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sur 139 notes
Ecrite par une personne transgenre noire américaine, cette science fiction magistralement dépeinte nous raconte l'histoire d'Aster.

Dans un vaisseau spatial colossal, l'humanité cherche une terre plus hospitalière que celle, en ruine, qu'elle a quittée il y a fort longtemps. A l'intérieur, des ponts se sont organisées, comme autant de strates qu'il y a de lettres de l'alphabet. Avec en bas, les plus pauvres et les plus noirs et en haut les plus riches et les plus blancs.

On suit les aventures de cette femme à la peau matte notamment sur le pont Q. Celle-ci sait soigner et connaît plusieurs formes de sagesses anciennes que sa mère, décédée, et sa tante (cuisinière entre autres) lui ont transmises. La dédicace qui précède le premier chapitre prend son sens très vite : "A ma mère et à sa mère et ainsi de suite jusqu'à Eve". de générations en générations les femmes vont imaginer des solutions pour contrer le racisme, la violence, l'ignorance.

En créant une langue remplie de secrets, voire même une infinité de langues qui se mélangent d'un pont à l'autre, le roman nous fait entrer dans une profondeur poétique incroyable. Dans le même temps, la violence est omniprésente et celle que les hommes infligent aux femmes est quotidienne. Les plus pauvres d'entre elles travaillent aux champs, cultivables grâce à la chaleur faiblissante d'un petit soleil artificiel dont l'énergie diminue progressivement. Et tout en bas, il fait un froid glacial et les plus défavorisés peinent à survivre.

Grâce aux carnets que sa mère a laissés derrière elle, Aster entrevoit une manière nouvelle de décoder les signes et peut-être d'envisager un espoir au milieu de cette obscurité insondable.

Très lentement, on se dirige ainsi vers une fin ineffable et bouleversante.

Ces fantômes vous accompagneront longtemps. Car même s'ils sont dans l'espace, ils nous parlent de nous sur la terre ferme.

Ce livre, c'est un cri dans la nuit. Inoubliable.

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Le monde a disparu et les habitants de la Terre sont embarqués dans un immense vaisseau, le Matilda, parti chercher une Terre promise. Dans ce monde futuriste, les personnages n'ont pas toujours de sexe, ils vivent dans un univers qui ressemble à une prison, composé d'autant de ponts/niveaux que de lettres de l'alphabet. Bien entendu, les pauvres sont en bas et les riches au sommet, avec de nombreux ponts agricoles entre les deux pour nourrir toute cette population déracinée, et un réacteur à fusion au centre, Petit-Soleil, qui fournit l'énergie au vaisseau.
Chaque pont possède un langage propre, et plus l'on monte vers les hauts ponts, plus les peaux de leurs occupants sont claires. On se croirait dans une fourmilière, où les hommes sont des soldats et les femmes des ouvrières et où subsiste une élite souveraine qui possède tous les pouvoirs.
Aster, une intrépide jeune fille des bas ponts, guérisseuse et scientifique, va tenter de percer le secret du vaisseau, que sa mère qu'elle n'a pas connue, a tenté d'élucider toute sa vie. Et c'est la présence de cette mère, comme un fantôme ressurgi du passé, qui va guider ses pas et ses recherches, bravant l'autorité et les punitions, comme un ultime espoir de conquérir un semblant de dignité.
Bien qu'il m'ait été difficile d'entrer dans cette narration complexe, avec de nombreux mots imaginaires et beaucoup de données pseudo-scientifiques difficiles à saisir, j'ai réussi à trouver mes repères dans ce labyrinthe métallique et verbal ; et finalement je me suis prise au jeu de la survie des personnages à travers les méandres de ce vaisseau.
Lorsque l'on s'interroge sur notre futur, ce n'est certainement pas à celui-ci que l'on pense et l'avenir paraît bien sombre à travers ce roman. Mais c'est aussi le rôle de la Science Fiction, d'être dérangeante et de soulever les problèmes latents qui, si nous ne les réglons pas aujourd'hui, nous persécuteront demain.
Un roman très original, où les propos de l'auteur, Rivers SOLOMON, témoignent de sa probable difficulté à s'intégrer dans la société, avec un espoir infime quant à l'avenir. Pessimiste certes mais intéressant sans aucun doute.
Merci à lecteurs.com pour ce livre.
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Un roman de sf très intéressant qui interroge le genre, la gentrification, le rapport à l'autre, à soi, à son histoire avec un petit et un grand H
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Il faut avoir l'estomac bien accroché pour traverser ce pavé aux allures de Handmaid's Tale. Ou plutôt, pour être traversé par lui. Ça se lit comme un coup de poing : beaucoup d'appréhension, un choc, puis on reste abasourdi avec les oreilles qui sifflent et le nez qui saigne.
Le seul reproche que je peux lui faire c'est son exigence, car l'écriture très poétique peut parfois dérouter, surtout quand elle rend le déroulé de l'action un peu confuse. Mais face à une plume qui parle du traumatisme et de l'insurrection, c'est logique d'être au moins "un peu confus", comme dans une manifestation ou dans un cauchemar.

Rivers Solomon aborde avec brio des sujets brûlants d'actualité comme le contrôle du corps et de la naissance, les violences sexistes et racistes, les violences policières et l'extrémisme religieux. Iel propose un récit haletant, riche, déchirant et pourtant d'une poésie sans égale, permise notamment par l'héroïne, Aster, souvent en proie à des sur-stimulations sensorielles que les personnes neurodivergentes reconnaîtront.

J'ai particulièrement aimé le travail sur la langue, qui après plus de 300 ans dans l'espace a eu le temps de se diviser et se modifier, et les spécificités de chaque quartier du vaisseau Mathilda, comme autant de pays aux cultures divergentes. Mon personnage préféré sera, je crois, le Chirurgien, que je trouve touchant et tragique. Je le conseille vivement aux filles, aux femmes, aux tordu.es et aux cassé.es, à celleux qui ont perdu l'espoir ou la raison, qui veulent tout sauver ou tout brûler.
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Le fait est que je n'arrive pas à me le sortir de la tête. Solomon m'a guidée dans un dédale d'émotions dont je ne suis pas prête de sortir.

Science-fiction, afrofuturisme (oui, ça existe), racisme et genre, tout y passe. C'est simplement un coup de génie.

L'auteur.e, non-binaire, sait comment aborder le genre. Les personnages proposent des caractéristiques de genre floues, sans être décrédibilisées ou réduites à cela. C'est instillé tout le long de l'histoire comme un fait NORMAL.

Ce que nous conte cette histoire, c'est un racisme du futur, qui a pourtant déjà eu lieu. Chaque mot est criant d'une vérité poignante.

Le racisme n'est pas grossier, balancé à grosses phrases lourdes. C'est vicieux, spontané tant c'est habituel, monstrueux, brutal, vivant.
On le vit, on le sent, on le prend en pleine face.

Les femmes de ce roman sont incroyablement palpables: elles sont forgées par les sévices et les horreurs, elles sont increvables. Elles sont brisées, elles sont fragiles. Mon dieu, ce qu'elles sont belles. Mon dieu, ce qu'elles souffrent.

Je n'ai guère d'autres mots pour vous inciter à le lire. L'incivilité des fantômes, c'est une descente aux enfers dont tu peines à voir le bout tellement tu n'as pas envie de comprendre. Tellement tu es aveugle à ce qu'il se passe, et à ce qu'il a pu se passer dans L Histoire.

Ça, c'est le premier roman de Solomon. le premier. Et c'est une oeuvre d'art.
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Le Matilda est un vaisseau spatial en orbite, tel une arche de Noé ayant quitté la terre devenue inhabitable il y a plus de 300 ans en quête de la terre promise, il constitue un nouveau monde soumis à la dictature d'un souverain despotique. La population est divisée, les blancs qui vivent dans le confort et le luxe des hauts-ponts du vaisseau et les noirs qui vivent comme des esclaves sous l'emprise de gardes tous puissants dans les bas-ponts contraints de subir leurs sévices quotidiens, dont la vie est rythmée par le travail agricole encadré par un strict couvre-feu. Aster femme noire des ponts inférieurs, pratique la médecine parmi les siens, initiée à la discipline par Théo chirurgien métisse à la peau aussi claire que son défunt père souverain disparu, qui vit donc sur les ponts supérieurs. Aster partage son foyer avec Mélusine qui l'a élevée, sa mère étant disparue depuis sa naissance et Gisèle amie d'enfance écorchée vive.
Tous quatre offrent leur vision polyphonique de ce monde dystopique puritain, raciste, intolérant à toute déviance aux règles fixées par les blancs qui est source d'exclusion, de souffrance, de punition voire de mort.

Néanmoins Aster la rebelle, apparaît comme un symbole d'espoir, en quête de son passé au moyen des messages cryptés que lui a laissés sa mère dont le fantôme plane sur son existence, pourra-t-elle changer le cours de ce monde injuste ?

Un roman qui traite de la régression inéluctable de l'humanité qui ne dispose plus de la terre pour vivre, accentuant alors ses travers d'exclusion, de domination, d'esclavage, d'intolérance au profit de la classe dominante et au mépris du bien-être de tous.

J'avoue m'être laissée emporter par cet excellent roman de SF.
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Un roman de science fiction captivant. Une petite dose des Monades Urbaines de Robert Silverberg, une bonne dose du Transperceneige de Lob et Rochette et une énorme dose de thématiques actuelles et engagées de Rivers Solomon. Mais aussi, sous ses faux airs SF, une chronique sociale aussi éclairée que nécessaire !
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Je tiens tout d'abord à remercier les éditions J'ai lu et Babelio pour cette lecture.

Mon avis sur L'incivilité des fantômes est très mitigé. J'ai eu beaucoup de mal à le terminer. J'ai eu l'impression d'une lenteur et d'une lourdeur (surtout pendant la première moitié qui ne décollait pas à mon sens).

L'organisation de la société est décrite, mais c'est tellement brouillon et confus que je ne suis pas sûre de m'y être bien retrouvée. de même certains passages plus pointues de mécaniques ou de sciences m'ont complètement perdue, cassant le rythme de ma lecture.

Au final, je partais confiante en cette lecture, car le résumé est très intrigant... Mais plus ma lecture avançait plus j'allais de désillusion en désillusion. Clairement, ce n'était pas une lecture pour moi, même si l'histoire est intéressante et remplie de bonnes idées !
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L'incivilité des fantômes est le premier roman de Rivers Solomon, auteur transgenre qui se désigne par le pronom anglais "they" au singulier, ce qui pourrait être traduit en français par le pronom "iel" (contraction de "il" et "elle"), d'ailleurs utilisé par le traducteur. Cette particularité de l'auteur, nous la retrouvons fortement dans son roman, où la notion de genre est complètement chamboulée, parfois de manière un peu confuse. Ainsi, bien que j'ai été fortement intriguée par cette histoire, qui m'a somme toute plutôt bien plu, c'est surtout ce sentiment de confusion qui est resté une fois ma lecture terminée.

Si le résumé éditeur m'a donné envie de lire ce roman, au fur et à mesure de mon avancée dans l'histoire, j'en suis venue à le trouver assez peu représentatif. En même temps ce livre est, je trouve, plutôt difficile à résumer.
Alors, parlons déjà du contexte de cette histoire... le Matilda est un immense vaisseau spatial à bord duquel voyage ce qu'il reste de l'humanité. Les choses ne sont jamais dites clairement, mais l'on devine, à travers divers contes et légendes narrés durant le récit, que la Terre n'était plus vivable, bien que nous n'en ayons pas la véritable raison. Cela fait tellement longtemps que le vaisseau navigue dans l'espace (environ trois siècles, il me semble) que plus personne ne se souvient de l'Histoire. Ainsi cet exode spatial vers une planète habitable s'est transformé en une sorte de quête religieuse : la Terre est nommée la Grande Maison de la Création, et le vaisseau est censé les conduire vers la Terre Promise, mais uniquement si tout le monde se comporte "bien". En gros le voyage serait une sorte d'épreuve, et si les humains gardent foi et moralité, alors ils parviendront à la ligne d'arrivée. Donc, pour être sûr que les gens se comportent correctement, et pour bien faire fonctionner le vaisseau en attendant la fin du voyage, une certaine organisation a été mise en place.
Le vaisseau est divisé en ponts allant de A à Z. Dans les Hauts-Ponts vivent dans le luxe les blancs riches, et parmi eux le Souverain, chargé de veiller à ce que la volonté de Dieu soit respectée (en gros c'est un roi tyran). Dans les Bas-Ponts sont rassemblés les personnes de couleur, traitées comme des esclaves, considérées comme des animaux. Afin de toujours les garder à l'oeil, les autorités ont mis en place un couvre-feu, les Bas-Pontiens sont surveillés (par des gardes ou des contremaîtres) et ne peuvent passer d'un Pont à un autre sans laissez-passer, chacun doit effectuer son service chaque jour (par exemple entretenir les champs des ponts agricoles), etc. Ils peuvent se faire attaquer à tout moment par la Garde, que ce soit par des coups ou des viols, et ne peuvent se défendre au risque d'empirer leur situation. Même dans leurs chambres, ils ne sont pas en sécurité. Enfin, il y a les Mi-Ponts, où vivent les blancs pas riches et, d'après ce que j'ai cru comprendre mais c'est un des points que j'ai trouvés assez confus, certaines personnes de couleur ayant pu grimper l'échelle sociale (cordonniers, etc.). Les Mi-Pontiens travaillent et, contrairement aux Bas-Pontiens, ils ont un salaire, peuvent suivre des cours universitaires, etc.
Nous constatons là une énorme régression des droits, libertés et égalités de chacun. Bien que ce qui ressorte le plus de prime abord soit le racisme, nous faisons également face à l'inégalité des genres et à l'homophobie.

Il est assez compliqué de parler de genre pour ce roman, car tout y est chamboulé. Dans les Bas-Ponts, le pronom féminin est employé pour tout le monde, sauf contre-indication (à travers un uniforme, un métier, un papier officiel démontrant le contraire, etc.). Dans le premier chapitre, toutefois, nous pouvons voir que sur l'un de ces ponts, les enfants sont définis par un pronom neutre "iel". J'ai trouvé que ce détail ne servait pas à grand-chose, car on n'en retrouve pas l'utilisation par la suite (peut-être n'était-ce alors qu'un moyen d'aborder l'utilisation du pronom féminin ?). Bref, du coup ça a rendu les choses un peu confuses pour moi, et c'est dans des moments comme ça que l'on se rend compte à quel point la notion de genre est ancrée en nous. Ainsi j'ai cru (peut-être à tort, je n'en sais toujours rien) que seules les femmes travaillaient dans les champs, qu'elles seules faisaient le travail manuel. Mais si ça se trouve certaines de ces femmes étaient des hommes, cependant seul le pronom "elle" étant utilisé, impossible de savoir vraiment. Et le problème c'est que les infos nous sont données au compte-goutte, au fil de l'histoire, ce qui rend les choses encore plus confuses, car au moment où je pensais avoir compris comment cela fonctionnait, l'on me donnait une nouvelle information qui rendait mon interprétation fausse. Un vrai petit casse-tête pour moi, donc.
En revanche, l'inégalité des genres est plus claire dans les ponts supérieurs, où les hommes et les femmes sont clairement distingués. Aux hommes reviennent les tâches intellectuelles et le gouvernement, tandis qu'aux femmes sont confiés le bon soin du foyer et la maternité (assurer la descendance, du moins, car ce ne sont pas forcément elles qui s'occupent de leurs enfants). Les femmes de couleur servent aussi à la reproduction, cependant cela est rarement consenti de leur côté. Et si leur enfant est considéré comme suffisamment blanc, il peut leur être retiré pour être intégré dans des ponts supérieurs (en général dans les Mi-Ponts, car ils restent tout de même des bâtards). En tout cas, peu importe le Pont, la femme n'a guère de véritable liberté/droit/égalité, car même dans les Hauts-Ponts, une femme peut être battue par son mari sans que cela pose problème à qui que ce soit (sauf à la femme, bien sûr, mais ça tout le monde s'en moque).
Et pour le coup on se pose la question : niveau moralité, il y a du travail là, alors comment peuvent-ils penser que le vaisseau n'avance qu'en fonction de ça ? Et bien simplement que, d'après la Souveraineté, n'est immoral que ce qui est contraire à leurs lois, or aucune loi n'interdit le viol, ni de battre sa femme, ni de battre des esclaves, etc. Voilà, voilà !

Bon, voilà pour le contexte, je passe donc aux personnages, tous aussi particuliers les uns que les autres.
Commençons par le principal : Aster. Elle est définie comme une jeune femme dans le résumé éditeur, pourtant elle ne peut être réduite à cela. Car Aster est à la fois psychologiquement et physiquement transgenre : elle possède des organes sexuels féminins mais certaines de ses caractéristiques physiques correspondent à celles d'un homme (carrure, pilosité), et ne se considère ni spécialement comme une femme, ni spécialement comme un homme. Son orientation sexuelle n'est également pas vraiment définie, car elle avoue avoir été attirée par plusieurs femmes (chose qu'il vaut mieux cacher car l'homosexualité est interdite) et est aussi attirée par un homme. Aster est un personnage que j'ai trouvé particulièrement intéressant et touchant. Elle a un esprit rebelle sans que cela soit forcément voulu : elle a simplement tendance à n'en faire qu'à sa tête, surtout quand elle s'est fixé un objectif, et dit ce qu'elle pense. Ce qui n'est pas au goût de tout le monde, en particulier des gardes et d'un certain Lieutenant, qui prennent un malin plaisir à la persécuter. Orpheline, Aster est une personne intelligente, autodidacte, qui possède un esprit pratique. Elle s'est d'ailleurs fait faire une hystérectomie pour ne pas tomber enceinte et applique le matin une sorte de pommade sur ses parties génitales pour éviter de souffrir au cas où il prendrait l'envie à un garde de la violer. Une illustration parfaite de la perversion de l'humanité dans ce vaisseau et de l'esprit à la fois pratique et rebelle de notre héroïne. Heureusement les laissez-passer que lui fournit le Chirurgien, dont elle est l'assistante (et surtout l'élève), lui permettent en général de circuler dans les Bas-Ponts sans rencontrer trop de problèmes. Elle exerce ainsi, en plus de son service dans les champs, la fonction de médecin. Cela lui permet d'aider les autres à sa manière, du mieux qu'elle peut, profitant au maximum des maigres libertés que son rôle d'assistante lui procure. Sa relation avec le Chirurgien, si elle n'est au départ qu'intellectuelle, va petit à petit évoluer. Mais Aster a du mal à comprendre les sentiments, que ce soit les siens ou ceux des autres, et peut ainsi heurter la sensibilité de ceux qui l'entourent sans le faire exprès. Elle a également du mal avec les images (métaphores, expressions, etc.) et prend tout au pied de la lettre, ce qui donne parfois des conversations assez amusantes. Mais ayant conscience de cette... déficience, Théo, le Chirurgien, reste en général particulièrement compréhensif à son égard.

Si le roman nous est raconté du point de vue d'Aster (à la troisième personne), trois chapitres donnent la parole à trois personnages (à la première personne).
Théo Smith est le fils de l'ancien Souverain, mais également celui d'une femme noire (il ne connaît pas l'identité de sa mère). La peur du scandale a alors poussé le Souverain à abdiquer. Étant donné que Théo était suffisamment pâle de peau, son père l'a récupéré non sans une certaine déception face à son aspect chétif, son physique trop peu viril. Par esprit de rébellion, Théo se rase tous les jours de près (la barbe est considérée comme un signe de virilité sur le vaisseau, et ceux qui n'en portent pas sont considérés comme des tapettes) et s'habille de manière extravagante. S'il peut se permettre une telle attitude sans avoir de problèmes, c'est parce qu'il est considéré comme la Main de Dieu depuis qu'il a sauvé le Souverain (celui qui a succédé à son père) en le soignant alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Car Théo est un jeune prodige, très intelligent, devenu médecin très jeune. Il a ainsi acquis le grade de Général et le titre de Chirurgien, ce qui lui permet une grande liberté. Et s'il est fort respecté pour ses compétences, si son titre de Chirurgien le place très haut, il est bon de noter toutefois qu'il ne vit pas sur les Hauts-Ponts mais sur un Mi-Pont, et qu'il exècre au plus haut point les ponts supérieurs et leur impiété, et essaie d'aider au mieux ceux qui en ont véritablement besoin. Mais s'il ne respecte pas toujours les règles du Matilda, il s'est créé les siennes propres, en fonction de sa foi et de sa moralité, qu'il suit scrupuleusement. Rien n'est dit de manière claire quant à l'orientation sexuelle de Théo, même si la question de l'homosexualité, et à travers elle de l'homophobie, est abordée par le biais de ce personnage, son aspect trop peu viril poussant les autres, méprisants, à murmurer derrière son dos. Mais au-delà d'une quelconque orientation sexuelle (en fait aucun personnage n'en a une de vraiment définie, cela reste toujours très vague), ce sont les sentiments qui comptent vraiment. Et si de prime abord ce que Théo ressent envers Aster n'est qu'une grande estime, cela va finalement bien plus loin, vers des sentiments bien plus complexes, bien plus forts.
Autre personnage, particulièrement complexe et qui va jouer un grand rôle : Giselle. Je ne sais pas si j'ai apprécié ou non ce personnage, c'est un peu difficile à déterminer. Giselle est celle qui subit le plus, dans cette histoire. Parce qu'elle a été maintes fois battue et violée, son esprit est complètement brisé. Ainsi elle peut passer de la joie pure à une déprime totale ou à une colère dangereuse. Amie d'enfance d'Aster, avec laquelle (et d'autres filles) elle partage une chambre, elle peut un jour être sa meilleure amie, sa grande complice, et un autre son bourreau. Bien qu'Aster fasse tout son possible pour l'aider, elle ne peut la protéger d'elle-même, car Giselle a également des tendances autodestructrices, parfois en proie à un désir de souffrance et de mort.
Enfin, le troisième personnage qui a la parole dans ce roman : Mélusine. Je ne peux pas trop en dire sur elle sans révéler certains éléments qu'il est mieux de découvrir soi-même. Je dirais toutefois qu'il s'agit là d'un personnage fort. Mélusine a subi une perte terrible, mais n'a pas eu d'autre choix que de devoir s'en remettre et continuer à survivre (car on ne vit pas vraiment, dans les Bas-Ponts). Bien qu'elle ne se considère pas comme quelqu'un de maternel, c'est souvent à elle que l'on s'adresse pour éduquer les enfants, dont elle n'aime pourtant pas spécialement s'occuper. Seule Aster a été capable de percer sa carapace, et Mélusine est prête à tout pour l'aider.

À ces trois personnages importants, même s'ils ne sont pas forcément au centre de l'intrigue, j'ajouterai également quelques mots sur le personnage le plus détestable du roman : Lieutenant. C'est ainsi que le nomme Aster. Lieutenant est l'oncle de Théo et possède un grand pouvoir au sein du Matilda. D'ailleurs, le Souverain étant gravement malade, c'est lui qui est pressenti pour lui succéder. Mais c'est avant tout un homme particulièrement sadique et haineux, qui se considère comme la Tête de Dieu. Il voue un profond mépris pour les Bas-Pontiens, et tout particulièrement pour Aster. Parce qu'elle ne respecte pas les règles, parce qu'elle ne se comporte pas comme les autres, et surtout parce qu'elle est proche de Théo. Car Lieutenant semble éprouver une fascination plutôt perverse pour son neveu, qu'il cherche à tout prix à contrôler, comme tout ce qui l'entoure, et Aster est une donnée difficile à maîtriser. Il prend ainsi un malin plaisir à la persécuter, si ce n'est pas lui directement, du moins par le biais des gardes. Et plus l'histoire avance, plus les tensions augmentent, plus il devient cruel à son égard. Un personnage particulièrement haïssable, donc, et tout aussi important pour l'évolution de l'intrigue.
Lorsque l'on constate à quel point la Souveraineté est cruelle envers le peuple des Bas-Ponts, l'on ne peut que s'interroger : comment se fait-il qu'il n'y ait encore jamais eu de rébellion ? Tout simplement parce qu'au sein même des Bas-Ponts, tous les habitants ne sont pas capables de faire preuve de solidarité, les querelles explosant plutôt aisément, tantôt par simple désaccord, tantôt parce que certains ont besoin de se sentir un minimum supérieurs à d'autres, etc. Et le fait que tout le monde croit dur comme fer que le vaisseau ne les conduira à la Terre Promise qu'à la condition de respecter les règles ne fait qu'accentuer l'ascendant de la Souveraineté sur les opprimés.
Toutefois la maladie du Souverain va venir mettre son grain de sel dans le rouage si bien huilé de la tyrannie matildienne. Revenons aux difficultés qu'éprouve Aster à comprendre tout ce qui est abstrait, tout ce qui n'est pas dit clairement. Ce problème de compréhension l'aura empêchée, pendant des années, de découvrir le véritable contenu du journal de sa mère, Lune. de ce que sait notre héroïne, sa mère s'est suicidée après sa naissance, et Aster ne parvient pas à en comprendre la raison, ce qui l'obsède. Mais un événement va lui permettre de découvrir, avec l'aide de l'esprit dérangé de Giselle, que le journal intime de sa mère est en fait codé et contient des secrets sur le passé et sur le vaisseau qui pourraient bien tout changer. Franchement, j'ai trouvé le codage du journal vraiment malin. Je crois que c'est un des éléments que j'ai le plus apprécié dans ce roman : décoder l'histoire de Lune. Ces découvertes, ainsi que d'autres bouleversements dans l'organisation du Matilda, vont alors pousser Aster à voir les choses autrement, et peut-être à agir autrement. Elle, ainsi que d'autres.
Pourra-t-on parler alors de rébellion ? Je dois avouer que la fin m'a laissée un peu perplexe. Je ne peux pas trop en expliquer la raison sans spoiler, mais disons simplement que c'est là pour moi une fin plutôt individualiste alors que le roman semble exhorter à la solidarité. En fait ce n'est pas vraiment une fin, selon moi, plutôt l'évocation d'un possible recommencement, sans certitude aucune. Beaucoup de questions restent pour moi sans réponses, rien n'est vraiment résolu. Pour le coup, je suis restée sur ma faim, je m'attendais à davantage, surtout avec cette tension qui semblait monter de plus en plus, pour finalement retomber comme un soufflé.

En bref...
L'incivilité des fantômes est un premier roman de science-fiction particulièrement intriguant. Si de prime abord il peut sembler manquer d'originalité (un vaisseau qui amène les derniers humains vers une nouvelle planète, des inégalités qui peuvent conduire à une rébellion, etc.), c'est dans son traitement (univers, personnages, etc.) que tout se joue. En effet, Rivers Solomon met en place un univers oppressant où la société a fortement régressé dans l'expression des libertés, des droits et de l'égalité, remettant en place une ségrégation raciale assez violante, combinée à un retour de l'inégalité des genres et de l'homophobie comme règles essentielles. Toutefois parler de genre est compliqué, l'auteur brouillant les frontières, rendant cette notion particulièrement floue. Les personnages ne peuvent ainsi être considérés comme spécifiquement femme ou homme, ce qui ajoute à leur complexité déjà bien présente. Des personnages intelligemment développés, tout comme l'intrigue, qui nous fait poursuivre une énigme tout en nous faisant nous révolter face aux horreurs que subissent les personnes de couleur sous le joug des puissants blancs. Tout cela serait parfait si les explications sur le fonctionnement de cette société n'étaient pas données de manière confuse et au compte-goutte, disséminées dans l'histoire, au point d'en compliquer la pleine compréhension.
Ainsi, bien qu'ayant beaucoup aimé les personnages et trouvé l'intrigue particulièrement intéressante, je garde un sentiment de confusion à la fin de ma lecture, incapable de savoir si j'ai vraiment bien compris ou non le fonctionnement de cette société ségrégationniste où la notion de genre est particulièrement vague (à dessein).
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J'ai découvert ce livre dans le cadre d'un masse critique de Babelio, je ne connaissais pas l'écrivain.e. J'ai appris par la suite qu'il s'agissait d'un premier roman (ce qui m'a surprise vu la richesse du récit) et réalisé que l'héroïne avait beaucoup de points commun avec l'écrivain.e. Ce qui fait l'un des principaux intérêt de ce récit dystopique, qu'on pourrait résumer rapidement par "le transperceneige dans les étoiles", est l'originalité de son personnage principal. Ainsi, Aster est (comme son autrice) transgenre et autiste de haut niveau. En plus du récit de science fiction, Rivers Solomon parle de racisme, de ségrégation, de différence...
Le récit se lit plutôt facilement, cependant, il est à la fois riche et aboutit mais aussi assez brouillon. Il est facile de perdre le fil ou de rester bloquer dans certains chapitres, alors que d'autres passages sont bien maitrisés, touchants, incisifs, percutants. J'ai apprécié l'univers dystopique que l'écrivain.e a créé ainsi que les sous thèmes abordés, la psychologie des personnages inhabituels et la profondeur de la réflexion socio-politique qui se cache dans le Mathilda.
Ce texte très hétérogène est dur à suivre mais en tant que premier roman, il contient toutes les promesses de futurs romans de grande qualité.
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