Epigraphe
«C'est une chose étrange que l'absence. Elle contient tout autant d'infini que la présence. J'ai appris cela dans l'attente.»
Christian Bobin -
Lettres d'or
Cet épigraphe est vraiment le reflet du beau livre de
Marie Sizun «
Plage»
Un livre tout en nuances de bleu et gris, où le vent fait courir les nuages et alterner lumière et ombre.
Anne, bibliothécaire dans le VIè arrondissement à Paris, vit solitaire dans un petit studio rue Christine. Elle attend sur une
plage bretonne François dont elle est la maîtresse, prof de philo au lycée
Montaigne, qui doit la rejoindre en fin de semaine.
Le premier chapitre débute un dimanche, le 26 juillet fête de Sainte Anne,
et chacun des chapitres suivants sera la relation d'un jour de la semaine qui sépare Anne de celui qu'elle attend.
Ce premier jour, elle prend plaisir au contraste entre elle et le monde qui l'entoure et qu'elle observe avidement, amusée, tentant de deviner les vies qu'elles croisent sur la
plage, à l'hôtel. Elle se remémore sa rencontre avec celui qu'elle attend avec un plaisir gourmand. Cela fait six mois qu'elle le connait. Elle se sent bien dans le cocon de son attente.
«Autour de moi les gens vont et viennent. Parlent. Rient. Ils ne savent pas que c'est à toi que je pense, couchée sur le sable, les yeux clos, absente, partie. le bruit des conversations, la rumeur de la
plage, le petit bruit des vagues, le claquement au vent des fanions fixés aux mats des bateaux échoués, tout cela comme une musique protectrice qui m'enveloppe, m'isole, m'emmène près de toi.» p 35
«Ici, je suis celle qui t'attend. Et uniquement celle-là. Ici je suis ton attente»
Tout ce qu'elle fait, elle le fait à travers l'absence, elle fait corps avec cet absent qu'elle rêve et recrée pour elle seule.
Elle songe à des rencontres manquées, revit des scènes de son enfance, «Comme elle est étrange, cette
plage où le passé affleure dans un présent incertain. Cette
plage où le temps réel n'existe plus.» p 61
Elle est bercée par la mélodie des voix tantôt lointaines ou plus rapprochées «apportées par le vent, déposées par ceux qui passent»
Dans une alternance de joie et de malaise, elle envie la liberté des autres, leur vie après avoir savouré la spécificité de la sienne.
Ces vies qu'elle observe la ramènent alternativement vers son enfance ou vers celui qu'elle attend, elle revoit son père qu'elle admirait et aimait, sa mère détestée, rivale qu'elle avait détrônée dans le coeur du père volage. Vis à vis de la mère, fermée sur son chagrin de femme trompée, aucune excuse. le père, lui, à ses yeux représente, la liberté l'aventure, le rêve
Elle souhaite être la maîtresse, «la maîtresse d'amour», celle qui est aimée, mystérieuse, pas comme celle que fut sa mère.
Tout est à fleur d'eau, de ciel, de peau. L'humeur d'Anne est changeante comme la meteo, comme la mer, le vent qui fait courir les nuages
Marie Sizun avec son don d'observation aigüe des êtres et des choses qu'elle sait effleurer de sa plume avec douceur mais aussi en les égratignant, nous fait partager chaque jour de cette semaine d'attente dans sa légèreté et sa pesanteur. Une semaine qui réserve quelques belles surprises.