Le peintre qui ébauche un tableau travaille toujours d'après un modèle intérieur; car, alors même qu'il a devant les yeux un objet réel, il ne peut le copier que d'après l'image qu'il s'en fait, et même de souvenir. Avant de mélanger ses couleurs, il se représente la nuance qu'il veut obtenir; avant de les porter sur la toile, il les y projette en imagination. —Ainsi Fart, à tous ses degrés, nous apparaît comme le produit d'une activité intelligente; chacune des opérations qui concourent au résultat définitif est imaginée avant que d'être exécutée ; et l'oeuvre matérielle n'a sa raison d'être que dans les idées qu'elle exprime.
Quand je lis un livre, mon esprit s'occupe à comprendre, c'est-à-dire à reconstituer les idées de l'auteur. La lecture est un véritable travail d'invention. Il faut que, sur quelques indications souvent assez sommaires, je rétablisse tout un tableau; que, d'une phrase qui m'est donnée, je fasse un raisonnement ; que j'associe les unes aux autres les diverses propositions qui se présentent successivement à moi, de manière à embrasser du regard l'ensemble du développement.
L'algébriste sait-il ce que deviennent ses idées quand il les fait entrer, sous forme de signes, dans ses formules? Les suit-il à travers toutes les phases de l'opération qu'il effectue? Non sans doute. Il les perd aussitôt de vue. Il ne s'inquiète que d'aligner et de combiner, suivant des règles connues, les signes matériels qu'il a sous les yeux; et il accepte avec une pleine sécurité le résultat obtenu.
L'imagination n'est pas à proprement parler créatrice. Son pouvoir se réduit à combiner d'une manière nouvelle les matériaux que lui fournit l'expérience sensible. Dans le rêve le plus extravagant, dans la fantaisie la plus ingénieuse, on ne trouve que des éléments empruntés à la réalité.