirs comme celles des Blancs (il faut distinguer en effet les Noirs des villes de ceux qui vivent en forêt et sont demeurés plus "nature"), tout cela sur fond de paysages faussement urbanisés (à Libreville) et tout bonnement inquiétants mais merveilleux pour la brousse, le but premier de Simenon est bien sûr d'aspirer son lecteur au plus profond de l'abîme tapi en Timar, qu'il ignorait jusque là mais que va faire s'ouvrir, de plus en plus béant, le drame qui se joue au coeur du bar-hôtel tenu par Eugène et Adèle Renaud, lesquels ont déjà quinze ans de Gabon derrière eux ...

... ainsi qu'un passé agité puisque, dans sa jeunesse et en métropole, Adèle a "travaillé" pour le bénéfice d'Eugène, qui était son souteneur avant de devenir son mari. le couple a déjà fait une première fortune dans les coupes de bois du Gabon, fortune qu'il a claquée de concert en quelques mois dès son retour en France. Philosophes et jouisseurs, ils ont ensuite repris le chemin de l'Afrique et se sont remis au travail. de son passé de prostituée, Adèle a conservé l'habitude de coucher avec les uns et les autres, mais surtout avec les notables du coin : procureur, commissaire de police, gouverneur. de temps à autre, elle s'offre, et c'est bien naturel, un petit plaisir. Et c'est ainsi qu'elle se permet une fantaisie avec Timar, le lendemain-même de son arrivée. (Reconnaissons cependant que le jeune homme lui force un peu la main, si vous voyez ce que je veux dire ... )

Adèle, sa chair encore jeune et plaisante, son impassibilité apparente, son air supérieurement blasé de femme qui en en a trop vu, tout cela va se muer, pour Timar, en une véritable obsession. Il aime Adèle sans parvenir à analyser ses sentiments, il ne peut détacher d'elle son regard lors de cette fête où Thomas, l'un des boys noirs, est assassiné par balle, il la soupçonne, il la soutient, il la console lors de la mort prématurée d'Eugène, enlevé par une hématurie galopante et puis, tout naturellement, il prend la place du mari dans le lit et dans le bar. le pire, c'est que, en même temps, il hait aussi Adèle et la méprise.

La population locale blanche s'amuse plus ou moins de la situation - on peut penser qu'il en est de même pour les Noirs que Simenon nous décrit pourvus d'un sens indéniable de l'humour - mais s'en inquiète aussi. Car c'est Adèle qui, parce qu'il la faisait chanter, a abattu Thomas. Cela, tout le monde le sait ou le soupçonne. Mais les autorités répugnent à accuser une femme avec qui elles ont pris régulièrement leur plaisir, la classe moyenne, comme celle des coupeurs de bois, estime énormément le caractère bien trempé d'Adèle - quant aux Noirs, ma foi, s'ils savent quelque chose - et tout se sait dans de si petites communautés - ils préfèrent détourner les yeux, à l'exception compréhensible de la famille du boy assassiné qui, elle, exige réparation.

Une affaire bien embarrassante ... Heureusement, Adèle, qui est loin d'être une sotte, liquide son bar-hôtel pour acheter une concession de bois précieux que l'oncle de Timar leur a permis d'obtenir sans trop de problèmes et ils prennent la route. C'est là que le jeune homme, devenu en quelques mois un parfait alcoolique comme la majeure partie des Blancs qui l'entourent, subit sa première "crise" de dengue - c'est là que le "coup de lune" s'abat sur lui ...

Que les âmes sensibles ne s'inquiètent pas trop pour Timar : celui-ci rentrera sain et sauf en France mais complètement démoli par une Afrique, des colons et des Noirs qu'il n'est pas parvenu à comprendre et qui ont, en conséquence, été dans l'impossibilité de l'intégrer. Si ni Adèle, ni ses amis et bien entendu pas un seul Noir, sauf le boy de service pour les bagages, ne l'ont accompagné sur le quai de Libreville où l'attendait un paquebot en route vers la métropole, le "coup de lune", lui, n'a pas eu de ces délicatesses : il a embarqué avec Joseph Timar, et se prélasse sur le pont-promenade en attendant de faire de même du côté de la Charente. Timar, assurément, qu'il épouse ou non sa cousine Blanche, de Cognac, et qu'il mène désormais - ou refuse de mener - la vie tranquille que l'on coule en province, Timar en a pour toute sa vie avec son "coup de lune." Ses ressorts sont brisés, il a laissé en Afrique une bonne partie de sa raison aux bénéfices d'un état paranoïaque qui le fait maintenant se parler tout seul, ou alors ricaner sinistrement, tandis que les passagers le considèrent avec, au choix, tristesse, affolement ou ironie mauvaise.

L'Afrique a "eu" Joseph Timar. Mais que les chantres de l'anti-colonialisme actuel ne triomphent pas trop vite Merci ;o) : quand j'écris l'Afrique, je veux dire que, à Libreville, ils s'y sont tous mis pour le faire trébucher, Blancs, Noirs, colons et colonisés, tout le monde était d'accord. Timar était trop différent : il n'était fait ni pour le pays, ni pour le continent, ni pour tous ces gens-là qui, eux, "savent", les uns parce qu'ils sont nés là-bas, les autres parce qu'ils ont fini par apprendre. Mauvais, très mauvais élève, Joseph Timar n'a rien voulu savoir et on l'a mis à la porte, avec ce "coup de lune" qui le rendait bien trop dangereux pour l'avenir de tous.

Mais, entre nous, un "coup de lune", ça vaut mieux qu'une balle de revolver, pas vrai ? ...

Un roman lucide, cynique, ironique, qui ne fait la part belle à personne. Simenon dénonce sans complaisance le comportement des Blancs mais, en parallèle, démontre qu'une conscience peut toujours s'acheter, même si elle vibre sous une peau noire. Ce n'est pas le colonialisme le responsable : c'est humain, voilà tout. Simenon ne donne pas de leçon - il a horreur de ça : il établit un constat. Désabusé, soit et qui ne plaira pas à tout le monde, mais d'un réalisme redoutable. ;o)
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« le coup de lune » est un roman fort, surprenant et exotique présentant une vision hideuse du colonialisme se traduisant par le malaise permanent du protagoniste de l'histoire, incapable de s'adapter au climat et aux moeurs des Blancs exploitant en toute décontraction des populations noires asservies.

Ce malaise moite est palpable pendant toute la durée du roman qui se termine par le basculement inévitable dans la folie lorsque le héros tente de s'interposer dans un système trop puissant et bien organisé pour lui.

Un Simenon puissant et courageux qui évoque par instant le « Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad par son climat tropical vénéneux…
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L'ambiance intestine du monde des colons

On pourrait croire que le cadre des romans de Simenon est invariablement gris et humide, étroit et désespérément terne.
"Le Coup de lune" balaie ces préjugés.
Dans ce roman, l'action se déroule au Gabon, dans la lumière aveuglante et la chaleur étouffante.
Joseph Timar ne connaît rien de l'Afrique quand il débarque à Libreville, pressé de prendre ce poste à la compagnie coloniale Sacova, obtenu par l'entremise d'un oncle influent.
Les choses se présentent rapidement assez mal : le poste est occupé par un vieux fou qui refuse de partir et le bateau qui pourrait le conduire sur place après 10 jours de voyage, est inutilisable.
Alors, il décide de rester en ville, à l'hôtel Central, lieu de rencontre des célibataires du coin. Il faut dire qu'au réveil de sa première nuit passée là-bas, Adèle, la patronne sensuelle, nue sous sa robe de soie noire, est venue lui souhaiter la bienvenue de manière on ne peut plus accorte.
Alors il paresse, lisant et relisant les magasines, jouant au billard, écoutant les coupeurs de bois exposer la meilleure façon de frapper les ouvriers indigènes…
l'assassinat de Thomas, l'un des serveurs noirs du Central, suivi du décès du mari d'Adèle va bouleverser la petite vie coloniale.
Une enquête est ouverte, Adèle est soupçonnée, mais les Français sont solidaires. Timar lui,
amoureux obsédé par Adèle, s'enfonce dans la brousse et dans le délire.

Avec ce roman, Simenon poursuit son chemin vers ce qu'il considère comme la grande littérature, hors Maigret donc. "Le Coup de lune" doit être rapproché des "Fiançailles de Mr Hire" qu'il suit et de "La Maison du Canal" et "L'Ane-Rouge", qu'il précède.

Simenon maintient encore une légère ambiance de mystère (qui a tué l'employé d'Adèle ?), mais s'intéresse surtout au fonctionnement du microcosme colonial. Timar est en décalage constant avec ce milieu où se côtoient personnalités officielles (commissaires, juges…) et laissés pour compte (les coupeurs de bois, les marginaux...). Il est une sorte de greffon qui ne prend pas, un homme faible et romantique qui a rêvé d'une Afrique qu'il ne retrouve pas. Car elle n'existe pas.

Comme toujours, le style est remarquable et le roman contient des passages d'anthologie, notamment quand les deux mondes se croisent au fond des cases dans une atmosphère quasi surréaliste, assommés de chaleur et d'alcool. Économie de mots, mais précision maximale.

Un grand Simenon. Un de plus.
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Encore un Simenon @livredepoche... Pas un Maigret... Un livre brutal sur l'Afrique coloniale... Sur Libreville au Gabon... On y parle des Blancs tout puissants, des africains qu'on traité comme des moins que rien... D'une jeune français Joseph Timar qui part faire fortune et qui reviendra en France à moitié fou.... Des crimes commis par des Blancs restes impunis....De la métropole qui s'imagine l'Afrique comme un paradis exotique... Des coloniaux désabusés et alcooliques... Des couleurs de bois revenus de tout... C'est noir, c'est sombre... Peut être un peu raciste mais c'est aussi un témoignage de ce que fut l'Afrique coloniale... A lire !
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Le Simenon reporter nous transporte au Gabon.

Le Simenon anticolonialiste nous raconte une histoire édifiante, terrifiante, à décourager tout désir d'émigration.

C'est un petit texte qui force l'admiration, c'est percutant, troublant.

Du grand Simenon.
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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