Dans notre état normal, nous sommes trop actifs pour nous absorber longtemps dans la contemplation d'un objet unique. Nos sens, toujours en éveil, nous apporteront bientôt de nouvelles impressions ; l'idée à laquelle nous commencions à nous attarder disparaîtra, pour faire place à de nouvelles combinaisons mentales. Notre imagination est comme un kaléidoscope que l'on agiterait sans cesse. Pour parvenir à l'état contemplatif, il faudrait ralentir le mouvement de notre pensée, vivre moins fort et moins vite. Il faudrait ne pas être trop éveillé. Un peu de léthargie physique et mentale nous disposerait mieux à l'extase.
L'art peut faire appela ce pouvoir de l'imagination figurative pour nous donner, avec les sonorités normales dont il dispose, l'illusion d'autres sonorités : il peut en un mot représenter des sons. C'est en cela que consistent précisément tous les effets d'harmonie imitative.
Dans l'atteinte du beau tout est fort et doux, énergique et bienfaisant, puissant et délectable. L'âme en reçoit un surcroît de vie qui l'emplit et qui bientôt se fait jour au dehors. C'est un plaisir ardent, intense, éclatant, qui non seulement exalte toutes nos facultés psychologiques, mais qui, passant de l'âme au corps, accélère le cours du sang, rend les mouvements du cœur plus rapides, et vient enfin animer le visage d'une pourpre légère et pure comme celle de la santé.
Entre cet état d'hypnose et l'extase du beau, entre ces effets de la suggestion et ceux de l'art, il y a une ressemblance singulière, qui donne à penser. Bien qu'ils différent évidemment par le degré, ne seraient-ils pas au fond de même nature ?