Il faut l'avouer. L'imitation artistique ne peut atteindre à la plénitude, à l'intensité des effets que produit la nature. La nature dispose de moyens autrement puissants ; elle nous enveloppe, elle nous enchante, elle nous séduit par tous nos sens ; elle agit sur notre organisme entier, pour nous mettre dans les dispositions physiologiques les plus favorables à la contemplation rêveuse ; elle nous donne des heures d'ivresse, dans lesquelles notre imagination, exaltée jusqu'au lyrisme, donne à toutes nos sensations une magnifique résonance poétique. Mais que l'art nous fasse entendre seulement un écho affaibli de ces accords sublimes ; qu'il puisse nous rendre à un degré atténué cette harmonie intérieure et le souvenir de ces heures exquises, c'est déjà beaucoup.
Réfléchir, c'est appliquer son esprit à un sujet précis. Le plus souvent, c'est se poser une question déterminée, à laquelle il faut trouver une réponse. Plus l'effort de réflexion est intense, plus étroit est le champ dans lequel on laisse l'esprit se mouvoir, l'effort consistant justement à s'interdire toute distraction et à resserrer autant que possible sa pensée, en la rappelant, dès qu'elle tente de s'en écarter, à la question. La réflexion marche vers un but ; elle s'impatiente des retards et des détours ; elle veut arriver; elle a hâte d'en finir. Le plus souvent même, elle se fixe un dernier délai pour arrêter sa décision.
La musique, dit Taine, a cela d'exquis qu'elle n'éveille pas en nous des formes, tel paysage, telle physionomie d'homme, tel événement ou situation distincte, mais les états de l'âme, telle nuance d'allégresse ou de mélancolie, tel degré de tension ou d'abandon, la plus riche plénitude de sérénité ou une mortelle défaillance de tristesse. Toute la population ordinaire d'idées a été balayée, il ne reste que le fonds humain, la puissance infinie de jouir et de souffrir, les soulèvements et les apaisements de la créature nerveuse et sentante, les variations et les harmonies innombrables de son agitation et de son calme.
Le sens même du mot de poésie étant quelque peu flottant, il est bon d'indiquer en quel sens nous comptons le prendre. Le mot de poète a été pris à l'origine dans un sens assez restreint, pour désigner l'auteur d'un ouvrage en vers. Si Ton s'en tenait à celte signification, nous pourrions marquer d'un trait net le champ de la poésie : elle serait tout entière contenue dans l'art des vers.
La poésie est une chose idéale et purement psychique que nous ne pouvons percevoir au dehors, mais seulement en nous-mêmes, au plus profond de notre conscience. Qui ne la trouverait pas en soi ne pourrait même s'en faire une idée. C'est donc en soi-même que chacun devra l'observer tout d'abord.