Avoir envie, c'est déjà céder.
Il n’a pas fermé les volets et alors qu’elle se glisse dans le lit, Adèle peut voir les traits apaisés de son mari. Il lui fait confiance. C’est aussi simple et aussi brutal que cela. S’il se réveillait, verrait-il sur elle les traces que cette nuit a laissées ? S’il ouvrait les yeux, s’il se rapprochait d’elle, sentirait-il une odeur suspecte, lui trouverait-il un air coupable ? Adèle lui en veut de sa naïveté, qui la persécute, qui alourdit sa faute et la rend plus méprisable encore. Elle voudrait griffer ce visage lisse et tendre, éventrer ce sommier rassurant.
Elle l’aime pourtant. Elle n’a que lui au monde.
L'amour, ça n'est que de la patience. Une patience dévote, forcenée, tyrannique. Une patience déraisonnablement optimiste.
(p. 228)
"L'amour, ça n'est que de la patience. Une patience dévote, forcenée, tyrannique. Une patience déraisonnablement optimiste."
On ne trahit pas celui qui vous a pardonné.
Je ne te croirai plus jamais. Plus jamais.
Elle ne réveille personne. Elle s’habille dans le noir et ne dit pas au revoir. Elle est trop nerveuse pour sourire à qui que ce soit, pour entamer une conversation matinale. Adèle sort de chez elle et marche dans les rues vides. Elle descend les escaliers du métro Jules-Joffrin, la tête basse, nauséeuse. Sur le quai, une souris court sur le bout de sa botte et la fait sursauter. Dans la rame, Adèle regarde autour d’elle. Un homme dans un costume bon marché l’observe. Il a des chaussures pointues mal cirées et des mains poilues. Il est laid. Il pourrait faire l’affaire. Comme l’étudiant qui tient sa copine enlacée et lui dépose des baisers dans le cou. Comme le cinquantenaire debout contre la vitre qui lit sans lever les yeux vers elle.
Elle ramasse sur le siège en face d’elle un journal daté d’hier. Elle tourne les pages. Les titres se mélangent, elle n’arrive pas à fixer son attention. Elle le repose, excédée. Elle ne peut pas rester là. Son cœur cogne dans sa poitrine, elle étouffe. Elle desserre son écharpe, la fait glisser le long de son cou trempé de sueur et la pose sur un siège vide. Elle se lève, ouvre son manteau. Debout, la main sur la poignée de la porte, la jambe secouée de tremblements, elle est prête à sauter.
Un enfant unique, c’est trop triste. Quand je vois le bonheur que c’est d’avoir un frère ou une sœur, je ne pourrais jamais en priver mes enfants.
Non ce n'est pas moi. C'est quelqu'un d'autre qui souffre.
Moi, je n'aurais pas pu souffrir autant.
(Anna Akhmatova - Requiem)
Pas une seule fois, ils n’ont fait chambre à part. La nuit, Adèle écoute son souffle, ses ronflements, tous ces bruits rauques qui font la vie à deux. Elle ferme les yeux et se fait toute petite. Le visage au bord du lit, la main dans le vide, elle n’ose pas se retourner. Elle pourrait déplier un genou, tendre le bras, faire semblant de dormir et effleurer sa peau. Mais elle ne bouge pas. Si elle le touchait, même par inadvertance, il pourrait se mettre en colère, changer d’avis, la jeter dehors.