La trouvaille de Pierre Sky aurait pu être motivée par l’envie d’en découdre avec l’analyste ou par une méfiance importante. Je me souviens d’une patiente qui s’inquiétait de savoir comment nous pourrions travailler si elle me mentait sans cesse. La réponse était simple : de la même manière que si elle ne mentait pas, en faisant confiance à sa parole et à ce que nous ressentions en séance. Le mensonge ne protège ou ne prive personne de son inconscient ; il me fait penser à un paravent plus ou moins transparent. C’est pourquoi je ne comprends pas les analystes qui le déconseillent, voire qui pensent l’interdire à leurs patients. De quoi ont-ils donc peur ? D’être trompés ? Mais au nom de quoi priverait-on un patient du recours à la tromperie ? La chose se situerait-elle hors du champ des activités humaines ? Elle est surtout moins gratifiante pour l’analyste que les manifestations d’amour dont il est plus ordinairement destinataire. J’ai moi-même eu affaire à une analyste qui déplorait que je lise trop de psychanalyse – c’est assez courant. Mais si du mensonge peuple une séance, ou des livres, c’est qu’une nécessité se manifeste. C’est de la peine que se donne le patient pour nous faire vivre quelque chose de précis.
Il arrive qu’une chanson parle à notre place, avec bien plus de précision quant aux émotions qui nous habitent alors, bien plus d’a-propos que nous n’en sommes capables. Elle nous cueille. Pierre Sky l’explique très bien dans son livre, elle nous surprend à l’endroit de nous-mêmes où nous ne l’attendons pas, même quand nous savons d’expérience qu’elle va nous prendre. C’est la même chose pour les poèmes. Quand Jack Spicer évoque ici Billy the Kid, ou un Billy the Kid mythique, il parle aussi directement de ce que je veux. Et ce que je veux, en l’occurrence, c’est vous. Parler de sa. Souffrance.
Quel stigmate portait donc Pierre Sky dans sa cavité orbitale ? Qu’avait-il à l’endroit où le triste Billy du poème ne possède plus qu’un trou dansant ? Je crois qu’il avait l’œil truffé d’images de danse et d’images de chant.
Un livre peut en cacher – ou en dévoiler – un autre. Si je brosse ici le portrait d’un homme de presque quarante ans que je connais pour l’avoir reçu à mon cabinet trois fois par semaine pendant dix mois, je le fais en miroir de son livre à lui, Pierre Sly, livre publié en avril 2019 chez le même éditeur que celui-ci sous le titre suivant : Chant-contre-chant – Fonctions de la chanson dans les films de Nanni Moretti. Pour être précis, j’ai composé après-coup, à partir de mes notes et de mon souvenir des séances, le livre dont vous tournez les pages. Il ne fournit pas une introduction au travail de Pierre Sky ; il fonctionne plutôt comme le témoignage d’un cheminement commun.
Sébastien Smirou Un temps pour s'étreindre
Sébastien Smirou - Un temps pour s'étreindre - éditions POL : Où Sébastien Smirou tente d'expliquer comment a été écrit "Un temps pour s'étreindre" (éditions POL) et parle notamment du "sandwich" de Georges Sand écrit pour Alfred de Musset et du "sandwich double", de "Burger King" et de "L'Ecclésiaste", des contraintes et du temps, de la forme qui est le sens, de la logique et du rythme, de la construction du poème et du lecteur, des trois poèmes en un, et lit "Le Mélange des genres", à l'occasion de la parution de "Un temps pour s'étreindre" aux éditions POL, à Paris le 11 mai 2011
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